Des Dominicains refusent de reconnaitre au gagá, nom donné au rara par les dominicains, une origine haïtienne. Le gagá est tellement apprécié qu’il va bientôt remplacer le rythme carnavalesque dominicain, prédisent des experts
Le rara est reconnu par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) comme étant la première expression culturelle native du territoire haïtien.
Le rythme remonte aux premiers habitants de l’île, les aborigènes, selon des études.
Mais au fil des ans, la pratique culturelle, prisée par les Haïtiens, a traversé la frontière pour s’emparer de l’autre côté de l’île où elle prend l’appellation gagá.
« Les premières recherches et documentations sur le gagá à l’autre bout de l’île datent de 1940 », relate Dagoberto Tejeda Ortiz, sociologue et folkloriste dominicain.
L’expert prenait part à un séminaire organisé à l’auditorium du musée d’art moderne en République Dominicaine, le 6 juin 2022. Les intervenants ont discuté du rara haïtien et du gagá dominicain.
Les esclaves vont s’approprier le rara, avant la révolution de 1804. Le rythme va alors évoluer, souligne le sociologue Kesler Bien-Aimé. Il participait également à ce séminaire. « Les esclaves vont ajouter des instruments comme le bambou produisant le son de leur souffrance », souligne Bien-Aimé.
En Haïti, les premières documentations sur ce phénomène culturel datent de 1959 avec l’œuvre de Gerson Alexis, « Les danses rara ». La traversée du rara en terre voisine débute au XXe siècle avec les ouvriers agricoles haïtiens dans les bateys, sortes de baraquements où étaient logés les ouvriers de la canne à sucre en RD.
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Des intellectuels dominicains tentent de dissocier le gagá de ses origines haïtiennes. Selon le sociologue Ortiz, le gagá n’est pas foncièrement haïtien, il est africain. « Le rythme est recréé en Haïti et à Cuba, avec des modalités particulières », déclare le sociologue.
Carlos Andújar, auteur dominicain de l’ouvrage, Presencia negra en Santo Domingo, relate que le gagá remonte à 1505, après l’introduction des premiers noirs dans la colonie espagnole par Nicolas Ovando en 1503.
Ce démarquage reste « légitime », selon le sociologue Haïtien, Kesler Bien-Aimé. « Ils cherchent à créer leur propre identité », continue Bien-Aimé.
Le gagá s’impose en RD comme l’une des pratiques musicales populaires dominantes. Carlos Andújar pense qu’il s’agit du rythme le plus électrisant et le plus contagieux dans le folklore dominicain. « Au bout d’un moment, le gagá va remplacer le rythme carnavalesque dominicain, alibaba », remarque-t-il.
L’ancien directeur du musée de l’Homme et de l’Institut dominicain de recherche anthropologique à l’université autonome de Santo-Dominguo (UASD) admet toutefois qu’il n’existe quasiment pas de différence rythmique entre rara et gagá. « La seule différence réside dans la prononciation du nom. »
Il existe plus de 140 groupes gagá en RD. On les retrouve surtout dans les anciens bateys. « La plupart de ces groupes évoluent aussi dans la région Est de Santo Domingo », informe Roldan Mármol qu’on surnomme le parrain de la musique gagá à l’autre bout de l’île.
Sifflets, bambous, clairons, tambours se trouvent sur la liste des instruments du gagá dominicain tout comme le rara haïtien. Les rythmes se diffèrencient du côté religieux, cependant. Les bandes de raras en Haïti sont liées au vodou alors que « le gagá combine santeria, vodou et christianisme », souligne Mármol.
Les périodes de fêtes coïncident des deux côtés de l’île. Les festivités gagá débutent le jeudi saint, elles se prolongent le vendredi, le samedi et prennent leur envol le dimanche de la résurrection. Le gagá se joue aussi lors des fêtes culturelles et religieuses de la localité où le groupe s’est implanté.
Sur leur parcours, les raras haïtiens sont généralement identifiés par un drapeau, porté par un guide. Cette pratique n’existe pas pour le gagá mais, les danseurs liés à ces groupes arborent souvent de nombreux mouchoirs aux couleurs vives portés à la ceinture et qui flottent durant leurs pas rythmés au son de l’ambiance.
Selon Miguel Angel Welch, représentant du groupe dominicain gagá La Trenta, cette pratique musicale du milieu rural se modernise.
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Le rara et ses différentes manifestations territoriales est classés depuis le 21 octobre 2019 au registre du patrimoine culturel immatériel d’Haïti. Il représente l’une des grandes fêtes culturelles du peuple haïtien et sa transmission date de plusieurs générations.
L’idee du seminaire sur gagá et rara venait d’un colloque sur la musique caribéenne organisée chaque deux ans à Santiago de los Caballeros.
« Durant ce colloque, quelqu’un m’a dit que le rara ne pouvait plus être perçu ou étudié seulement du point de vue haïtien, relate Pascale Jaunay, directrice de l’association culturelle haïtienne Caracoli, initiatrice de l’activité portant sur le rara-gagá. Cette pratique musicale doit être perçue comme une expression binationale voire pan caribéenne puisque le gagá (rara) est joué en RD et à Cuba », continue Jaunay.
Les efforts couplés de Caracoli, de la Fondation Haïti Jazz, la fondation Funtepod et de la Fondation culturelle dominicaine Cofradia ont rendu possibles les rencontres, échanges et ateliers culturels entre les artistes.
Réginald Joseph, porte-parole du groupe rara haïtien Follow Jah, s’est réjoui de sa participation à ce dialogue culturel. Il estime que la différence rythmique entre rara/gagá est moindre.
Miguel Angel Welch du groupe Gagá La Trenta exprime aussi sa satisfaction. Pour lui, le tambour du rara/gagá est un instrument rassembleur qui fait danser les deux peuples partageant la grande île. Le projet de dialogue culturel binational entre Haïti et RD a été soutenu par l’Union européenne. En juillet prochain, ce sera au tour d’Haïti d’accueillir cette activité.
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