Les gangs en font la preuve, même si cet État lui-même et les classes dominantes ont contribué à leur développement
Il ne s’agit pas de porter un jugement moral sur la mauvaise foi ou l’incompétence du CPT et du gouvernement. Sinon, il ne resterait qu’à dire que depuis longtemps, Haïti n’a connu comme tenants du pouvoir politique que des incompétents et des gens de mauvaise foi. Et de conclure qu’il n’y a peut-être ici ni gens compétents ni gens de mauvaise foi, puisque, arrivés au pouvoir, ceux qu’on croyait hier dotés de telles qualités, comme inévitablement, échouent.
Le problème est sans doute ailleurs. Dans sa fonction de modération des conflits de classe et des conflits sociaux, l’État haïtien tel qu’il a fonctionné quasiment depuis toujours ne parvient plus, par un arbitrage toujours inégal en faveur des groupes dominants, à modérer les conflits sociaux dans des conditions acceptables pour tous ni à imposer par la force une « normalité » à la société.
Qu’on parle de luttes de classes, de conflits dominants- dominés, intégrés et exclus, quel que soit le langage choisi pour identifier les groupes, intérêts, visions, besoins, situations en conflit, les contradictions, dans leur violence et leur radicalité, échappent de plus en plus à l’État qui ne peut plus rien réguler ni imposer à la société une continuité.
Les gangs en font la preuve, même si cet État lui-même et les classes dominantes ont contribué à leur développement.
L’État haïtien tel qu’il a fonctionné quasiment depuis toujours ne parvient plus, par un arbitrage toujours inégal en faveur des groupes dominants, à modérer les conflits sociaux dans des conditions acceptables pour tous ni à imposer par la force une « normalité » à la société.
L’effondrement de l’administration publique en fait la preuve. Cet État-là ne peut plus réguler. Son mode de régulation était un laisser-aller qui fonctionnait, mais ne fonctionne plus depuis l’accumulation de graves crises sociales et économiques et les formes diverses du renforcement de la dépendance envers le capitalisme international et les institutions internationales.
Que faire ? Pleurer sur sa mort ? Vouloir sauver le mort ? Ou plutôt d’un côté oser poser la question des réformes sans lesquelles l’État ne pourra plus assumer cette fonction de mauvais arbitre (son arbitrage va dans le sens des dominants et ses concessions aux dominés sont le produit de luttes menées par ces derniers : la semaine de quarante heures, le congé payé, le vote des femmes…) s’il ne pense pas les concessions à faire aux dominés, les réformes que l’état actuel des contradictions sociales impose.
De l’autre côté, penser et créer des formes de regroupements dans tous les domaines de vie (les brigades concernent le domaine de la sécurité, mais ce n’est pas le seul dans lequel agir) dans l’indifférence envers ou même dans l’opposition à l’institutionnel sanctionné par l’Etat. Groupes autonomes de chercheurs, regroupements de petits producteurs, associations « de quartiers », petites assemblées de toutes sortes.
Multiplication des prises de parole publiques à partir de ces lieux et des échanges entre ces lieux. La proposition peut paraître étrange, utopique, mais si l’on considère que les gens se mettent ensemble pour défendre leurs intérêts et tenter d’aborder et de résoudre leurs problèmes, elle l’est bien moins que de fétichiser un État qui n’est pas ou même plus capable de réguler la vie sociale et politique dans les intérêts des dominants.
Par : Lyonel Trouillot
Couverture | Port-au-Prince, le samedi 8 février 2025 – Réunion du gouvernement. ( Source : La Primature )
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