Les décrets-lois sont une curiosité haïtienne antidémocratique et illégale. Tôt ou tard, il faudra faire le deuil de cette pratique. Qui sera le premier à dire non, ça suffit ?
Sans parlement, le président Jovenel Moïse avance comme un rouleau compresseur. De décret en décret, l’élu du Parti haïtien Tèt Kale, crée des controverses. Parmi ses décisions les plus critiquées se trouve le nouveau Code pénal, qui remplace l’ancien qui date de 1835. Récemment, c’est par décret que le chef de l’État institue un Conseil électoral provisoire. Ce CEP aura pour tâche de réaliser des élections, mais aussi de changer la Constitution par référendum, en violation flagrante de la loi mère.
Aucun président n’a autant chamboulé l’ordre juridique du pays dans l’histoire récente. Certes. Mais Jovenel Moïse ne crée pas un précédent avec ses décrets. Il se place dans une longue tradition qui remonte au moins à la dictature des Duvalier. Le refrain est d’ailleurs bien connu : pour des raisons souvent politiques, le parlement ne peut effectivement jouer son rôle. Ses prérogatives tombent entre les mains de l’exécutif qui, de fait, accapare de pouvoirs immenses qui doivent être séparés dans toute démocratie.
Le premier président de l’ère démocratique, Jean Bertrand Aristide, n’affiche pas moins de quinze décrets en 1995. Alexandre Boniface n’a pas fait dans la timidité. En deux ans (2004 et 2006), plus de 70 décrets s’ajoutent à l’arsenal juridique du pays. En 2015, le président Michel Martelly rajoute quinze. Une performance déjà surpassée par son dauphin, Jovenel Moïse.
« Ces décrets créent un gros désordre dans l’ordre juridique du pays », déclare l’avocat et collaborateur d’Ayibopost Woodkend Eugène. Son argumentaire reste simple : ces dispositions violent la loi mère et créent une insécurité juridique qui risque d’exploser à tout moment.
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Que faire pour sortir de l’anormal en l’absence d’un Conseil Constitutionnel ? « On a besoin d’une volonté politique », avance Eugène. Concrètement, cela se traduit par un retrait des décrets pris par le président en place. Puis, la prochaine législature doit s’atteler à traduire en loi l’ensemble des décrets pris dans le pays depuis le 7 février 1988. Et enfin, il convient de mettre sur pied les institutions prévues dans la Constitution de 1987 comme le Conseil Constitutionnel et le Conseil Electoral Permanent.
Il y a peu de chances qu’un sursaut héroïque traverse le chef de l’État jusqu’à l’amener à faire le retrait de ses décrets. Et depuis 1986, la transformation de ces fragiles instruments juridiques en loi n’a jamais été une priorité du parlement. Pour ce qui est de l’érection des institutions prévues dans l’actuelle Constitution, l’exécutif en fait peu de cas. Il met le cap sur une nouvelle Constitution sans qu’un véritable débat national ne vienne acter les dysfonctionnements de celle en vigueur.
Qu’est-ce qui fait problème ? Les lois ou le rapport des hommes politiques aux lois ? Est-ce la Constitution le danger ou son inapplication sincère depuis 33 ans ? Comment jauger l’utilité, l’effectivité, d’une disposition juridique quand chacun s’arrange pour passer en force ou créer ses propres règles quand celles en vigueur ne correspondent pas à ses intérêts ? Sommes-nous dans une démocratie quand un homme seul, décide pour tous, quand la règle de droit ne vaut pas plus que le papier sur lequel elle est imprimée ?
Les décrets-lois sont une curiosité haïtienne antidémocratique et illégale. Tôt ou tard, il faudra faire le deuil de cette pratique. Qui sera le premier à dire non, ça suffit ?
Widlore Mérancourt
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