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Le “mare fache” des Etats-Unis avec Haïti

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L’enfantillage du jeu politique ne réside pas seulement en Haïti parmi nos politiciens de tous poils. Il peut prendre place partout ailleurs sur la scène internationale. Les Etats-Unis viennent de nous donner la preuve, en requérant la restitution de 1,9 million de dollars non dépensés sur le financement de $ 33,4 millions lors des scrutins de 2015 tel que rapporté par la journaliste Jacqueline Charles dans les colonnes du Miami Herald du 18 juillet 2016. (1)

On peut avec perspicacité se poser la question suivante : Peut-on demander la restitution d’une partie d’un don financier interétatique quelque soit l’utilisation faite de ce don ? Si oui, ce n’est plus un don, plutôt un prêt, mais surtout un vil marchandage politique. Cela rappelle les enfantillages qu’on a tous connu après avoir offert un jouet à un ami pour ensuite le lui redemander un peu plus tard suite à une dispute.

Nous faisons donc face à un « mare fache » du « grand frère américain » comme certains se plaisent à l’appeler.

Il semblerait dans ce « mare fache » qu’un pays sous tutelle militaire et politique ne devrait s’arroger le droit de déclarer qu’il y a eu fraude flagrante et généralisée au cours d’élections souhaitées, quasi-ordonnées et financées par la Communauté Internationale. Déclaration qui a su contredire l’Union Européenne, superviseuse par excellence de nos élections, la portant à mettre fin spectaculairement à ses services.

De même, un pays sous tutelle ne devrait penser pouvoir refaire des « eleksyon-chanpwel » ou encore « eleksyon-yon grenn soulye » avec un candidat présidentiel unique ayant la bénédiction de l’Aigle pour veiller à ses intérêts. Et comble de « radiyès », de se permettre de financer ses propres élections !!  Ce petit pays a toujours eu du toupet, n’est-ce-pas ?

 Pour les Etats-Unis d’Amérique, première puissance occidentale du « monde libre », donneuse de leçons démocratiques, ce n’est rien d’autre que du « fè wont sèvi kolè » ! Cela est même étonnant que l’exigence n’ait pas été  faite pour la restitution du don entier pour n’avoir pas délivré la marchandise électorale à temps comme voulu.

Qu’à cela ne tienne ! Si notre gouvernement peut vraiment trouver $ 55 millions de dollars du Trésor Public pour les élections à venir, qu’il ajoute les 1,9 million pour calmer le « sezisman » du gouvernement américain et continuer son bonhomme de chemin électoral tout en reformulant les règles du jeu politique selon nos vœux et désirs.

L’un des premiers amendements à apporter à ces règles non-écrites formulées par les tentatives néocolonisatrices est non seulement de financer nos élections comme nous l’avions fait en 1990 mais également de réexaminer et d’ajuster à la baisse les dépenses faramineuses qu’elles nécessitent de nos jours. Telle est la voie royale du regain de notre souveraineté.

Il y a tout simplement eu l’apathie, la démission et le manque de courage de l’élite pensante pour refuser et contrecarrer les aberrations des dernières élections. Comme le disent beaucoup d’experts électoraux, un rabais considérable de la facture de nos élections peut s’obtenir par une utilisation efficiente des employés de l’état aux heures de bureau et le bénévolat d’une jeunesse qui désire civiquement participer aux affaires du pays et contribuer à son avenir.

Il est à réexaminer également le cliché qui consiste à croire que nous sommes un pays pauvre soumis à un futur de misère perpétuelle. Cela est archi-faux ! Je crois fermement dans le concept : « se grès kochon ki kwit kochon ».  Ce concept peut se matérialiser par une nouvelle politique générale visant la satisfaction de nos besoins matériels en sondant au prime abord toutes les capacités économiques du terroir même s’il faudrait arriver quelque fois à des privations nationales.

Cela ne demande point une politique isolationniste ou un refus d’ouverture au commerce mondial mais plutôt une recherche autarcique assidue, c’est-à-dire d’un pays qui tend à se suffire à lui-même sur le plan économique par l’augmentation de la production nationale pour satisfaire nos besoins alimentaires de base, limiter drastiquement nos importations et multiplier nos exportations. Tout cela est possible et Haïti ne fera que suivre l’exemple de plusieurs pays du tiers- monde qui ont pu changer leurs destins en prenant le virage courageux et crucial vers le progrès politique et social.

Un exemple probant est le Rwanda dirigé par Paul Kagamé qui après le génocide d’avril 1994, l’un des plus grands drames humanitaires du 20ème siècle, a connu d’après Jeune Afrique un développement palpable « où l’aide étrangère profite avant tout aux plus pauvres, où la corruption est invisible et la sécurité assurée, où l’environnement est scrupuleusement respecté. » (2).  A l’instar du Rwanda, tout en Haïti comme ailleurs est du domaine du possible, il faut pour cela une volonté de fer et la persévérance de politiques nationalistes.

Les Etats-Unis ayant probablement constaté la ferme résolution du Président Privert d’organiser des élections per fas et nefas, changent radicalement leur approche et souhaitent soudainement apporter leur appui moral à l’organisation de ces mêmes élections qu’ils ont préalablement désavoué, comme le rapporte Le Nouvelliste du 21 juillet 2016 (3).

Certains diront concernant ce volte-face des Etats-Unis que la politique est dynamique, fluide, malléable, et que tout change même les sentiments négatifs les plus coriaces. D’autres plus enclins vers la naïveté politique verront une possible réconciliation empreinte d’une meilleure compréhension de la conjoncture. Cependant, tout en applaudissant M. Privert, en le supportant dans cette voie et, à la lumière de la « realpolitik », je rejoins plutôt La Rochefoucauld qui pour l’humanité comme les nations stipulait cette sublime pensée : « Il est rare que l’hypocrisie résiste à toutes les épreuves. »

Patrick André

 

  • « Will a Haiti election without U.S. dollars undermine the vote?” – Miami Herald, 18/7/16
  • « Paul Kagamé : “Le Rwanda est une démocratie pas une monarchie” » – Jeune Afrique, 12/4/16
  • « Elections : l’international monte à bord du processus » – Le Nouvelliste, 21/7/16

 

 

Je suis Patrick André, l’exemple vivant d’un paradoxe en pleine mutation. Je vis en dehors d’Haïti mais chaque nuit Haïti vit passionnément dans mes rêves. Je concilie souvent science et spiritualité, allie traditions et avant-gardisme, fusionne le terroir à sa diaspora, visionne un avenir prometteur sur les chiffons de notre histoire. Des études accomplies en biologie, psychologie et sciences de l’infirmerie, je flirte intellectuellement avec la politique, la sociologie et la philosophie mais réprouve les préjugés de l’élitisme intellectuel. Comme la chenille qui devient papillon, je m’applique à me métamorphoser en bloggeur, journaliste freelance et écrivain à temps partiel pour voleter sur tous les sujets qui me chatouillent.

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