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L’Haïti de demain : Entre idéologie politique et politique économique

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Éternel insatisfait, l’être humain n’a jamais cessé de réfléchir sur de nouvelles formules pour améliorer son quotidien. Malgré les grandes crises, cette quête de bien-être a traversé des siècles, et aujourd’hui encore, elle est présente dans l’esprit de millions de gens qui croient qu’ils ont le droit de jouir des splendeurs modestes de la vie. De ces nombreuses réflexions viennent des idées, les unes plus prometteuses que les autres, que certains vont enfermer dans un concept appelé: idéologie politique.

Conscient de l’importance des activités économiques dans le dynamisme d’une société, ces idéologies politiques se font toujours accompagner d’une vision économique. Les huit grandes familles idéologies politiques en l’occurrence: le libéralisme, le conservatisme, le socialisme-communisme, l’anarchisme, le libertarianisme, le fascisme, le nationalisme et l’écologisme ont tous déjà placé leurs mots dans l’éternel débat sur le choix d’un meilleur modèle économique.

Si, on ne peut nier la volonté et la sincérité de ces idéologies pour améliorer le quotidien des gens, force est de constater que les déçus se font de plus en plus nombreux. Dans les pays riches, le nombre des oubliés du fameux rêve capitaliste augmente à un rythme inquiétant. Dans les pays pauvres, on assiste parfois de manière impuissante aux dégâts du libéralisme économique. Victime de première heure, Haïti porte encore les plaies béantes de ce terme on ne peut plus à la mode qu’est la mondialisation.

Pour avoir trop longtemps souffert, certains jeunes haïtiens se mettent à croire à l’émergence d’un nouveau pays. Un pays bien éloigné de certains clichés comme misère, analphabétisme et instabilité politique. Un pays dans lequel ils verront grandir leurs enfants sous un soleil plus gai et un ciel plus clément. De cette inébranlable foi dans l’avenir, une question fondamentale surgit, quelle est la voie à suivre? Quelle idéologie serait la mieux appropriée pour qu’enfin nous prenions une place digne au concert des nations? Nous parlons d’idéologies parce qu’elles sont de véritables outils conceptuels pour structurer la sphère politique dont la mission première est de mieux gérer la cité tout en définissant les grandes lignes d’une meilleure harmonisation de la société. Les points de vue divergent mais une chose est certaine, l’autre Haïti ne sera pas le fruit d’une divine providence, mais le résultat immédiat de certains choix. Alors, quoi choisir? Doit-on rester un bon élève à l’école du libéralisme sauvage et parfois deshumanisant ou doit- on adopter le socialisme dépassé et improductif des décennies passées? Loin des idées reçues, et dans une volonté de briser les certitudes flagrantes, il est important de jeter un regard équilibré sur les deux modèles (Libéralisme- Socialisme) pour  apporter modestement notre pierre dans ce débat houleux entamé par les futurs leaders haïtiens.

Entre le socialisme et le libéralisme, les futurs leaders haïtiens se cherchent…

Un socialisme dépassé

Avec 10% des couches supérieures de la société recevant près de 50% du revenu national, Haïti est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Une situation qui favorise l’émergence d’une conscience socialiste chez certains jeunes qui croient que la redistribution des richesses doit cesser d’être en phase de projet. Ces jeunes dont la souffrance fait partie du quotidien, sombrent parfois dans la haine et avalent les maximes socialistes les plus violentes avec une étonnante facilité. Prenant Cuba, Venezuela et parfois même la Corée du Nord comme des références, ces jeunes sont convaincus que le salut d’Haïti se trouve dans le socialisme. Regardons-de plus près ces modèles souvent évoqués.

Cuba, ce bout d’Union Soviétique logé dans les tropiques  réussit à afficher d’excellents résultats en santé et en éducation, malgré un embargo de plusieurs décennies.   Toutefois derrière ce rideau de façade se cache une autre réalité: celle d’un peuple qui survit au quotidien. Un peuple dont le quotidien est fait de tickets de rationnement et de privations de liberté. Malgré la générosité du système, la misère y est fortement présente. Désabusés, ils sont de plus en plus nombreux les fonctionnaires qui abandonnent leurs postes pour se lancer dans des initiatives liées à l’économie de marché. Conscient de l’insatisfaction des gens et des limites de leurs systèmes, le gouvernement cubain, avec les reformes de 2011, ouvre timidement le pays au capitalisme.

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Venezuela, a été pendant plus d’une décennie, le témoin privilégié de l’émergence d’un exceptionnel leader. Hugo Chavez, l’homme qui croyait dans un tiers-monde renouvelé, jeta durant sa vie les bases d’un autre type de coopération Sud-Sud. En politique étrangère, il se faisait agréablement remarqué, et sur le plan intérieur, il a réussi à faire reculer considérablement l’extrême pauvreté. Voulant se rapprocher des gens pauvres, Hugo Chavez oubliait souvent qu’il était le président de tous les vénézuéliens. Ces discours fréquemment improvisés semaient la haine et la méfiance au sein de la population vénézuélienne. S’ensuivit une attitude hostile à l’égard des gens de la classe moyenne et les couches supérieures. Une attitude qui décourageait les entrepreneurs et faisait chuter l’investissement privé au Venezuela. Entre 1998 à 2006, la moitié des industries ont fermé leurs portes. Des fermetures qui ont conduit des milliers de gens au chômage. Durant cette même période, en 8 ans de mandat, Chavez a construit 10 kilomètres de route et sur les 140.000 logements promus au peuple, seulement 14.000 ont été livrés au peuple chaque année, soit 10 fois moins. Une situation qui peut s’expliquer par le  manque de transparence et l’absence totale d’investisseurs privés sur le marché de BTP (Bâtiments et travaux publics). L’histoire nous  a appris ces derniers siècles que l’un des meilleurs moyens d’arracher les racines de la pauvreté, c’est par la création d’emploi durable et ce dernier ne peut pas être seulement l’œuvre de l’État. Le secteur privé a son rôle à jouer dans tout processus de création d’emplois durables, cependant dans un climat de grande méfiance entre le privé et l’État, aucun sol n’est propice à l’investissement. Les entrepreneurs hésiteront à investir leurs temps et argent dans des projets d’entreprises.

En Corée du Nord, ce pays qui semble figé dans le passé, vivent des gens qui cultivent un grand mépris des droits de l’homme. Ce que l’on reproche au capitalisme y est malheureusement présent: la pauvreté. L’extrême pauvreté! Dans ce pays qui possède l’arme nucléaire, des gens meurent de faim. Évoquer positivement la Corée du Nord dans un débat où on est en quête d’un meilleur choix de société pour Haïti, semble être une insulte à l’intelligence humaine puisqu’il est possible de faire mieux. Ce choix de société semble malheureusement appartenir à un autre temps. La nature humaine nous pousse à croire qu’une société construite sur l’oppression, la privation de liberté et le rationnement sévère ne peut prospérer.

Si le socialisme avait une mission, c’était de ne pas répéter les erreurs du capitalisme, en promettant mieux. Construire sur la dignité, faire de l’égalité une réalité et éradiquer la pauvreté, tels devraient être les grands objectifs du pendant idéologique du capitalisme. Après des décennies d’exercice, ces mots ne semblent présents que dans les jolis manifestes socialistes soigneusement rédigés. Nonobstant les résultats humains du socialisme, ses limites dans un monde en constante évolution deviennent de plus en plus évidentes. Le socialisme va devoir se réinventer, s’il veut rester attacher à son principal objectif qui est d’être à la hauteur des grands enjeux de la civilisation humaine. En aucun cas, survivre ne devrait ni  ne saurait être un projet de vie.

Un capitalisme à revoir

Très décrié sur ses terres de conquête, le capitalisme est aujourd’hui, au cœur d’une sérieuse remise en question sur ses terres de naissance. Septembre 2008, aux États-Unis souvent considérés comme le paradis du capitalisme, l’insatiabilité et l’irresponsabilité des barons de la finance américaine allaient plonger les États-Unis et le monde dans une crise sans précédent. Une crise qui allait déchirer le voile dont se drape habituellement l’autre face du capitalisme: l’obsession aveugle du profit. Du profit, toujours plus! Sous le choc, les grands argentiers du monde découvrent enfin, les limites d’une économie mondiale trop financiarisée et d’une finance trop dérégulée. Une dérégulation qui favorise l’infiltration de l’argent sale dans l’économie légale et donne une dimension financière globale aux mafias. Sur le sol qui fait tant rêver, des millions de gens voient partir  en fumée leurs rêves, le rêve américain! Des milliers de sans-abris, de nombreux suicides et des millions de gens au chômage. Tout le monde s’est alors  rendu compte, que, bon nombre  d’américains encouragés par les financiers avides de profit, bénéficiaient de crédits largement au- dessus de leurs moyens. Panique en Europe, fermetures d’usines en Asie, diminution considérable des transferts d’argents dans les pays pauvres, le monde entier a subi durement le choc de l’explosion de la bulle immobilière américaine. L’interdépendance des économies mondiale a été mise en évidence. Si elle est importante, la crise économique américaine   est loin d’être le seul actif du capitalisme :

–         Exploitation des mineures et des travailleurs dans les usines asiatiques pour grossir le chiffre d’affaires des entreprises.

–          Evasion vers les paradis fiscaux pour ne pas payer de taxes.

–          Augmentation de la dette publique pour certains pays qui se voient dans l’obligation d’emprunter pour combler leurs déficits budgétaires.

–          Quête de profit au plus grand mépris de l’environnement.

–         Destruction de pans entiers de certaines économies notamment celles des pays pauvres, au nom de la mondialisation.

Le constat est accablant et on est en droit de se poser la question suivante: S’agit-il d’une crise conjoncturelle ou d’une crise qui remet en cause les valeurs fondatrices du capitalisme?    Peu importe la nature de cette crise, le capitalisme du XXIe siècle mérite une profonde révision, faute de quoi, l’humanité se trouvera dans l’obligation d’expérimenter cette profonde sagesse amérindienne: « Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d’eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors, il se rendra compte que l’argent n’est pas comestible. »

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Mais le capitalisme, ne fait pas seulement des malheureux, il a une autre facette. Une face rarement évoquée par ses détracteurs. Le capitalisme a aussi fait des heureux. Sur ses terres de naissance(Europe), en 300 ans, l’espérance de vie est passée de 38 à 80 ans, alors qu’il a fallu 1000 ans avant pour passer de 25 à 38 ans. Durant ces 20 dernières années plus d’un milliard d’humains sont sortis de la pauvreté grâce au capitalisme. La chine prétendument communiste, progresse avec une démarche assurée et élégante vers le toit du monde suite à son ouverture au capitalisme. Dans l’ex- empire du milieu, ils sont plus de 400 millions, pour qui la pauvreté reste un douloureux souvenir. Au Brésil, ils sont plus de 30 millions et en Inde plus 70 millions. En moins de 50 ans la Corée du Sud est passée d’un pays pauvre au rang de douzième économie mondiale. Bien qu’ils aient fait des pas géants en un temps record, les pays  précités doivent désormais faire face à un grave problème qui, de l’avis de certains analystes avisés, est consubstantiel au capitalisme: une inégalité grandissante. De cette inégalité grandissante peut surgir, à tout moment, des tensions sociales qui pourront déstabiliser l’incroyable dynamisme de leurs économies.

Pourquoi se développer en laissant   une quantité non négligeable de gens au bord de la route? Peut-on partir avec tout le monde? Si oui, comment devrait-on procéder? C’est à ce point important que certains jeunes haïtiens  divergent sur la direction à prendre. Car, pour eux, de ces deux voies il faut choisir une. Au risque de choquer certains, il existe une troisième voie. Cette voie c’est l’économie sociale de marché   couramment appelée « démocratie sociale » par les socialistes. Les pays qui ont adopté ce modèle, arrive toujours au haut de la liste dans les différents classements sur l’indice de développement humain(IDH). Ces pays se trouvant majoritairement au nord de l’Europe, ont compris qu’il est presqu’impossible de supprimer le capitalisme, ils ont choisi de lui apporter des correctifs sociaux. Ils réussissent à conjuguer performance économique et protection sociale. Ce système politique, est, pour certains, le résultat d’un double compromis entre l’Etat et le marché d’une part, et entre le patronat et les syndicats d’autre part. Les initiatives privées y sont fortement encouragées et l’Etat assure via une forte pression fiscale, la redistribution des richesses et la réduction des inégalités. Leurs systèmes de santé et éducatifs sont parmi les plus performants au monde. Ils sont parmi les pays, les plus compétitifs au monde. Les fondamentaux de leurs économies sont presque tous aux verts, malgré la crise économique mondiale. La transparence et la modestie est de rigueur dans les administrations publiques. Et comme résultat, quand on demande aux suédois, est ce qu’ils sont heureux? 94% répondent affirmativement.

Les expériences des décennies passées nous apprennent que copier servilement le modèle de développement d’un autre pays produit rarement de bons résultats. Mais, en s’inspirant des autres, certains pays arrivent à améliorer leurs modèles de société. Sachant que les Etats-Unis, la France et le Canada, longtemps considérés comme modèles pour les haïtiens, envoient régulièrement des délégations d’observations dans les pays scandinaves, nous pouvons   humblement conseiller aux jeunes politiciens haïtiens   d’observer à la loupe ces modèles de sociétés. Ils trouveront, peut-être, des éléments qui les aideront à mieux définir un modèle de société pour l’Haïti de demain.

La nécessité et les incontournables d’une politique économique cohérente

Selon les caprices du « Bon Dieu bon », vit une grande majorité de la population haïtienne. Une situation qui doit nous rappeler une autre vérité: Haïti est le pays le pauvre de l’Amérique. Une pauvreté qui interpelle plus d’un. Bien qu’elle soit une aubaine pour certains, la pauvreté doit être l’une des principales préoccupations des futurs leaders haïtiens. Souvent mal abordée, la problématique de la pauvreté en Haïti, est avant tout la problématique de l’emploi et de la productivité. Autrement dit la problématique économique. Donc, on ne pourra pas réduire la pauvreté en Haïti, sans une politique économique cohérente.   Regardons certains chiffres. Pour l’exercice fiscal 2012–2013, le budget de l’état haïtien est de moins de 3.5 milliards de dollars. De ce montant, 31,3% aux dépenses courantes et 2% à l’amortissement de la dette et aux dépenses exceptionnelles. Les 66.7% restant, sont affectés à des dépenses d’investissement. Soyons honnête! Avec une pareille enveloppe, même les leaders les plus progressistes et les plus dynamiques au monde auront du mal à prouver leur efficacité face à la pauvreté.   Pour augmenter son efficacité, l’État se trouve dans l’obligation de se questionner, doit-on augmenter la pression fiscale ou doit-on faire croitre l’économie? C’est bien d’augmenter la pression fiscale, mais faire croitre l’économie est la plus intelligente des décisions. Une croissance à long terme est toujours le fruit d’une politique économique cohérente.

Les jeunes leaders haïtiens doivent comprendre d’abord, que les discours du genre « nèg anwo kont nèg anba, nèg nwa kont milat » ruineront tout espoir d’harmonisation de la société haïtienne. Une harmonisation qui semble être indispensable au développement d’Haïti, car on ne peut rien construire sur la méfiance et la haine. Rétablir la confiance au sein de la société haïtienne, est l’un des plus importants points d’une sérieuse politique économique.

Aucune croissance durable n’est possible sans un secteur privé dynamique et florissant. Un secteur privé dynamique et responsable contribuera grandement à l’augmentation de l’assiette fiscale. Donc, sans un accompagnement réel des membres du secteur privé haïtien, toute politique économique, serait incomplète. A cette liste, on doit ajouter la formalisation progressive des PME, dont environ  95%  fonctionnent dans l’informel. En effet, partout ailleurs, les PME formelles  constituent le véritable moteur de toutes les économies dynamiques et compétitives.

Haïti est, aujourd’hui, à la croisée des chemins. Des choix d’aujourd’hui, l’avenir d’Haïti en dépend grandement. Construire un pays, construire l’image d’un pays demande du temps, de la patience et d’efforts continus. Il n’existe pas de raccourci menant au développement. Les belles envolées oratoires ont, à maintes reprises, montré leurs limites. Du sérieux, les futurs leaders politiques et économiques haïtiens, en auront besoin.   Que le sens d’engagement, le sens patriotique et le sens du beau soit au rendez-vous dans tous leurs actes. C’est seulement ainsi, que nous pourrons construire un pays à la hauteur de notre glorieux passé.

Elie LAFORCE

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