Les maisons de transfert n’acceptent pas le peso
La mesure est tombée tel un couperet. En septembre l’année dernière, les autorités du secteur financier ont ordonné le paiement en gourde des transferts d’argent sur tout le territoire.
Presque instantanément, le dollar s’est raréfié, encore plus qu’avant. Depuis, les banques commerciales ne vendent pas plus de 50 billets verts aux citoyens lambda.
Les parents d’étudiants haïtiens en République dominicaine se retrouvent dans le peloton de tête des chercheurs de l’argent américain, pour supporter leurs proches en république voisine.
« Les bureaux de transferts n’envoient pas de pesos dominicains », confie Johanne Félix, agent d’une maison de transfert à Carrefour-Feuilles.
Quiconque veut transférer de l’argent de l’autre côté de la frontière doit se procurer le peso et l’apporter en main propre, prendre le risque de confier l’argent en monnaie dominicaine à un proche qui voyage ou donner le cash à une compagnie de bus qui se rend en République Dominicaine.
Ces options demeurent risquées avec le climat de l’insécurité qui sévit dans le pays. Aujourd’hui 3 mars, des bus assurant le trajet entre Haïti et le pays de Luis Abinader ont été attaqués par des bandits.
Des millions transférés
La jeune Haïtienne Soucarina Michel suit des cours de technologie médicale à l’universidad autónoma de Santo Dominguo. Elle compte sur l’appui de ses parents restés au pays pour les frais académiques, la nourriture et l’hébergement.
« Mon père a voulu convertir 20 000 gourdes en dollar américain pour moi cette semaine. Les banques commerciales et les maisons de transferts ont refusé de lui vendre des dollars », se lamente la jeune dame.
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L’argent a été finalement envoyé en pesos dominicains — à travers une compagnie de bus qui assure le trajet Haïti-République Dominicaine — après le refus du père de Michel d’acheter le dollar à des taux exagérés sur le marché informel.
Il n’existe pas de données actualisées sur la quantité d’étudiants haïtiens en RD.
Cinq ans de cela, un rapport de l’Observatoire binational sur la migration, l’éducation, l’environnement et le commerce (l’OBMEC) avait estimé à 220 millions, la quantité de dollars américains dépensés par les parents haïtiens pour financer annuellement les études de leurs enfants en République dominicaine.
Des exceptions
Depuis la circulaire 114-2 de la BRH qui restreint drastiquement la distribution du billet vert, seuls quelques importateurs prioritaires — dans le domaine de l’hydrocarbure, etc. — peuvent se procurer des dollars en grande quantité à des taux avantageux auprès des banques commerciales.
40 % des dollars transférés depuis l’étranger restent d’ailleurs entre les mains des banques commerciales, et 30 % sont accordés aux maisons de transferts. Pour un transfert vers la République dominicaine, la plupart de ces institutions ne vendent pas plus de 200 dollars, à chaque occurrence.
À cause des évènements politiques de 2019, le journaliste Jacquet Charles a envoyé sa femme et son enfant de deux ans vivre dans la partie est de l’île. Depuis, ce professionnel de la presse débourse mensuellement entre 400 et 800 dollars américains pour l’entretien de ses proches.
Durant le mois de février, Charles raconte avoir eu de grandes difficultés. « J’ai réalisé quatre transferts pour pouvoir envoyer 800 dollars à ma famille à cause des restrictions imposées par les maisons de transferts », dit-il.
De plus, « l’achat du dollar se fait à un taux beaucoup plus élevé dans les maisons de transferts autorisées que dans le bureau central », se plaint Charles, très remonté contre la BRH.
Pas de dollar, pas de transfert
La majorité des bureaux de transferts cessent d’effectuer des envois d’argent en dollar pour les clients qui possèdent la gourde, selon Pierre Renel, président de l’Union nationale des sous-agents de transfert d’Haïti (UNATHA). « Les rares bureaux qui acceptent de réaliser ces transactions le font de manière très limitée », dit Pierre Renel.
Le seul recours pour les parents d’obtenir le dollar est donc le marché informel. La demande croissante de la devise américaine fait grimper les prix par rapport au taux réel que fixe la BRH. Cette situation ne fait qu’appauvrir davantage la classe moyenne, selon l’économiste Harold Joseph Pierre.
L’universitaire travaille sur l’Amérique latine. Il souligne qu’il n’existe pas de marché formel du dollar en Haïti. « Le marché, constitué surtout par les banques commerciales que contrôle la BRH, n’existe pas vu que le dollar n’est pas disponible pour le client qui souhaite le procurer pour ses besoins », fait savoir Pierre.
Puisque les grands commerçants et les investisseurs n’éprouvent pas de difficulté pour obtenir le dollar, ce sont les « parents haïtiens à revenu moyen qui font le choix de scolariser leurs enfants en République dominicaine qui paient les pots cassés de la décision de la BRH ».
La rareté du dollar occasionnera des ratés dans les paiements de scolarité et de loyer. Ce qui ultimement peut causer l’échec de certains étudiants. C’est pour éviter cet échec et le climat de peur constant qui règne en Haïti que la plupart d’entre eux ont quitté le pays en premier lieu.
Emmanuel Moïse Yves
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