Dans sa définition la plus simple, la Démocratie est un régime politique dans lequel le pouvoir d’organiser les affaires du terroir appartient au peuple. Dans un régime démocratique, le peuple fait du président qu’il sélectionne le garant de la souveraineté nationale. Dans la tradition grecque, la démocratie repose sur trois concepts d’égalité (iso) : l’isonomie, (égalité devant la loi) l’iségorie (droit égal pour tous à la parole publique) et l’isocratie (égalité dans l’accès au pouvoir politique) conférant à tous les citoyens le droit et le devoir de participer à toutes les instances du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.
Cette définition classique de la démocratie n’a pas sa place dans le contexte socio-politique haïtien. La démocratie haïtienne est née au lendemain de la mort subite de la dictature des Duvalier et de leurs acolytes en 1986. Certes, il y a eu des régimes de transition chargés de stabiliser l’atmosphère politique du pays et d’établir les bases de la démocratie naissante en Haïti. Par contre, les évènements qui se sont ensuivis laissent à croire que la notion même de la démocratie est bancale en Haïti.
Jusqu’à nos jours, la nation haïtienne n’a pas su appréhender la complexité de la logique démocratique et la notion de la souveraineté nationale. Pour la plupart des Haïtiens, la démocratie repose uniquement sur la liberté de faire ce que bon leur semble, quand bon leur semble; les Haïtiens n’ont pas su faire le discernement entre liberté et libertinage. Cette mauvaise application de la démocratie résulte des failles de la formation civique et de l’échec des gouvernements de transition chargés de la réhabilitation sociale et civique d’une société mentalement martyrisée qui a constamment vécu sous le régime de la peur et de l’oppression.
Faudrait-il rappeler encore une fois que la lutte pour la démocratie en Haïti a été des plus sanglantes? Au nom de la démocratie, des familles entières ont disparus, les écrivains se sont tus, des militants ont capitulé sous les menaces des bourreaux, et le pays a connu la fuite de capital humain la plus importante dans son histoire. C’était le prix à payer pour la démocratie. En retour, celle-ci était censée apporter un air de renouveau pour un peuple qui avait tant soif de changement. Et pourtant, déçus et dupés par la démocratie, certains murmurent encore leur nostalgie du temps d’avant, avec une lamentation qui est devenue un peu trop familière. L’ironie du sort c’est qu’ils plaignent, malgré eux, le départ des despotes, comme quoi ils auraient encore préféré offrir leur souveraineté en tant que dot au lieu de vivre le leurre de la dite démocratie.
Ces réflexions sont impératives aujourd’hui dans le contexte de l’année électorale en Haïti vu que les élections libres et justes constituent le Saint Graal même de la démocratie. Cette année marque d’une part, un important tournant sur la scène politique actuelle puisque le régime s’est résolu à organiser les élections présidentielles, législatives et municipales, avec un peu de retard, dans une atmosphère politique précaire. Parallèlement, cette année marque aussi un autre échec de la population en ce qui a trait à son engagement politique. Cette année encore, les Haïtiens ont failli à leur promesse citoyenne et au pacte démocratique: participer aux élections pour élire les cadres politiques qui prendront les rennes du pays au cours des années à venir. Selon les derniers sondages, moins de 20% de la population entière ont participé aux récentes élections législatives dont les résultats ont fortement été contestés. Comment expliquer l’indifférence flagrante et le désintérêt total d’une nation qui a tant lutté pour se libérer du joug de la dictature? C’est le grand contresens de la démocratie en Haïti.
Le peuple Haïtien a délibérément renoncé à ses pouvoirs souverains alors que dans le monde, des nations mènent des luttes acharnées au nom de la démocratie et de leur souveraineté nationale. Les crises complexes auxquelles font face les pays qui sont en pleine transition démocratique comme l’Ukraine dans les contextes de la Révolution Orange et la Révolution de « La dignité », ou encore L’Egypte et le Yémen au lendemain des printemps arabes, rappellent que la démocratie est effectivement un bien précieux qu’il ne faut pas prendre pour acquis.
Le plus abject est que la population ne reconnaît ni l’importance, ni la valeur de sa souveraineté parce qu’elle a été victime d’un lavage de cerveau. Elle est convaincue que son vote ne compte pas, convaincue que face à l’intervention de l’International, elle demeure perdante. De surcroît, elle est convaincue que l’échec démocratique est fatidique en Haïti. Bien entendu, un système démocratique ne saurait être parfait. Par contre, le succès démocratique repose uniquement sur la volonté des citoyens à le concrétiser. Une société a le gouvernement (ou l’environnement politique) qu’elle mérite, dit-on.
D’une part, les élections représentent une sorte de contrariété pour l’haïtien. Durant les élections, les familles se transforment en quasi ermites contre leur gré, attendant le sort qui leur sera imposé. Se rendre aux urnes est devenu pareil à braver des zones à risques en temps de guerre. Il faudrait peut être aussi mettre le drapeau en berne pour symboliser l’état d’âme d’un peuple zombifié, résigné. D’autre part, les élections représentent l’occasion de s’enrichir aux dépens des plus faibles. C’est l’occasion pour les plus rusés et les moins intègres de jouer aux caméléons et aux parasites pour s’assurer les fonctions les mieux rémunérées au sein du prochain gouvernement. Quel modèle de citoyenneté et de civisme l’haïtien d’aujourd’hui va-t-il léguer aux générations postérieures ? Une chose est claire, par contre, la société haïtienne n’a plus le luxe d’accoucher des mollusques et des guignols !
Comment comprendre que les dernières élections municipales datent de 2006 et que le mandat de la majorité des membres du sénat est désuet depuis le début de l’année 2015? Quelles surprises réserve la débâcle quinquennale de ce dimanche 25 Octobre ? Par leur indifférence et par leur inaction, les haïtiens ont justifié et cautionné l’échec de la démocratie dans leur pays. A quoi bon blâmer ceux qui sont de connivence avec les ennemis de la démocratie et l’International, si la grande majorité a renoncé à sa souveraineté? L’élite intellectuelle absentéiste, la classe moyenne qui s’est contentée d’une ascension sociale artificielle au fil des ans, les mauvaises gens qui se sont complues dans la médiocrité et dans la corruption, tous les amorphes qui ont désisté en attendant que les temps changent dans leur patio … Le pays mérite une démocratie participative et délibérative et rien de moins. Il est grand temps de rétablir et de renforcer la volonté et l’engagement démocratiques dans la société pour qu’elle n’accepte plus qu’on choisisse à sa place, pour qu’on ne lui impose plus jamais des subalternes des pays du Nord, pour qu’enfin elle se défasse de cette culture de soumission et de résignation.
Comments