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Les Cayes : L’Église catholique s’ouvre aux homosexuels

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Par un de ces hasards qu’occasionne l’oisiveté dans une ville sans véritable option de divertissement comme Les Cayes, j’ai, chose fort peu coutumière, allumé ma radio un jour au début du mois d’avril dernier. Entre les élucubrations d’un propagandiste politique officiel, le verbiage incohérent de tel envoyé du ciel et l’hymne à la bêtise d’un rabòday, je suis tombé sur une entrevue qui m’a fort troublé. Le responsable d’une organisation défendant les droits des homosexuels était venu annoncer la tenue d’une messe d’action de grâce en l’honneur des huit ans de militance de sa structure.

J’étais intrigué.

Ma perplexité était telle que j’ai contacté une connaissance à la radio afin de pouvoir communiquer avec ces militants de la cause LGBTI (lesbienne, gay, bisexuelle, et intersexuée). Il était crucial de dissiper les interrogations qui depuis me taraudaient. Car, si j’ai longtemps pris congé des ondes hertziennes par crainte d’user mon cerveau au contact trop répété avec ce que les médias pouvaient produire de plus empoisonné, je reste cependant accroché à internet où, pour le salut collectif, certains sites résistent au relâchement ambiant, ce lot de la parole fraîchement libérée qui confond la liberté d’expression avec la licence de déblatérer sans essence.

Et sur internet, l’ouverture de façade du pape François, son message acclamé d’ouverture et de charité ne trahissait, malgré les protestations extrémistes, pas un iota les principes centenaires de la vieille Église dont l’apparat usé, à défaut d’entrer dans la modernité, adopte ses couleurs pour mieux garder sa pureté originelle. Ce n’est donc point une surprise si l’avortement, la contraception, le divorce, le célibat des prêtres ou l’homosexualité symbolisent, parmi tant d’autres sujets, l’anachronisme d’une institution dont l’intransigeance n’a d’égale que la souffrance, le rejet de l’autre et l’incohérence qu’elle engendre.

J’étais donc intrigué.

Comment, mais surtout pour quelle raison un prêtre se risquerait à faire un pied de nez au Vatican et à la doxa catholique pour célébrer une messe en l’honneur d’une organisation qui, elle célèbre une sexualité interdite et la liberté pour la personne humaine de prendre les rênes de son destin sans avoir à s’encastrer dans les cases préfabriquées de la société ?

Plus par oubli que par mépris de la démarche consistant à diviniser une initiative dont l’essence devrait être fédératrice et laïque, je n’ai pas eu l’opportunité d’assister à la messe ce 8 avril 2016 à l’Eglise Sacré-Cœur des Cayes. Cependant, j’ai pu obtenir un rendez-vous avec Jasmin Désir, responsable de l’organisation, gay assumé et revendiqué.

Le jour J, 4h. J’enfourche mon vélo à moteur pour me rendre à l’adresse indiquée près du centre-ville. Ma surprise fut grande de découvrir, en lieu et place d’un endroit reclus et bunkerisé, un véritable centre ouvert dédié à l’éducation et la récréation de jeunes gens et jeunes filles dont l’orientation sexuelle, parce que différente, semble vouloir justifier leur marginalisation, souvent dans leur propre famille et parfois la violence sourde dont certains ont fait l’objet. Une cinquantaine d’entre eux était présente ce jour-là pour, me semblait-il, pour assister à une séance de formation.

Jasmin Désir m’apprend que son organisation, l’Union des Personnes luttant contre la Discrimination et la Stigmatisation (UPLCDS), comprend 150 membres actifs et 30 autres passifs. Dans ce local discret que nombreux d’entre eux considèrent comme un havre de paix au cœur d’une ville où la détestation de l’altérité est célébrée en public, le seul critère d’adhésion est de ne pas verser dans l’homophobie, cette haine viscérale de l’autre catalysée par l’ignorance et nourrie par la peur et l’intolérance.

Jasmin, jeune homme maigre, l’esprit vif, dans la trentaine est un ancien étudiant en infirmerie et dépisteur de MST à l’hôpital public de la ville. Il me fait part, avec cette force qui caractérise ceux qui ont touché le fond du rejet public et en sont sortis débarrassés des afféteries sociales, des difficultés auxquelles font face sa communauté dans la ville des Cayes. Ancien protestant, il a lui-même abandonné l’église sous le poids insupportable de l’acharnement des hommes de Dieu. Dans la société en général, on est passé, déplore-t-il, d’une homophobie délatrice à chaque catastrophe naturelle, pourchassant les boucs émissaires de la détresse collective assoiffée de sang, à des formes plus nuancées, mais dont l’imaginaire nourri des histoires de Sodome et Gomorrhe barricade interdit encore les prémisses d’une coexistence égalitaire et pacifique. Cette situation aboutit entre autres, me dit-il non sans émotion, à des dénis de justice, la fermeture des portes d’hôpitaux et la violence gratuite dans des lieux publics et en privé.

Méfiance des institutions de la ville

L’affaire est tellement taboue qu’elle provoque des mésaventures totalement saugrenues où la mise à l’écart s’opère même de la part des organisations estampillées de défense des droits humains. Sur une quarantaine de radios et plus d’une dizaine de chaines de télévision, il n’y a que la radio Vwa Klodi Mizo, une station communautaire, à répondre à leurs invitations. Financés par des bailleurs de fonds internationaux, ils reçoivent néanmoins des soutiens de la MINUSTAH et du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP).

Pourtant, au milieu de toute cette détresse, le responsable de l’UPLCDS trouve étonnamment matière à se réjouir: «On accepte mieux les lesbiennes que les gays en Haïti, mais avec plus d’éducation, je suis convaincu que la situation s’améliorera».

Il en veut pour illustration cette ancienne porte-parole de la Police Nationale qui, après une séance de formation dans le centre, comme un pêcheur en quête d’absolution, s’est précipitée pour lui confier comment lui et ses collègues ont arrêté et emprisonné de façon arbitraire à Saint-Marc une voiture remplie de jeunes gens qu’on disait homos avec pour seul reproche la rumeur qu’ils allaient participer à une journée récréative. Ou encore ces deux chrétiennes qui, dans une période de diète biblique ont bravé leur appréhensions pour se former et s’informer. Aujourd’hui, elles se réjouissent de pouvoir vivre en bonne intelligence avec des concernés dans leur entourage.

Une organisation militante

Que mon engagement pour l’avènement d’une société libre où chacun ait la possibilité d’accorder son destin singulier au diapason collectif et où la recherche de sa vérité et de son bonheur soient le cadre du vivre ensemble, ne me prive de quelques bémols sur cette association.

Commençons par leur militance politique.

Lors des dernières élections, l’UPLCDS a fait officiellement campagne aux côtés d’un candidat au sénat. Il me semble qu’il s’agit là d’une erreur, au même titre que le parti pris religieux. L’engagement pour des valeurs est meilleur s’il conserve son indépendance et se met à l’abri de l’aliénation politique ou confessionnelle.

De plus, à regarder leur dénomination, à analyser leurs supports de communication, on sent une tiédeur dont la finalité est de noyer la lutte spécifique pour la justice et l’ouverture sociale en faveur de la communauté LGBTI dans un combat non spécifié contre les discriminations. Jasmin m’informe qu’il s’agit par-là de ne pas choquer, je réplique qu’on ne changera jamais le regard collectif sur ce que l’on refuse de nommer soi-même.

Sur la messe

L’UPLCDS s’attendait à un refus de la part du clergé catholique, car certains de ses membres sont bien connus des prêtres qui sont donc au fait du bien-fondé de l’organisation et de ses actions. Mais curieusement, le prêtre Alfred Bernard de l’église Sacré-Cœur a décidé de célébrer la messe et même de glisser dans son homélie des souhaits de succès et de continuation heureuse à la structure. Si Jasmin se réjouit de la décision courageuse et inusitée du Saint-Père, il échoue à déceler ses véritables motivations. Comme quoi même dans l’ouverture, les voies du seigneur restent impénétrables!

ulcds

L’UPLCDS à l’Eglise Sacré-Coeur des Cayes

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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