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Lyonel Trouillot | Langues et Idéologie

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Les dénominations des formations politiques, les slogans : Lavalas, Tèt kale, torrent et crâne rasé ; les roches nan dlo qui vont connaître la douleur des roches au soleil

Le troisième tome de la recherche de Marc-Ferl Morquette consacrée à la thématique Idéologie, Histoire et politique en Haïti est moins volumineux que les précédents. Il n’est pas pour autant moins riche d’hypothèses sur le vaste champ ouvert par l’intitulé : Langues et Idéologie.

Le champ est vaste en effet : usage politique de telle langue à tel moment ; système de valorisation-dévalorisation d’une langue tel qu’inscrit dans une idéologie culturelle globale ; les usages des langues dans la production et la reproduction des idéologies politiques ; fonction sociale des usages des langues dans les procès de domination et d’exclusion et dans les processus de libération…

L’ouvrage se divise en trois parties. La première, la moins susceptible de provoquer des débats, porte sur la fonction de la langue française comme outil de structuration de la domination et de l’exclusion des masses non francophones, mais aussi comme objet fétichisé symbolisant le bien, le beau et l’intelligence.

La seconde, et c’est là que la démarche est courageuse, reconnaît le rôle de la langue créole dans les processus démocratique et de libération, mais analyse aussi l’usage qui en est fait dans les discours politiques après le 7 février 1986.

Morquette analyse les discours politiques des « acteurs autorisés » (leaders, formations politiques…) et conclut à une dominante de la négativité s’appuyant sur les revendications populaires, « une récupération controversée », et à un déficit sur le plan propositionnel : usage renforcé et brumeux du langage métaphorique ; slogans plus percutants que programmatiques ; focalisation sur ce qu’il faut détruire plutôt que sur ce qu’il faut construire ; légitimation de la violation, au nom de la cause, des principes démocratiques auxquels on prétend adhérer.

La critique est sévère et illustrée par de nombreux exemples.

Les dénominations des formations politiques, les slogans : Lavalas, Tèt kale, torrent et crâne rasé ; les roches nan dlo qui vont connaître la douleur des roches au soleil…

La critique ne s’arrête pas là.

Elle porte aussi sur une division d’Haïti en deux mondes irréconciliables : un monde francophone opposé à un monde créolophone.

Dans un premier temps, la domination du monde francophone reposait sur un système d’exclusion et de dévalorisation des locuteurs monolingues du créole.

Cette idéologie réactionnaire se voit remplacée par un principe de substitution aussi exclusif que son opposé (on pourrait établir une analogie avec le mulatrisme et le noirisme) : voilà les locuteurs du français considérés comme « rat, mòde soufle, esklav, tchoul, restavèk… » La liste est longue et l’idée semble être qu’il faudra désormais faire sans eux ou contre eux.

La troisième partie (Quelle langue, quelle idéologie pour une formation sociale, haïtienne, solidaire et dynamique ?, qui fait fonction de synthèse et de proposition pose le créole comme outil de dialogue pour une construction nationale et le bilinguisme comme bien culturel national qu’il convient d’étendre à l’ensemble de la nation, « concilier deux propositions apparemment irréconciliables ».

La critique ne s’arrête pas là. Elle porte aussi sur une division d’Haïti en deux mondes irréconciliables : un monde francophone opposé à un monde créolophone.

Un travail qui appelle à la discussion, avec des références à Bourdieu, Ferguson, Casimir, Déjean, Berrouët-Oriol, Pompilus, un regard aussi sur le « roman réaliste haïtien ». Courageux, avec une dimension subjective que l’auteur reconnaît : une part de dépit venue de l’expérience politique dans des secteurs dits « progressistes », marqués de préférence par l’aventurisme et « le populisme » et dont l’usage de la langue créole n’a nourri que de la négativité.

Une réflexion osée, nourrie de préoccupations citoyennes, avec la qualité, de plus en plus rare dans le domaine des sciences humaines, de constituer une lecture plaisante.

Idéologie, Histoire et politique en Haïti, tome III : Langues et Idéologie, Mac-Ferl Morquette, Port-au-Prince, 2024, 124 p.

Par

Image de couverture | Un livre ouvert. 

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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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