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L’homme au chapeau noir

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Vous avez certainement vécu de ces journées qui commencent vraiment mal, mais au cours desquelles vous vous êtes quand même efforcés de maintenir votre bonne humeur. Je crois fermement qu’être optimiste dans des circonstances pareilles, permet souvent d’éviter les catastrophes en cascade.

Ma voiture venait de tomber en panne en pleine rue, alors que je l’avais récupérée la veille du garage. Mais, j’étais déterminé à ne pas laisser de petits incidents ruiner ma journée entière. J’ai donc remis les clés de ma voiture au mécanicien qui m’a rejoint, et j’ai décidé de poursuivre mon chemin à pied. J’étais à quelques mètres du supermarché où je comptais me rendre de toute façon. Alors que je m’apprêtais à pénétrer l’enceinte du supermarché, un homme de belle taille portant un chapeau noir, s’approcha de moi. Il avait un fort accent provincial, et s’exprimait dans un créole qui m’était peu familier. Il cherchait à se rendre à un studio de beauté tenue par sa fille qu’il avait perdue de vue. Je ne fus pas en mesure de lui répondre malgré la multitude de détails fournis. J’ai tout de même pris le temps de l’écouter gentiment, démontrant peut-être un peu trop d’intérêt d’ailleurs. Un autre passant se joignit alors à notre conversation. Il connaissait bien les environs, mais nous étions tous deux incapables d’aider l’homme au chapeau noir.

J’avais déjà tourné le dos pour continuer mon chemin, lorsque celui-ci me rappela. Il me dit qu’il était agréablement surpris de ma gentillesse et de ma volonté de l’aider. D’après ce qu’on lui avait rapporté, les gens de Port-au-Prince n’étaient pas aussi bienveillants. Par conséquent, il souhaitait me récompenser. Je répliquai rapidement que ce n’était pas la peine et que c’était la moindre des choses, mais il insista. Il m’offrit dix dollars américains et il fit de même à l’égard de l’autre passant. Lorsque nous avons refusé, il s’est brusquement mis à parler de la vie et de détails personnels concernant l’autre passant, qui lui, écoutait incrédule et bouleversé. Intrigué, je suis resté sur place, avant qu’il ne se retourne vers moi. Il me regarda intensément, il me dit, entre autres choses que je ne pus bien saisir, vu la particularité de son langage :

Tu as vécu à l’étranger une bonne partie de ta vie, tu viens de rentrer au pays, tu es quelqu’un de bien qui se soucie du bien-être de tes proches et amis… Tu es très attaché à ta terre natale et dans l’avenir, je te vois accomplir de grandes choses…

Puis, il changea de sujet brusquement et nous interrogea:

Si je permets à chacun de vous de gagner 100 000 gourdes à la borlette, est-ce que vous  m’appellerez pour partager votre gain avec moi?

Nous étions mi-perplexes, cependant nous avons acquiescé de la tête. Il demanda alors qu’on lui passe un morceau de papier, ce que fit l’autre passant promptement.

J’observais minutieusement les moindres mouvements de l’homme au chapeau, mais je n’étais pas certain de comprendre où il voulait en venir. Cependant, ma nature curieuse a pris le dessus, et je me suis prêté au jeu.

Il nous fit prendre chacun une poignée de terre, qu’il versa dans le morceau de papier. Il le plia, le frotta et il y fit un signe de croix. Il me remit le papier et nous invita à traverser la rue, à nous installer sous un arbre et enfin à ouvrir le papier.

S’il n’y a rien dans ce bout de papier, vous êtes libres de partir.

Mes mains tremblaient légèrement lorsque j’ai ouvert le morceau de papier. La terre qui s’y trouvait a glissé, révélant ainsi les deux numéros qui y avaient été gravés avec la terre : 67 au haut du papier, 19 au bas et un signe de la croix au milieu.

Mon compagnon d’aventure s’exclama à haute voix « incroyable », et il fit signe à l’homme au chapeau de nous retrouver. Je ne pus m’empêcher de penser qu’aujourd’hui, c’était peut-être mon jour de chance.

Il n’y avait pas loin de l’arbre, un escalier en béton. L’homme au chapeau noir qui, entretemps, nous avait rejoint de l’autre côté de la rue, s’assit sur l’une des marches et insista pour que je m’asseye à sa gauche. Il me dit qu’il avait un message particulier pour moi, et que mon aura positive me valait cette aubaine.

Perds-tu souvent tes habits? Tu as perdu récemment un vêtement, et la personne qui l’a subtilisé te veut du mal. Je t’enverrai le nom de cette personne en rêve sous peu.

Ensuite, il nous a proposé de retirer nos portefeuilles de notre poche. J’ai hésité légèrement, mais j’ai suivi le geste de mon compagnon d’aventure qui semblait sûr de lui. L’homme au chapeau noir les enveloppa chacun dans deux grands morceaux de papier. Je l’ai également vu retirer le contenu de chaque portefeuille et l’emballer dans un morceau de papier distinct. Je me suis souvenue à ce moment précis que j’avais les 12 000 gourdes que je devais remettre au mécanicien plus tard. Ces voleurs m’avaient rendu ma voiture au préalable sans avoir effectivement changé les pièces requises. Je n’avais pas encore payé, heureusement, et vu la panne de ce matin, il n’a pas eu d’autre choix que de reprendre les réparations. Je lui avais clairement fait comprendre que je n’étais pas dupe. De toute façon, je n’ai pas quitté des yeux les mains de l’homme au chapeau noir. Il nous a rendu les deux lots (paquet enveloppant le portefeuille et paquet enveloppant les sous), concluant d’une voix solennelle :

Quand je vous taperai le dos, levez-vous et partez sans regarder en arrière.

Je récupérai ce qui me revenait et partit mi soulagé, mi-effrayé. Cependant, il n’était pas question que je me transforme en statue de sel. Je n’ai donc jamais tourné la tête. J’étais pourtant impatient de découvrir le second miracle de la journée, celui de la multiplication de mon argent. J’allais empocher 100 000 gourdes, juste parce que j’avais pris la peine de répondre à un inconnu cherchant son chemin.

Comme je n’avais pas ma voiture, j’ai décidé de prendre une moto pour me rendre au domicile familial, brulant d’envie de partager cette expérience plutôt bizarre. Arrivé à destination, j’ouvre mon portefeuille en souriant et je récupère l’emballage censé contenir mon gain. À l’intérieur, il n’y a  qu’une dizaine de fragments de papier. Pas de trace d’un quelconque billet d’argent. Il n’y avait pas non plus de mot de l’homme au chapeau pour me convaincre que je m’étais fait avoir. Je fus pris d’un fou rire et, loin de m’énerver, je louai intérieurement l’adresse et le charme des deux complices qui m’avaient bel et bien volé !

Il est certain que pour un tour de magie de ce calibre, 12 000 gourdes est peu cher payé. S’il fallait décider qui méritait cette somme entre de médiocres mécaniciens ou de superbes prestidigateurs, vous auriez sans doute opté, comme moi, pour les seconds.

 

 

Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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