Un lieu mort, figure d’un temps mort. Pourquoi tuer un mort ? Peut-être parce que tous les lieux sont aujourd’hui terrains de jeu entre la vie et la mort
Il avait quelque chose de Tennessee qui y avait séjourné.
Entre les stars du ciné et du rock, les politiques, les hommes d’affaires, il avait abrité mille passades et intrigues. Des puissants y avaient bu une quantité impressionnante d’alcool, consommé nombre de substances illicites… Les occidentaux l’aimaient. Ou ils aimaient en lui le souvenir qu’il gardait de leur passage.
Aujourd’hui, la presse étrangère le pleure.
On connaît le faible de cette presse pour l’exotisme. Les massacres, les populations déplacées, toutes ces choses secondaires dont elle a peu parlé, en comparaison à une bâtisse dont les jardins et les boiseries avaient à ses yeux valeur de patrimoine.
Il avait aussi quelque chose de ces belles années d’un indigénisme adapté au tourisme. De la culture populaire « stylisée » laissant supposer un fond, des racines, tenant à la fois du terrifiant et du merveilleux.
Se posant souvent là à leur arrivée, des ethnologues partaient ensuite explorer les territoires occupés par les Divine Horsemen.
Et puis les tableaux, la musique. Comme une exposition permanente doublée d’une animation sur mesure.
Il avait aussi quelque chose de ces belles années d’un indigénisme adapté au tourisme. De la culture populaire « stylisée » laissant supposer un fond, des racines, tenant à la fois du terrifiant et du merveilleux.
Mais tout cela se mourait depuis déjà quelque temps.
De l’indigénisme exotique, il ne restait que RAM et les toiles sur les murs. Les experts, les conseillers, le haut personnel des ONG avaient remplacé les écrivains, les acteurs et les ethnologues. Personne ne venait plus ici pour noyer son chagrin ou comprendre les danses des enfants d’Erzulie et Dambala.
Fini les Alfred Métraux et Maya Deren, remplacés par des fonctionnaires riches de primes de risques, donneurs d’ordre et de leçon. Les Divine horsemen n’étaient plus qu’un troupeau de brutes et de victimes qu’on venait assister, commander, corriger.
Les experts, les conseillers, le haut personnel des ONG avaient remplacé les écrivains, les acteurs et les ethnologues. Personne ne venait plus ici pour noyer son chagrin ou comprendre les danses des enfants d’Erzulie et Dambala.
La ville aussi avait changé. L’utilisation du banditisme comme arme politique avait jeté dans les rues des tueurs désocialisés, massacreurs en mal d’autonomie. Et ce monde des petits métiers et petits fonctionnaires s’était vidé de ses habitants. L’hôtel tenait debout, visité par les rats, dans un quartier virant en ville fantôme.
L’Oloffson, c’était l’image dégradée et solitaire d’un passé de faux-semblants et d’illusions. Le monde et le temps auxquels il appartenait n’existaient plus : le mythe de la viabilité d’une société que son trop-plein de contradictions conduisait droit à la violence. Et il ne signifiait pas grand-chose pour les moins de trente ans, enfants de cette violence.
Un lieu mort, figure d’un temps mort. Pourquoi tuer un mort ? Peut-être parce que tous les lieux sont aujourd’hui terrains de jeu entre la vie et la mort.
Des échanges de tirs, un incendie de plus, quoi de plus banal ! Peut-être aussi y a-t-il une rationalité cachée derrière ces gestes qui ressemblent à de la folie.
L’Oloffson, c’était l’image dégradée et solitaire d’un passé de faux-semblants et d’illusions. Le monde et le temps auxquels il appartenait n’existaient plus : le mythe de la viabilité d’une société que son trop-plein de contradictions conduisait droit à la violence. Et il ne signifiait pas grand-chose pour les moins de trente ans, enfants de cette violence.
Raser tout l’ancien Port-au-Prince pour le rendre disponible à vil prix pour quelques projets mafieux ?
Lorsqu’on vous tue vos morts, toutes les questions sont légitimes.
Par : Lyonel Trouillot
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