Selon l’analyse des textes et images opérée par les consultants et cadres du MENFP sur les ouvrages des Liv Inik, spécifiquement, « la présence du sexe masculin est quatre fois et demie plus que celui du féminin »
Les « Liv Inik an kreyòl » présentés en février 2023 par le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) renferment diverses représentations sexistes, selon une responsable au MENFP ayant participé à l’analyse des textes et images sur les ouvrages des Liv Inik.
Ces matériels d’apprentissage unique pour les classes de première et deuxième année fondamentales réunissent cinq matières de base du curriculum scolaire : les mathématiques, le créole, le français (communication orale), les sciences sociales et expérimentales.
Son adoption, selon les responsables, vise à harmoniser les apprentissages, compétences et cultures enseignés aux enfants dans leur langue maternelle et freiner la disparité dans la transmission des savoirs.
Toutefois, un rapport préliminaire et non public du MENFP exclusivement obtenu par AyiboPost sur la prise en compte de l’égalité des sexes dans les programmes scolaires en Haïti, datant de décembre 2023, montre que les ouvrages uniques ainsi que d’autres manuels utilisés dans l’enseignement sont remplis de stéréotypes.
Les manuels scolaires constituent des supports éducatifs qui, au-delà de la transmission de savoir, servent aussi à véhiculer une compréhension globale de l’histoire, des règles d’une société et des normes sociales.
Yves Roblin, ancien directeur technique au MENFP, spécialiste en planification et gestion de l’éducation, estime que « ce sont des déterminants essentiels de la qualité de l’enseignement ».
Un manuel bien élaboré permet aux apprenants d’apprendre des connaissances valides, ajoute-t-il.
Ces Liv Inik sont confectionnés par sept éditeurs distincts : Édition Zémès, Kopivit L’Action Sociale, C3 Éditions, Édition Pédagogie Nouvelle, Maison Henri Deschamps, Imprimerie Éditions des Antilles et Éditions Université Caraïbe.
Selon l’analyse des textes et images opérée par les consultants et cadres du MENFP sur les ouvrages des Liv Inik, spécifiquement, « la présence du sexe masculin est quatre fois et demie plus que celui du féminin ».
« Nous avons évalué la prise en compte du genre au sein des ouvrages Liv Inik, mais rien n’a changé », explique Amente Désinor, responsable du Point focal genre du ministère.
Dans un exemplaire de l’édition Maisons Henri Deschamps du Liv inik, intitulé Liv 1e ane mwen an, Liv elèv la, exposant une leçon sur les héros de l’indépendance nationale, on peut constater que la totalité des personnages sont des hommes.
Les figures de Jean-Jacques Dessalines, Toussaint Louverture sont au premier plan.
Les 106 manuels du préscolaire, fondamental et secondaire évalués par le MENFP proviennent de trois maisons d’éditions [les plus connues du pays], dont les noms n’ont pas été révélés.
Ces éditions sont aussi parmi les plus utilisées des établissements scolaires.
Les principaux constats à propos des manuels affirment une surexposition du sexe masculin par rapport au féminin dans les ouvrages, les rôles de genre, etc.
Pour les matières relatives aux sciences sociales et d’histoires, le masculin est sept fois plus représenté que le sexe féminin.
Le rapport du MENFP, qui tient aussi compte de la lutte contre la violence basée sur le genre, souligne que la plupart des manuels regorgent de stéréotypes sexistes envers les femmes et les filles, souvent reléguées aux sphères des travaux domestiques.
Certains métiers, sports et jeux tels que : médecin, directeurs d’écoles, le football, sont réservés aux hommes. Tandis que les femmes sont représentées en tant que commerçantes, secrétaires, infirmières, ou de femmes de ménages.
Il y a aussi la sous-représentation des femmes, les disparités entre les sexes, et d’autres formes d’exclusion.
AyiboPost a examiné une dizaine d’ouvrages de lecture, de grammaire, de civisme, etc., parus principalement aux éditions Henri Deschamps, Zémès et les Éditions haïtiennes (Éditha).
Entre autres, il y a les livres d’À la rencontre de la grammaire, Moi mes droits et mes devoirs, Nous les enfants d’aujourd’hui, Mon 1ᵉʳ livre d’orthographe et Mon vocabulaire / Livre 1.
Dans le manuel Nous les enfants d’aujourd’hui, une leçon présentée à la dixième page sur le thème « respect » montre une scène de réprimande d’une mère envers son fils, lui refusant d’obéir.
On peut lire : « Toto renverse un bol de lait. – Prends un chiffon et vient essuyer le paquet, lui dit sa mère. – Non ! ne m’embête pas. Essuie-le toi-même ».
Pour l’éducateur Jacques Michel Gourgues qui analyse cette séquence, cela exprime « une réticence de l’enfant face à la figure d’autorité qu’incarne la mère ».
Selon lui, la scène sous-entend que si c’était le père, l’enfant aurait obéi.
Une représentation de l’autorité traditionnellement incarnée par la figure du père qui assure une fonction de transmission des règles à l’enfant dans un foyer.
À droite, une image illustre la notion de « coopération » dans une famille.
Sur l’image, il est clairement perceptible de voir la mère en train de cuisiner et le père qui répare une serrure d’une porte de la maison.
Comme légendes pour cette illustration, on peut lire : « Chez les Jean-Pierre, on s’entend très bien. En rentrant de l’école, Jeanne épluche les légumes, puis étudie. Paul va chercher de l’eau ».
Plus loin, des scènes de réunion d’association, avec une participation nettement masculine, y compris celui qui préside la rencontre, peuvent être observées.
« Ces illustrations reflètent le problème de sous-représentation des femmes dans les associations », précise Gourgues.
Dans le livre À la rencontre de la grammaire de la collection Frère de l’Instruction Chrétienne (FIC), une scène montre une salle de classe avec 6 garçons et une fille.
Pour les spécialistes en éducation, ces illustrations traduisent le phénomène d’invisibilisation des femmes, institué dans la société haïtienne.
Plus loin, deux visuels, l’un décrit une salle de bain et ses composants ainsi qu’un homme qui se brosse les dents. Tandis que l’autre montre une cuisine, des ustensiles et une femme qui fait le nettoyage.
Ces ouvrages contiennent également des phrases empreintes de clichés.
C’est le cas des tournures, « Les garçons sont plus intelligents que les filles. Les filles sont plus dévouées que les garçons », inscrites dans le livre Moi, mes droits et mes devoirs, à la page 15.
Ou cette phrase tirée de l’ouvrage, Pour Lire avec Plaisir 2 à la page 58, « Les filles ont peur de passer pour des poltronnes, elles ne disent plus rien et suivent les garçons ».
Des propos s’apparentant à de la discrimination également sont répertoriés dans le livre Nous les enfants d’aujourd’hui, à la page 5 : « j’ai honte de grann Yaya, a dit Mimi. Elle ne sait ni lire ni écrire ».
Il faut également préciser que certains textes de fables ou des chansons utilisés en niveau maternel et fondamental contiennent des éléments sexistes.
Il y a ces vers de la fable de Jean de La Fontaine, « La Laitière et le Pot au lait », parus dans l’ouvrage Fables de La Fontaine : 1ᵉʳ, 2ᵉ, 3ᵉ cycles fondamentaux, des éditions Henri Deschamps.
« Le lait tombe : adieu veau, vache, cochon, couvée. La dame de ces biens, quittant d’un æil marri, Sa fortune ainsi répandue, [Va s’excuser à son mari] ».
Ou les paroles de cette comptine française, chantée en classe maternelle « un petit bonhomme pas plus grand qu’un rat [Qui battait sa femme comme un scélérat]. En disant, madame cela vous apprendra À manger des pommes quand je ne suis pas là ! ».
Il est courant d’observer, dans les livres, des personnages masculins en tant que sujet des verbes tels que : travailler, fabriquer, réparer, diriger, etc.
Tandis que, ceux comme bavarder, cuisiner, laver ont largement des sujets féminins.
« Ces manuels sont les témoins de l’évolution de la société », pense un spécialiste en éducation auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), sous couvert d’anonymat.
Ces modèles culturels propulsés par l’école, l’église, la famille et les groupes de quartiers peuvent forger la personnalité des enfants, ajoute-t-il.
Au niveau du MENFP, il existe le Département du Curriculum et de la Qualité (DCQ) responsable de l’homologation des matériels didactiques et pédagogiques qui établit des critères spécifiques pour autoriser un ouvrage d’une maison d’Édition.
Après le dépôt de l’ouvrage, la DCQ l’évalue puis soumet un rapport d’évaluation à la maison d’édition, qui remet une version finale après correction, pour être homologuée.
Cependant, le MENFP n’arrive pas à contraindre l’usage d’ouvrage non autorisé, empreint de stéréotypes sexistes ou de représentations racistes dans des écoles.
« Le ministère n’arrive pas à évaluer tous les manuels qui sont en circulation dans les établissements scolaires », affirme une responsable du Département de contrôle de la qualité (DCQ) du MENFP.
Un contrôle de qualité qui échappe au MENFP, « faute de moyens financiers et humains ».
Wilson Saintelus a photographié les illustrations insérées dans l’article.
Image de couverture : Une élève de 2e année fondamentale à l’École Nationale de Quartier Morin, au Cap-Haïtien, se tient debout dans une salle de classe, en train de lire un manuel scolaire. | ©UNICEF Haiti
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