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Lyonel Trouillot | Phelps : mon beau poète pas mort

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Cinquante millions d’étoiles pour un peu d’amour. Merci Anthony. Pour Haïti, les poètes, le rêve

« La terre ne reprend que la chair mortelle, mais non la poésie », écrivait Aragon.

À condition qu’elle, la poésie, soit portée par des voix qui la maintiennent en vie. Ce qu’Anthony Phelps, diseur, savait faire mieux que quiconque. Le nombre de poètes auxquels il avait prêté sa voix est le témoignage d’une générosité exemplaire. Philoctète, Chassagne, ses compagnons d’Haïti Littéraire, des poètes bien plus jeunes, Phelps, c’était « donnez-moi des poèmes et je leur prête ma voix ».

On peut considérer comme la forme la plus noble du militantisme culturel, cette façon de faire don de poèmes à ceux qui préfèrent l’écoute à la lecture.

C’était aussi une conviction forte, une plongée dans « la dimension poétique de l’être humain ». La poésie comme élévation personnelle et partageable.

La terre ne reprend que la chair mortelle, mais non la poésie

-Aragon

Haïti littéraire, dernier exemple d’une aventure collective entièrement dévouée à la poésie, au début de ces années 60 marquées par la violence du duvaliérisme, ce fut d’abord le fruit de son volontarisme. Il y a, du moins, le croyait-il, un niveau supérieur de la présence au monde dans l’intention poétique.

« Nomade, je fus de très vieille mémoire ». Mais cette affirmation n’enlève en rien son statut de poète de l’ancrage, de notre ancrage. Qu’est « Mon pays que voici » sinon notre chant général à nous, Haïtiens ? La seule tentative de saisir poétiquement toute l’histoire d’un peuple, ses souffrances, son parcours, les violences subies et les révoltes dignes, dans l’histoire de la poésie haïtienne !

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À un moment où parler était un risque, les prisons remplies de voix dissidentes. La prison, il l’a connue. Il en est sorti. Plus chanceux qu’Auguste Thénor et Anthony Lespès.

Derrière les quelques vers connus de tous tant ils expriment un ressenti collectif face à tel moment historique: « ô mon pays si triste est la saison qu’il est venu qu’il est venu le temps de se parler par signe » ; « Yankee de mon cœur qui bois mon café et mon cacao… qui entres chez moi en pays conquis… » ; « l’été s’achève de quelle couleur est la saison nouvelle sinon d’espoir », cette volonté de tracer un parcours toujours en devenir, les haltes, les embûches, mais l’énoncé majeur justifiant le tracé : « Mon beau pays pas mort ».

Je dis « des vers connus de tous ». Hélas, c’était hier. La jeunesse d’aujourd’hui ne sait pas. Ses vérités sont plates, pragmatiques, individualistes. Est-il passé le temps où l’on se passait dans la plus stricte clandestinité les mots du poète ? Le temps d’un pays à faire ensemble. Humainement et poétiquement. La « trop longue nuit » dont on croyait être sorti semble prête à s’éterniser.

Une œuvre poétique et romanesque de première importance, un peu cachée sous la réussite d’un livre culte. Une voix, depuis les années de jeunesse sur radio Cacique jusqu’à une longue série de disques, au service du poème.

La seule tentative de saisir poétiquement toute l’histoire d’un peuple, ses souffrances, son parcours, les violences subies et les révoltes dignes, dans l’histoire de la poésie haïtienne !

Le cofondateur et l’un des principaux animateurs d’une aventure exceptionnelle dans l’histoire de la poésie : Haïti littéraire. Un ami bienveillant qui écoutait les jeunes et les conseillait. J’avais écrit – on est parfois si bête – « C’est avec les mains qu’on fait les chansons ». Il en a fait de deux ratures : « C’est avec mains qu’on fait chansons ». Merci Anthony.

En Haïti, au Mexique, à Montréal, il a continué jusqu’à ce que mort s’ensuive sa longue marche de poète. Les poètes ont parfois des vœux très simples : « J’ai mis la voix lactée en vente pour un peu d’amour ».

Si simples qu’ils en paraissent démesurés au commun des mortels. « Mais n’ai point trouvé d’acquéreur, Nul ne veut s’embarrasser de cinquante millions d’étoiles ».

Les poètes ont parfois des vœux très simples : « J’ai mis la voix lactée en vente pour un peu d’amour ».

Cinquante millions d’étoiles pour un peu d’amour. Merci Anthony. Pour Haïti, les poètes, le rêve.

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Couverture |Portrait du poète, romancier, dramaturge et conteur d’origine haïtienne Anthony Phelps : Source : Radio Canada – Photo : Brice Barbier

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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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