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Les « Plàn » ou Maisons d’Affaires Bric à Brac: planche de survie des plus pauvres

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En Haïti, pour affronter des imprévus ou simplement pour s’acheter un repas, les petites bourses recourent aux prêts à gage avec dépossession. Les entreprises qui offrent ces services sont légion dans les milieux populaires. On les appelle dans le langage haïtien « Plàn». Elles fonctionnent sur le principe du gage ou nantissement commercial, contrat par lequel le débiteur commerçant remet une chose à son créancier pour sûreté de sa dette, conformément à l’article 91 du Code du commerce.

Il est 4 h de l’après-midi, six jeunes garçons s’amusent à regarder un show télévisé dans le couloir d’une maison d’affaires Bric-à-Brac à Pétion-Ville. Soudain, sans qu’il y ait de coupure électrique, un homme venant de l’intérieur débranche le téléviseur à écran plat et le remet à quelqu’un d’autre. Bizarrement, le petit groupe qui était plongé dans le programme télévisé ne s’offusque pas et ne part point. Pour passer le temps, ils entament une discussion. Celui qui a débranché l’appareil est Paul Jean, le propriétaire de la maison d’affaires et celui qui a reçu l’appareil est un client venu payer pour récupérer son meuble.

Un espace exigu abrite la maison d’affaires. Pourtant, elle est remplie de clients qui viennent soit pour placer des objets, soit pour tuer le temps. C’est un espace convivial où l’on a l’impression que tout le monde se connaît. Un grand rideau sépare le couloir d’une chambre où l’on peut apercevoir des salons, des fours à gaz et d’autres appareils électroménagers. Il y a aussi des outils utilisés en construction : pelles, brouettes, etc. C’est une entreprise familiale qui existe depuis 1987, Paul en est devenu le propriétaire en 2015. Une patente délivrée par la Direction générale des Impôts (DGI) lui sert d’autorisation de fonctionnement.

Une entreprise avec des règles qui varient avec la clientèle

« Quelle que soit la zone où elles se trouvent, les maisons d’affaires ont pour mission de sauver les urgences. Lorsque le pays est bloqué, elles seules peuvent vous débloquer », affirme Paul d’un ton fier. Quand les banques commerciales n’accordent de prêts que si le client est solvable, ces maisons ne s’intéressent qu’aux meubles que le client aura à placer. Car, en dernier ressort, ces biens seront leurs si le client ne parvient pas à payer dans le délai fixé.

Paul reçoit tout type d’objet sauf les armes à feu (mêmes quand elles seraient légales) et les produits de marque « Apple ». « Ces appareils ont un numéro d’identification que seuls leurs propriétaires  connaissent, il sera ainsi difficile de les revendre. En plus, si l’objet a été  volé, nous risquons d’avoir des ennuis. »

Le client qui vient échanger un objet contre de l’argent repart avec un reçu sans lequel, il ne pourra pas le récupérer. « Il y a un délai de 90 jours pour récupérer l’objet placé dans la maison d’affaire, exception est faite pour les téléphones portables dont le délai est de 30 jours. Passé cette échéance, le client n’a plus aucun droit sur l’objet donné en gage. Indépendamment du prêt accordé, le client aura à rembourser le montant emprunté avec un intérêt de 25 %. » Si le client n’est pas en mesure de rembourser le montant principal de la dette, il peut payer les intérêts chaque mois pour garder son droit sur cet objet. Ou bien il peut s’entretenir avec un proche qui viendra payer pour récupérer le bien.

Les maisons d’affaires existent particulièrement dans des quartiers populaires où les gens vivent avec de très faibles revenus. « Une personne peut nous solliciter juste pour avoir un moyen de s’acheter un plat chaud. Cette pratique devient tellement récurrente qu’on a décidé de créer un programme spécial pour ces gens, ils ne rentrent pas dans les 25 % d’intérêts », explique le propriétaire.

Nous rencontrons toutes sortes de clients, la plupart viennent pour des cas de maladies, d’autres nous contactent pour des besoins immédiats comme l’écolage d’un enfant. Parfois, un client nous demande de lui avancer le montant d’un transfert d’argent qui doit arriver dans un délai relativement long. « L’avantage qu’il y a avec les maisons d’affaires c’est qu’elles ouvrent leurs portes pour le client même si toute activité est paralysée dans le pays ».

Il n’y a pas que des entreprises formelles qui prêtent de l’argent moyennant un gage. Il y a aussi dans les quartiers précaires des particuliers qui offrent les mêmes services. Marcelin est de ceux-là. Il a habité Portail Léogâne pendant plus de 10 ans. Avec son salaire en tant qu’employé d’usine, il a réussi à mettre sur pieds son propre « plàn ». Sans affiches, tout le monde le connaît comme celui qui débloque les pauvres en difficultés. « J’aidais beaucoup de monde à sauver des urgences surtout que mes échéances de remboursement allaient de trois à six mois. » Depuis plus de deux ans, Marcelin a laissé tomber son entreprise, car les gens ne se conformaient pas aux conditions qu’il avait fixées.

Un cadre légal en cas de litiges

Dans les maisons d’affaires Bric-à-Brac, les objets se placent et se déplacent, c’est cette mobilité qui confère à cette activité économique toute son essence. Si le mot Bric-à-brac en français signifie endroit où l’on vend des objets de peu de valeur, ici en Haïti ce n’est pas le cas. « Les gens y placent leurs biens les plus précieux notamment leurs titres de propriétés et leurs bijoux », explique Paul Jean. D’autres personnes n’échangent que ce qu’ils ont. « Une paire de tennis, un polo ou un téléphone sont aussi des objets que les gens proposent contre de l’argent », ajoute-t-il.

Ces échanges créent parfois des différends entre les parties. Il arrive que des clients n’acceptent pas de perdre leur bien même s’ils n’ont pas respecté les clauses des maisons d’affaires. Ces dernières trouvent souvent un moyen de résoudre les conflits à l’amiable. Mais elles pourraient avoir recours à la justice, car, les maisons d’affaires sont reconnues par la loi en Haïti. Connue sous le nom de gage, cette forme d’activité est traitée aux articles 91 à 95 du code du commerce. « Les maisons d’affaires rentrent dans le cadre du droit contractuel, c’est un contrat que le client et le gagiste ont passé », souligne Me Naed Jasmin, avocate du Barreau de Port-au-Prince. L’article 91 du code a même établi des clauses. « La loi, précise Me Jasmin, confère au gagiste un droit de vente de la chose donnée en cas de non-paiement à l’échéance de la part du débiteur. »

Laura Louis 

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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