Le plus grand crime de sang commis contre Haïti au cours du XXe siècle, – ampleur, vitesse, sauvagerie — demeure le massacre du Persil, au moins 20000 morts, par l’État dominicain, armée et police, et des citoyens dont la xénophobie et le racisme avaient été encouragés, soutenus, attisés par leurs dirigeants
Il est plus facile pour certains membres des oligarchies et pour les go between aspirant à faire partie de ces oligarchies de pleurer sur les symboles de leurs privilèges que sur les souffrances des peuples qu’ils n’ont su et ne veulent ni représenter ni aider à construire un meilleur avenir.
Le plus grand crime de sang commis contre Haïti au cours du XXe siècle, – ampleur, vitesse, sauvagerie — demeure le massacre du Persil, au moins 20000 morts, par l’État dominicain, armée et police, et des citoyens dont la xénophobie et le racisme avaient été encouragés, soutenus, attisés par leurs dirigeants.
Certes l’Occupation américaine de 1915 à 1934, les crimes de la répression de la dictature Duvalier. Mais autant de morts en si peu de temps. Et revendiqués par un chef d’État et officialisés par une politique de nettoyage ethnique, nul n’était allé aussi loin dans l’horreur. Ouvertement, sans réserves ni complexes.
C’était en octobre. Un octobre quasiment oublié. Revisité seulement par des historiens, Suzy Castor, Georges Corvington et quelques autres, en comptant des recherches effectuées récemment. Et par des écrivains, Jacques Stephen Alexis, René Philoctète, Edwidge Danticat et quelques autres… Des recherches impressionnantes et des œuvres littéraires tenant parfois du chef-d’œuvre.
Mais ce massacre ne soulève pas de révolte dans l’inconscient collectif. Sa perpétration n’a rien signifié dans le rapport de l’État haïtien, des oligarchies haïtiennes et des individus des classes moyennes avec la République dominicaine.
Le plus grand crime de sang commis contre Haïti au cours du XXe siècle, – ampleur, vitesse, sauvagerie — demeure le massacre du Persil, au moins 20000 morts, par l’État dominicain, armée et police, et des citoyens dont la xénophobie et le racisme avaient été encouragés, soutenus, attisés par leurs dirigeants.
Par une sorte d’autoflagellation ne faisant pas honneur aux victimes, et une fétichisation présentisme de la « réussite » de la République dominicaine, tout est occulté : la perception et le rejet de la Révolution haïtienne par l’Occident dans les rapports entre Haïti et les autres ; l’antihaïtianisme infiltré délibérément par les élites politiques et économiques dans la construction identitaire dominicaine, Trujillo en étant l’illustration la plus spectaculaire (sur ces deux points lire le superbe ouvrage de Glodel Mézilas : Critique de la raison dominicaine et le livre de Sybille Fisher : Modernity disavowed); les effets de l’Occupation américaine d’Haïti sur les économies des deux pays ; les causes et effets du massacre ; la condition des travailleurs immigrés haïtiens ; les structures de propriété et du travail dans la production agricole en Haïti ; la logique raciste des entrées de capitaux américains ; le rapport de l’État et des élites haïtiennes avec l’idée d’une construction nationale ; le rapport ville-campagne en Haïti ; la gestion de l’après-massacre par le président Vincent en particulier et l’État haïtien en général…
Dans l’histoire des peuples qui en ont été les victimes, les massacres sont pourtant une référence constante. Les silences aussi sont parlants. Pas de Mémorial que je sache. Pas de référence dans le calendrier. Pas d’efforts diplomatiques pour la reconnaissance du massacre. Et plus encore que cette absence d’éléments pour ancrer le massacre dans les mémoires, le pragmatisme indécent, dans certains cas immoral, et certainement improductif sur les plans économique et social pour l’ensemble de la société haïtienne, qui dicte les rapports collectifs et individuels avec la République dominicaine.
En caricaturant à peine, on pourrait dire que les relations entre les deux nations et États, c’est d’un côté un nationalisme xénophobe et raciste, et de l’autre une indignité de miséreux.
Tel (le) ministre qu’on n’oubliera pas. Tel groupe ayant organisé des mouvements de foule en protestation contre le traitement réservé aux haïtiens en République dominicaine. Telle association luttant pour la défense des droits des haïtiens et documentant les crimes et exactions commis contre eux.
Les chercheurs et les écrivains qui donnent des outils pour comprendre à la fois le passé et le présent. Celles et ceux qui n’ont pas enterré les victimes du massacre dans un trou de mémoire, ni condamné les victimes d’aujourd’hui au sort de « pitimi san gadò ». Il ne s’agit pas de nourrir du ressentiment envers le peuple dominicain dont les conditions d’existence ne sont d’ailleurs pas aussi reluisantes qu’on veut le faire croire.
Il s’agirait plutôt de penser ce qui, des deux côtés de la frontière, les injustices, les inégalités, les idéologies réactionnaires, fait obstacle au passage du « farming of bones » au « peuple des terres mêlées ».
Les victimes du massacre d’hier, les déportés d’aujourd’hui… Octobre, leur faisons-nous la place qu’ils méritent dans nos pensées et nos souvenirs ?
Par : Lyonel Trouillot
Source Photo couverture : Mediapart
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