POLITIQUE

Les jeunes de « Nou p ap dòmi » assument leur engagement politique

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« Nou p ap dòmi », mouvement social découlant du petrochallenge, annonce pour le 26 avril une manifestation devant la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, pour exiger la publication de la seconde partie du rapport Petro Caribe, élaboré par la CSCCA. Katie-Flore Fils-Aimé et James Beltis, deux petrochallengers impliqués dans le mouvement, expliquent la genèse de « Nou p ap dòmi » et les raisons de leur engagement dans cette lutte politique.

« L’engagement civique, dans tous les pays, est respecté, voire encouragé. En tant que citoyenne, je ne peux pas rester les bras croisés devant la situation du pays. Je ne peux pas me contenter de me plaindre. De mauvaises décisions ont été prises par certaines gens, alors il faut que d’autres gens prennent les bonnes. C’est le sens de mon engagement ». Ce sont les déclarations de Katie-Flore Fils-Aimé, petrochallenger de la première heure. Cette jeune femme avoue qu’il y a deux ans elle ne comprenait rien à la politique. Son parcours traditionnel (école congréganiste, université, employée de banque) ne la prédisposait pas non plus à cela. Tout a basculé le jour où de jeunes citoyens, sur les réseaux sociaux, ont commencé à poser la question devenue désormais le slogan de toute une génération : Kot kòb petro caribe a ?

C’est l’occasion rêvée de s’engager activement, et Katie-Flore en profite. Elle risque tout : son emploi, les relations avec sa famille, tous les repères auxquels elle est habituée. Tout le monde ne comprend pas sa décision, elle en est consciente. « Je m’attends à tout moment à être licenciée de mon travail. Je m’y suis préparée mentalement. Quant à ma famille, il y a longtemps qu’à la maison on ne me parle plus de cela», avoue-t-elle. Sa détermination la conduit au mouvement « Nou p ap dòmi », un regroupement de citoyennes et de citoyens d’horizons divers. Ils sont unis par la volonté de forcer les responsables à faire la lumière sur l’utilisation des fonds de l’accord petro caribe.

La situation de Katie-Flore Fils-Aimé est peu différente de celle de James Beltis, autre petrochallenger. Lui, il est un habitué des mouvements sociaux, depuis 2004. « Il y a longtemps que j’ai choisi mon camp, dit-il. Ces derniers temps, je me sentais inutile parce que je ne trouvais pas le moyen de mettre la pression sur les politiciens traditionnels. Puis, le scandale du petro caribe est arrivé et tout le monde a vu une occasion unique d’exprimer clairement son exaspération. Les gens en face sont puissants et bien ancrés. Nous le savons. Mais le pays est dans un état lamentable, tandis que beaucoup d’argent a été mal utilisé. Je n’ai pas d’autres choix que de m’engager malgré ce que cela me coûte ».

« Nou p ap dòmi », en tant que mouvement, est traversé de différentes idéologies. Il n’est pas toujours facile de s’entendre sur un sujet, de décider. Mais le groupe a des positions arrêtées, unanimes, sur certains points. Il s’agit notamment de la démission du président Jovenel Moïse, à cause de son implication présumée dans le gaspillage de l’argent du petro caribe.

« Nou p ap dòmi » est un mouvement politique

À l’origine, « Nou p ap dòmi » n’était qu’un slogan lancé l’année dernière. Du 20 au 22 décembre 2018, un groupe de jeunes, épaulés par quelques associations, avaient campé devant les bureaux de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, pendant deux nuits et trois jours. Il s’agissait de montrer aux autorités que la bataille contre la corruption ne prendrait pas fin. Ils voulaient aussi exiger la réalisation du procès Petro caribe, même si les deux petrochallengers admettent que cela prendra du temps.

Rapidement, « Nou p ap dòmi » est passé de slogan, sans discours politique, à un regroupement de citoyennes et de citoyens qui veulent que des choses changent. La raison est simple selon Katie-Flore. « Il est impossible qu’un mouvement qui revendique la bonne gestion de la chose publique soit apolitique, explique-t-elle. Mais dans ce pays, la politique est mal vue à cause des modèles de politiciens que nous avons. C’est pourquoi certaines personnes en ont peur. Moi, ma conscience politique est éveillée grâce à ce mouvement. »

Après les jours passés à occuper la rue, « Nou p ap dòmi » en tant que groupe a commencé à prendre forme. C’est une tentative de structuration du petrochallenge, parce que selon Katie et James, les autorités jouent la carte du temps. Elles pensent que plus le temps passe, moins le mouvement aura de l’ampleur. Il fallait donc une structure organisée, pour remettre la pression dès que la mobilisation faiblit.

James Beltis estime que l’absence initiale d’un discours politique explique en partie pourquoi autant de personnes prenaient part au mouvement. Mais c’est aussi la raison pour laquelle les politiciens pensaient que le petrochallenge était passager. « Kot kòb petro caribe a » était une simple question qui n’indexait personne et cela arrangeait ceux qui étaient impliqués dans le scandale. Avec le temps, le mouvement a pris de l’ampleur et sa dimension politique aussi. Le président de la République lui-même, Jovenel Moïse, a dû changer de comportement du tout au tout. Il est passé de « l’affaire petro caribe est une persécution politique » à « le procès aura lieu ».

« Au cours des prochaines élections, croit Beltis, aucun candidat ne pourra éviter le débat sur le petro caribe. De plus, certaines personnes seront automatiquement disqualifiées. C’est la preuve que la portée politique du petrochallenge est maximale. »

Un appel à la majorité silencieuse

Haïti devrait organiser des élections législatives et municipales en octobre 2019. Katie et James croient que c’est le moment idéal pour mettre le petro caribe sur la table des débats. Ils sont cependant préoccupés par deux choses : l’abstention historique aux élections en Haïti, et la force des armes, facteur déterminant dans l’élection de beaucoup de gens. Katie Flore estime qu’il faut que la majorité silencieuse des Haïtiens s’implique. « Pour contrecarrer ces gens-là, dit-elle, il faut que beaucoup de personnes élèvent la voix. Mon espoir repose sur ceux qui croient que la bataille ne les concerne pas, parce qu’ils ne sont pas conscients de l’impact de la politique sur leur vie quotidienne. S’ils décident de s’impliquer, les armes auront moins de pouvoir. »

James Beltis aussi pense que la participation massive est importante. « Il y a près de 5 000 000 de personnes en âge de voter. Si elles continuent à ne pas participer aux élections, nous aurons toujours des présidents élus par seulement 500 000 voix. La mafia traditionnelle haïtienne en sera très heureuse. »

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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