En Haïti, 75% des enfants de moins de deux ans ne reçoivent pas une alimentation répondant aux critères de diversité alimentaire minimale, tel que défini par l’OMS. L’État haïtien a élaboré un protocole de prise en charge de la malnutrition, mais les résultats ne sont pas aussi satisfaisants que l’on pourrait espérer.
De 2012 à 2016, sur chaque 1000 naissances, 59 enfants haïtiens ne survivaient pas, et décédaient avant leur premier anniversaire. La mortalité infantile est très liée à la malnutrition. La malnutrition est une carence, un excès, ou un déséquilibre dans l’apport énergétique et/ou nutritionnel d’une personne. Elle empêche le développement optimal du cerveau de l’enfant, en plus des risques de mort qu’elle entraîne.
Selon l’UNICEF, la faim et la malnutrition tuent plus de personnes que le SIDA, le paludisme et la tuberculose réunis. Parmi ces décès, on compte chaque année plus de 5 millions d’enfants.
La malnutrition prend deux formes. Soit elle est chronique, soit elle est aiguë. Dans les deux cas, elle peut être modérée ou sévère. Trois facteurs déterminent si un enfant est sous-alimenté : sa taille, son poids et son âge. Selon le rapport entre sa taille et son âge, un enfant peut accuser un retard de croissance. Le retard de croissance est un signe de malnutrition chronique. 22 % des enfants haïtiens âgés de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique. Cela fait un chiffre de 300 000 enfants environ.
Si l’on considère le rapport entre le poids et la taille, on parle d’émaciation ou de maigreur. C’est la malnutrition aiguë. Près de 50 000 enfants en sont atteints. Un enfant peut souffrir d’insuffisance pondérale, c’est-à-dire que son poids ne correspond pas à son âge. Cette forme de malnutrition peut être chronique ou aiguë.
Télécharger la synthèse du rapport : EMMUS VI
Un protocole non respecté
L’État haïtien a élaboré en 2009 une stratégie pour combattre la malnutrition. C’est le protocole national de prise en charge de la malnutrition aiguë globale. Cette stratégie cible principalement les enfants de 0 à 59 mois, tout en priorisant ceux qui ont moins de 2 ans ou environ 1000 jours. Ce protocole est censé s’appliquer dans tous les départements, à tous les niveaux de la santé : hôpitaux, médecins, auxiliaires, etc. La stratégie passe par deux piliers : le dépistage et la mobilisation communautaire. Le protocole définit les procédures pour prendre en charge les enfants mal nourris. Tous les médecins doivent les suivre.
« Ces mesures locales ne sont pas toujours respectées », déplore Nicolas Robert Emmanuel, spécialiste en nutrition. Parmi les enfants de 6 à 23 mois, 75% ne reçoivent pas une alimentation répondant au critère de diversité alimentaire minimale, tel que défini par l’OMS.
« Le protocole n’apporte pas les résultats espérés », poursuit-il. Il y a deux grandes raisons à cela. Premièrement, les différents programmes de santé ne sont pas autonomes dans leur fonctionnement. « Prenons l’exemple de l’un des médicaments les plus utilisés contre la malnutrition, explique-t-il. C’est un beurre de cacahuètes enrichi, dont l’efficacité est visible à l’œil nu dès la première semaine. Cependant, une seule étude a été réalisée sur les possibilités de le fabriquer localement et les résultats ne sont pas disponibles. Ce produit dépend entièrement de matières premières importées. »
Deuxièmement, les décideurs politiques ne comprennent pas l’interconnexion entre les différents problèmes sociaux. « La malnutrition ne disparaîtra pas, aussi longtemps qu’elle sera considérée comme un problème de médecins et d’enfants malades, croit-il. Un enfant mal nourri aura toujours du mal à trouver sa place dans la société, et ne pourra pas contribuer à son essor. »
Robert Nicolas Emmanuel estime toutefois que le protocole de prise en charge a ses bons côtés. « Aucun protocole ne pourrait éliminer la malnutrition, dit-il. Mais c’est quand même un outil incontournable dont on doit suivre les résultats et ajuster les grandes lignes régulièrement. »
La malnutrition n’est pas seulement un problème de médecins et d’enfants malades.
Nicolas Robert Emmanuel
Statistiques de la malnutrition
10 ans après l’élaboration du protocole national de prise en charge de la malnutrition, les chiffres n’ont pas beaucoup évolué. Le rapport EMMUS VI du Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) affirme qu’il y a un rapport étroit entre malnutrition, environnement, éducation et bien-être économique. En milieu rural, le pourcentage d’enfants malnutris est de 24 %. Il est de 18 % en milieu urbain. Si la mère n’est pas éduquée, elle a environ deux fois plus de risques d’avoir un enfant malnutri, soit 32 % contre 14 %.
Le niveau de vie des ménages a une influence sur la malnutrition. Un enfant dont les parents sont pauvres a quatre fois plus de chances (34 %) de souffrir de malnutrition chronique, ou retard de croissance, qu’un enfant d’un milieu aisé (9 %).
Au niveau national, le département du Centre recense le plus d’enfants malnutris. Le pourcentage est de 30 %. Le département des Nippes est en revanche celui qui compte le moins d’enfants souffrant de malnutrition, soit 17 %.
L’allaitement maternel : la solution miracle
Dans la lutte contre la malnutrition, d’après Nicolas Robert Emmanuel, les premiers 1000 jours de l’enfant sont clés. Les neurones, selon lui, ainsi que les connexions établies entre eux dépendent beaucoup de la nutrition de l’enfant, dès sa conception. D’après l’Unicef, cette période de 1000 jours est « la meilleure fenêtre d’opportunité pour la prévention de la malnutrition ».
L’allaitement est une méthode privilégiée dans la lutte contre la malnutrition. En allaitant son enfant, une mère lui transmet des anticorps, c’est-à-dire des molécules biologiques qui lui permettent de résister à certaines maladies. Un enfant nourri au sein reçoit également des éléments nutritifs importants venant de la mère. Le protocole de prise en charge de la malnutrition estime que l’allaitement doit durer au moins 6 mois pour les nouveau-nés, de manière exclusive. Dans certains cas, il est recommandé de le poursuivre jusqu’à 24 mois, en alliant d’autres formes de nourriture solide, car le lait maternel ne suffit plus à lui seul.
L’allaitement maternel exclusif doit durer six mois.
« En général, dit Nicolas Robert Emmanuel, l’allaitement suffit pour la tranche d’âge de 0 à 6 mois. Mais parfois, la mère peut accuser un retard de montée laiteuse. Les raisons peuvent être physiques ou mentales, par exemple après un accouchement prématuré. Dans ces cas-là, le médecin peut faire d’autres choix que l’allaitement maternel. »
D’autres solutions peuvent combattre le phénomène en amont. Mais, d’après Nicolas Robert Emmanuel, elles ne sont pas toujours prises en compte. Le médecin croit par exemple qu’il faut améliorer l’accès à l’éducation des jeunes femmes, surtout si elles souhaitent enfanter. « En poursuivant leurs études, les femmes pourront trouver un emploi décent, explique-t-il. Elles pourront alors mieux négocier avec leurs partenaires le nombre d’enfants dans le couple. Mais cela demande de mettre de côté beaucoup de réflexes machistes. »
Photo couverture: CNN
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