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Les assiettes en « styrofoam » deviennent rares en Haïti pendant la pandémie

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Malgré l’ineffectivité des mesures prises par l’État dans cette guerre longtemps annoncée, le Coronavirus semble pouvoir remporter la bataille contre l’utilisation des objets en styrofoam en provenance de la République Dominicaine

Déjà des années depuis que les objets en styrofoam ainsi que des centaines de milliers de bouteilles et sachets en plastique jonchent les rues, pullulent l’environnement avant de s’entasser pêle-mêle au bord de la mer du pays.

Les assiettes en styrofoam provenant de la République Dominicaine submergent le marché haïtien. Quoique toxiques, le faible coût de ces produits et leurs facilités d’utilisation rendent leur usage généralisé. Les tentatives de l’État haïtien pour procéder à leur interdiction se révèlent infructueuses jusqu’à date.

Cependant, la pandémie du Coronavirus qui frappe de plein fouet le monde a occasionné une diminution de ces produits sur le marché. La production a ralenti en République voisine et les activités à la frontière sont presque à l’arrêt.

Augmentation des prix

Hier lundi 4 mai, l’on se trouvait à Bourdon sous la tente en tôle de madame Josenat. Entre la mine changeante de cette cuisinière-marchande et la résignation des consommateurs qui se plaignaient du prix des plats, les commandes de nourriture sont livrées, savourées sur une table dressée à cet effet sous l’abri de fortune. Fort souvent, la nourriture est emportée dans une assiette « boite » en styrofoam.

Madame Josenat nous fait part de ses déboires pour trouver ces assiettes. Depuis la confirmation des cas de Covid-19 en Haïti, elle raconte débourser beaucoup plus pour se procurer des boîtes-manger en styrofoam.

« Le produit devient rare. La balle de styrofoam me revient à 2 000 gourdes au lieu des 1 400 gourdes exigées en temps normal », dit celle qui préfère se rendre à marché Salomon où l’offre est meilleure. Dans ce marché pourtant, des grossistes relatent être en rupture de stock de boîte-manger en styrofoam. « Pour l’instant, nous n’avons que les assiettes en plastique », lâche une des grossistes.

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La rareté de ces contenants paralyse les activités chez madan Nènè. Pour continuer à opérer, cette vendeuse de nourriture dans la localité de Caridad (Carrefour-Feuille) utilise des assiettes en porcelaine au lieu des boîtes-manger styrofoam. « Nonobstant, je me suis efforcé de me procurer quelques douzaines pour les clients qui veulent quand même partir avec leurs nourritures », confie-t-elle. La douzaine lui coûte 100 gourdes.

Marie-Lucie est la seule grossiste du marché de Caridad qui vend les styrofoam en gros et en détail. Elle raconte n’avoir pas reçu ce stock de marchandises depuis la présence du Coronavirus dans le pays. « J’ai tout écoulé et depuis fin mars, je n’arrive plus à recevoir de nouveau stock ».

Au niveau de la frontière

Harry Bruno est maire de la commune d’Anse-à-Pitres, une ville située à la frontière entre Haïti et la République Dominicaine. Il rapporte que Pedernales, la ville dominicaine voisine d’Anse-à-Pitres, a fermé ses portes.

« Les produits en styrofoam ne sont pas dédouanés à cause du ralentissement des activités économiques au niveau de la frontière. Il existe réellement une rareté », révèle-t-il. Le maire relate qu’une partie de ces produits transite dans d’autres points frontaliers non officiels dans les villes Anse-à-Pitres/Pedernales.

Macklish Ledoux, édile de la commune de Belladère partage le même constat pour sa ville située à proximité de Elias-Piñas, une ville dominicaine.

Une situation temporaire

Dans l’espoir de diminuer la propagation du Coronavirus, la plupart des populations du monde sont confinées. Ceci occasionne un ralentissement des activités économiques, mais aussi de la pollution et du gaspillage de ressources.

Néanmoins, Virginie Tilus, membre fondateur du Groupe d’action francophone pour l’environnement (GAFE), se montre sceptique à l’idée d’une diminution des objets en styrofoam en Haïti.

Pour Tilus, la baisse du styrofoam est la résultante de la fermeture des points frontaliers. C’est une diminution qui est toutefois temporaire puisqu’elle reste liée à la crise conjoncturelle du Coronavirus, dit-elle. Lorsque la normalité refait surface, renchérit Tilus, la situation s’annonce pire.

Des décisions qui n’arrêtent rien

La pollution environnementale en Haïti est étouffante. Deux arrêtés de l’État haïtien devaient mettre un terme à l’importation, la commercialisation et l’utilisation des polystyrènes (styrofoam) dans le pays. Malgré ces décisions qui datent respectivement du 9 août 2012 et du 18 juillet 2013, ces produits sont encore en circulation partout dans le pays au vu et au su de tous.

L’article 2 du décret du 18 juillet 2013 mentionne que « tout arrivage de colis contenant les objets en polystyrène sera confisqué par les autorités douanières et les propriétaires sanctionnés conformément aux dispositions du Code douanier… ». À part quelques opérations de saisies de matériels après la sortie de cette décision, plus rien n’est entrepris aujourd’hui.

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Quant à l’arrêté du 9 août 2012, il interdit la fabrication, l’importation, la commercialisation et l’utilisation de quelque manière, y compris des sachets noirs en polyéthylène.

« Les décisions ne s’accompagnent pas de surveillance et de contrôle serré de l’État », se plaint le maire d’Anse-à-Pitres, Harry Bruno. Les maires ne sont pas formellement informés de ces décisions ni par les délégués du pouvoir ni par les représentants du ministère de l’Intérieur dans notre ville, déplore Bruno.

Une pratique «bourgeoise»

Selon le premier citoyen de la ville de Belladère, Macklish Ledoux, les bourgeois du pays sont les plus grands responsables de la contrebande dans les points frontaliers. Ils sont les premiers à ignorer les décisions prises contre le trafic de styrofoam en Haïti

« Des conteneurs de 45 pieds sont en train d’être dédouanés actuellement sur la frontière Belladère/Elias-Piñas. Ce sont des opérations commerciales de la bourgeoisie haïtienne, principale responsable de la contrebande sur la frontière », remarque le maire.

« Ces containers renferment aussi des intrants et objets en styrofoam», explique Macklish Ledoux qui rapporte ne pas avoir assez de pouvoir pour stopper cette pratique dans la ville qu’il dirige.

Emmanuel Moïse Yves

 

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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