CULTURE

Le ministère de la Culture a-t-il trop de bureaux satellites ?

0

Selon des observateurs, des institutions comme le Bureau national d’ethnologie ou le Musée du Panthéon National Haïtien gagneraient en efficacité avec un peu plus d’autonomie

Des organismes comme l’École nationale des arts, seule école de beaux-arts du pays, l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine national, la bibliothèque nationale, ou encore le bureau national d’ethnologie, se trouvent tous sous la tutelle du ministère de la Culture en Haïti. Cette situation, selon des observateurs, représente un frein pour le bon fonctionnement de ces institutions, prises dans un étau politique au sein d’une machine étatique dysfonctionnelle.

« Même si ce sont des institutions publiques, ces bureaux ne devraient pas avoir de directeurs nommés par décrets, et je trouve malsain que ces derniers jouissent des mêmes privilèges que n’importe quel ministre », déclare Grégory Antoine qui travaille comme traducteur avec une agence touristique en Haïti. « Ça en fait des postes derrière lesquelles tout le monde court, continue le professionnel. La preuve, il y a eu un scandale lorsque la femme d’un sénateur qui ne connaît rien aux livres a été nommée directrice de la bibliothèque nationale il y a quelques années. »

Mercredi 21 juillet 2021, Jean Emmanuel Jacquet, ancien directeur de la direction nationale du livre est installé ministre de la Culture. Depuis ce jour, la chaise de direction de la DNL dont la mission est d’assurer la mise en place d’une politique du livre en Haïti et le bon fonctionnement ainsi que la coordination des CLAC, centre de lecture et d’animation culturelle, est restée vide.

Même chose depuis la nomination et l’installation de Emmelie Prophète Milce au même poste en début d’année 2022. L’ancienne directrice du bureau haïtien du droit d’auteur, seul organisme des droits d’auteurs en Haïti est depuis plusieurs mois sans directeur, trice.

À l’image du pays sans président depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, ces deux institutions sont sans représentants officiels. C’est le président de la République qui nomme, par décret, leurs responsables. Si Ariel Henry, Premier ministre et seul à la tête du pays depuis bientôt un an a eu la présence d’esprit de nommer des juges et un nouveau directeur de la police nationale, il n’en a pas été de même pour ces institutions, deux, d’une longue liste sous la responsabilité du seul ministère de la Culture.

Emile Paul qui travaille dans la conservation préventive et qui a passé un stage au niveau du musée national haïtien, témoigne des problèmes que pose la dépendance au MCC.

« La culture devrait être libre, dit Paul. Le fait pour une institution culturelle d’être sous la responsabilité du ministère de la Culture la rend dépendante de la politique culturelle dudit ministère, et la politique du ministère est à l’image de la politique du gouvernement. »

L’historien précise aussi que cette situation fait passer le statut de ces institutions d’institutions culturelles, à boites publiques, avec tout ce que cette expression suppose.

« Le fait que le directeur par exemple du MUPANAH soit nommé politiquement présente le risque de trouver au poste de direction une personne qui n’a pas forcément les compétences pour remplir ce travail. »

Dans le cas du musée, qui est une institution particulière, car elle n’est pas un entrepôt d’œuvres d’art, une personne non habilitée en lieu et place de directeur ne pourra pas définir la politique muséale de l’institution, fait savoir l’enseignant. Preuve en est, de l’état actuel du musée dans lequel se trouvent les restes des héros de l’indépendance.

« Le MUPANAH subit depuis quelques années diverses critiques, que nous pouvons justifier par le fait que l’institution n’est pas complètement libre, avance Paul. Aujourd’hui, cette institution est un outil politique, yon bwat leta. »

Cependant, selon les dires de l’ancien ministre de la Culture Jean Emmanuel Jacquet, ces organismes, qu’on appelle des directions autonomes sous tutelle, même si elles sont sous la tutelle du ministère, définissent eux-mêmes leur politique. Politique qui d’ailleurs répond à ce que dispose le décret qui les crée.

« Ces bureaux sont généralement créés par décrets et le décret définit leurs objectifs et la manière dont ils doivent se constituer, déclare l’ancien ministre. Il peut arriver que le ministère demande à un bureau de faire telle ou telle chose, mais de façon générale c’est eux qui définissent leur politique. »

Tel est le cas par exemple de la DNL. Créée sous la présidence de Boniface Alexandre en 2005, elle a pour principal objectif de définir la politique publique de l’État haïtien en matière de lecture publique nous fait savoir le responsable des ressources humaines de ladite institution, Placide Mical.

« En plus de définir la politique publique, la DNL gère les CLACS, centre de lecture et d’animation culturelle. Ces dernières ont été créées en 2000, il en existe une dizaine.

En revanche, au niveau du budget, l’auteur de Hommosensuel explique que c’est au ministre d’approuver les dépenses des bureaux sous tutelle. Ce qui, encore une fois d’après Paul, pose problème.

“Le musée par exemple peut trouver d’autres sources de financement afin de mettre en place sa politique. Cependant, une fois cet argent trouvé, il rentre dans le budget public. Ce n’est pas un financement spécifique au MUPANAH. Ça rend le musée, et les autres bureaux dans la même situation, dépendante du bon vouloir du ministère de la Culture. D’autant plus que c’est cette dernière qui approuve ou non les dépenses desdits bureaux.”

L’historien conclut en dépeignant la difficulté de la procédure de décaissement pour la moindre petite dépense dans ces bureaux, qui fait que souvent, d’après lui, même pour changer une ampoule ou réparer une porte, le travail ressemble à un casse-tête chinois.

La privatisation de ces institutions pourrait se poser comme alternative, mais cela n’assurerait pas forcément la bonne marche de ces dernières, compte tenu de l’état général du pays. Émile Paul rappele que le mieux serait que c’est en accordant une totale liberté à ces boites qu’elles pourraient dans une certaine mesure, se dépolitiser et répondre au mieux à leurs missions.

Il faut rappeler qu’il existe plusieurs directions autonomes sous tutelle. Nous pouvons citer par exemple Le Bureau des Mines et de l’Énergie (BME) qui est un organisme autonome créé en 1986, fonctionnant sous la tutelle du ministre des Travaux publics Transports et Communications (MTPTC).

Un site non exhaustif de ces directions est disponible sur le site internet du ministère des travaux public, transport et communication.

Les photos sont de Carvens Adelson pour AyiboPost

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

    Comments