Fatras, matières fécales, tout y est déversé…
Haïti dispose d’un réseau naturel d’évacuation des eaux de ruissellement, constitué essentiellement de ravines et de rivières. À Port-au-Prince, l’eau de pluie venant du Morne l’Hôpital s’écoule par les ravines formées dans les replis de montagnes.
« La présence de l’eau n’est pas permanente dans la ravine. Il y en a plus lors des pluies », explique Philémon Mondésir, géomaticien au centre national de l’information géospatiale (CNIGS). Cette institution haïtienne produit régulièrement des cartes territoriales à partir de données provenant de satellites.
Une ravine n’est pas une rivière. « L’alimentation d’une rivière en eau se fait en permanence et elle possède un système de filtration lui permettant de fournir de l’eau propre », précise pour sa part, Jean Vilmond Hilaire, ex-ministre de l’Environnement.
Toutefois, certaines rivières peuvent se dégrader et recevoir des eaux de ruissellement composées surtout de gravats et de déchets ménagers, nuance-t-il. Dès lors, elles se transforment en ravines.
« Parce que la ravine charrie de l’eau sale, cela renforce la conception des gens d’en faire une mauvaise utilisation, puisque les autorités compétentes pour répondre à la problématique de la gestion des déchets ne font pas leur travail », poursuit Jean Vilmond Hilaire. Les ravines n’ont jamais fait l’objet d’une grande attention des instances concernées.
À cause de l’absence d’un plan d’aménagement du territoire, les ravines vont être exploitées, utilisées et occupées par certaines personnes. Le manque d’éducation des gens couplé à l’absence de politique environnementale engendre comme conséquence la crue des eaux pluviales, surtout dans les villes.
Sites de décharges
Les zones de Canapé-Vert, Carrefour-Feuilles et Fort-Mercredi, sont traversées par des ravines. Plusieurs habitants de ces endroits affirment qu’ils utilisent la ravine comme site de décharge, ou comme un espace pour évacuer de l’eau, pour éviter l’inondation de leurs maisons. Mais la plupart d’entre eux se montrent conscients du danger que représente la ravine pour l’environnement, à cause de leur mauvaise utilisation.
« Je suis conscient que les tonnes de détritus jetés dans les ravines envahissent la ville après la pluie, mais nous n’avons pas le choix », regrette Erntso Montour, qui habite près de Fort-Mercredi.
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Les ravines qui passent dans ces quartiers sont encombrées de détritus. Des centaines de familles ont érigé leurs maisons le long des ravines. Ces familles déversent pour la plupart leurs eaux usées, ainsi que les matières fécales de leurs toilettes directement dans la ravine.
Des conséquences majeures
La mauvaise utilisation des ravines du pays est lourde de conséquences sur l’environnement. « L’exploitation à outrance de nos ravines pour la construction des édifices augmente l’instabilité des sols, favorisant ainsi le risque élevé des glissements de terrain. », explique l’écologiste Jean Vermond Hilaire.
Les déchets déversés dans les ravines représentent aussi des menaces. « Cette pratique engendre la pollution des zones en aval, et ces déchets se dirigent vers la mer », dit-il.
Les sources d’eau potable peuvent être aussi touchées. « L’huile usagée des moteurs de voitures est toxique. Lorsqu’on en jette dans une ravine, une partie s’infiltre dans le sol et peut affecter la qualité de l’eau. L’autre partie transportée dans la mer constitue une réelle menace pour la survie des espèces marines. »
Mauvaise organisation
En général, les endroits où les ravines sont aussi mal utilisées sont des bidonvilles ou des quartiers populaires. « Ce sont des zones pauvres en termes de service collectif, que ce soit en eau potable ou en système de collecte de déchets, de route d’accès », remarque Jean Vilmond Hilaire.
L’expert en environnement et gestion des ressources naturelles estime que ce déficit favorise la mauvaise gestion de l’espace environnant les ravines.
Les zones où sont situées les ravines, en général, ne détiennent pas de bennes publiques. L’administration communale de Port-au-Prince, pendant le mandat du maire Youri Chevry, procédait au ramassage des ordures dans ces zones chaque après-midi.
Cette pratique n’a pas duré longtemps. La plupart de ces matériels sont en panne selon l’actuelle mairesse Kettyna Bellabe. La pratique de la pollution des ravines s’accentue.
Dépourvu du minimum
Selon Jean Vermond Hilaire, la problématique des ravines en Haïti est liée à trois autres problèmes majeurs du pays : déforestation, aménagement du territoire et gestion de déchets.
Les scientifiques estiment que le niveau d’éducation du peuple est le nœud gordien du problème de l’environnement. « Tous les Haïtiens polluent l’espace dans lequel ils habitent, dit Hilaire. La quasi-totalité des gens n’a aucune éducation pour la gestion de leur fatras », rajoute-t-il.
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L’absence de normes sanitaires de gestion de déchets et l’inexistence d’une politique environnementale adéquate sont à déplorer. « Les gens ne peuvent même pas faire un tri de leur déchet », regrette Jean Vermond Hilaire. Les déchets devraient pourtant être classés en 3 catégories : recyclables, non-recyclables et les déchets spéciaux.
« La pollution des ravines est un problème majeur lié à la pauvreté, à la corruption, au manque d’éducation et à la mauvaise gouvernance. Ces facteurs ne peuvent pas se dissocier des problèmes environnementaux du pays. Les multiples crises engendrées par ces facteurs n’ont pas permis aux gens de réfléchir sur leur espace », estime l’ancien ministre de l’Environnement.
Emmanuel Moise Yves
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