Il y a une histoire à connaître, celle de ce qui a structuré ce pays dans son lien avec celle des luttes pour le changer vers cet idéal de justice sociale
Dans un pays structuré par des inégalités qui l’empêchent de faire pays, la priorité peut-elle être autre chose que de mettre l’État au service de plus de justice sociale ?
La difficulté sera de faire cela dans le cadre d’une éthique républicaine, ce qui impose de constituer un ensemble, une force, un mouvement pour porter ce projet.
Le développement d’un tel ensemble, indépendamment des contradictions qu’il devra habiter et arbitrer, demande de fixer de quel lieu l’on parle, qu’il s’agisse d’une conversation sur la littérature et la politique linguistique ou sur le système de santé ou la condition des paysans pauvres ou la dégradation de l’environnement…
Il y a une histoire à connaître, celle de ce qui a structuré ce pays dans son lien avec celle des luttes pour le changer vers cet idéal de justice sociale. Ce déficit de connaissance historique, et ce, dans tous les domaines, rend quasiment impossible une conversation nationale pour développer cet ensemble, ce bloc.
Partir de la réalité concrète.
Ce déficit de connaissance historique, et ce, dans tous les domaines, rend quasiment impossible une conversation nationale pour développer cet ensemble, ce bloc.
Aujourd’hui, les lieux de parole sont plus le dogmatisme doctrinal (soumettre la réalité au concept), le dogmatisme académique (appliquer au réel la leçon des manuels), le présentisme et la lubie du « contemporain » (copier une sorte de modèle de l’actualité d’un ailleurs), le moralisme de la sainteté inactive (les purs qui ne fréquentent pas les impurs).
Ces lieux, et ce n’est pas une injure envers les personnes, excluent les autres et font que toute conversation est remplacée par un soliloque, et tous ces soliloques se faisant entendre en même temps aussi bien dans les médias dits traditionnels et sur les réseaux sociaux, cela fait le plus improductif des brouhahas.
S’ajoute au sectarisme de ces lieux, chacun ayant trouvé La Vérité, une idéologie de la suspicion : toute personne qui n’est pas moi, ne dit pas la même chose que moi, n’a pas la même histoire individuelle que moi, n’est pas arrivée aux mêmes conclusions que moi est suspecte.
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La connaissance de l’histoire de la structuration de la société sur fond d’inégalité et des pratiques de lutte contre cette structuration permettrait d’abord de savoir qu’on n’est ni les seuls ni les premiers, et ensuite qu’on n’est qu’un moment dans un long processus, et enfin que c’est dans la pratique collective, lieu de contradiction, qu’on a pu produire et qu’on produira une pensée et des actions vers le changement.
Ces lieux, et ce n’est pas une injure envers les personnes, excluent les autres et font que toute conversation est remplacée par un soliloque…
En filant la métaphore de la guerre, on se trouve dans une situation où quelqu’un qui commence dans sa chambre à apprendre le maniement des fusils entend expliquer l’engagement à un vieux combattant ; où un penseur qui ne connaît pas le terrain ni les forces en place entend donner des leçons de tactique et de stratégie ; où dans un combat qu’on ne peut gagner seul contre un ennemi commun on ne veut faire alliance avec personne, et à la fin on reste chez soi.
Une meilleure connaissance de l’histoire dans le sens indiqué plus haut changerait peut-être la position de « avec qui je ne veux pas travailler » vers celle, plus efficace, de « avec qui je peux travailler dans cette nécessaire construction collective ».
Se prendre pour le héros de l’Histoire ou le porteur de la vérité ne sert à rien dans « l’identification des tâches concrètes du moment ».
Par Lyonel Trouillot
Image de couverture : Des manifestants en provenance de Carrefour-Feuilles ont été empêchés de progresser vers Port-au-Prince par la police, le lundi 14 août 2023, au lendemain de l’attaque des gangs armés dans leur zone. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
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