En marge de la crise du carburant, le gallon jaune fait sa rentrée sur la scène artistique. Regard sur ce récipient omniprésent dont la couleur vive séduit les organisateurs du festival Transe poétique
L’art s’empare du gallon jaune. Lors de la première édition du festival Transe poétique organisé du 18 au 21 septembre 2019, les poèmes se sont littéralement incrustés sur le récipient devenu symbole de la crise du carburant qui sévit en Haïti.
« Quand la justice est en détention, notre horizon est une flamme bienvenue aux pneus », écrit Jean D’Amérique sur un gallon jaune, pour traduire l’agonie et la situation chaotique du pays ces derniers jours.
« Je regarde la nuit à travers des barreaux, et malgré tous ces murs qui pèsent sur ma poitrine, mon cœur bat avec l’étoile la plus lointaine », poème du poète turque Nazim Hikmet, décédé en 1963.
Avec pour thème, « La poésie sauvera le monde », l’évènement met en valeur la poésie et son omniprésence dans les domaines de la cinématographie, la musique, le théâtre, etc.
Figure expressive
Pour les organisateurs, le récipient s’est imposé et constituait une occasion d’aborder l’actualité. « Le gallon jaune n’était guère figuré dans la planification pour le déroulement du festival », révèle Jean D’Amérique, directeur artistique de l’initiative.
« Si le monde va mal, poursuit le jeune écrivain, c’est parce qu’il y a un manque de poésie. L’utilisation du gallon jaune pour faire de la poésie est politique, cela peut amener les gens à lire des poèmes et surtout à ne pas perde du vue la crise sociale qui les environne ».
Et de continuer : « Le regard d’un poète sur la conjoncture devrait être continuellement valable à travers le temps ». La poésie peut aborder n’importe quelle réalité, ajoute Jean d’Amérique, elle va au delà du premier degré, au delà de l’imformation. Elle révèle une vérité plus profonde des choses. Plus loin, il affire que c’est justement pour cette raison que le discours du poète traverse le temps.
Par ailleurs, la poésie prenant l’actualité ou l’histoire comme matière première n’est pas un phénomène nouveau en Haïti. Par exemple, Anthony Phelps a écrit « Mon pays que voici », paru en disque en 1969, et édité en France en 1968.
Cet ouvrage de poésie emblématique raconte les grandes blessures de la colonisation, l’occupation américaine, entre autres. Ces écrits ont résisté au temps et continuent de décrire la réalité haïtienne.
L’artiste ne peut fuir le réel
En tant qu’opérateur culturel, Allenby Augustin pense que les travaux artistiques ne doivent pas fuir la réalité. Pour lui, le travail artistique est une forme d’engagement. « Les artistes sont des témoins et observateurs de la réalité. Leur œuvre devrait être le reflet de cette dernière ».
Augustin pense que l’utilisation des gallons jaunes au festival a bien son mérite. Selon lui, « la poésie peut orienter la politique à travers ses mots qui sont un puissant élément de la force de frappe stratégique ».
« Personne ne peut écrire au-delà de sa réalité », estime Jean D’Amérique citant Franketienne.
L’auteur du recueil acclamé « Nul chemin dans la peau que saignante étreinte » décrit la poésie comme étant un acte politique différent de la pratique en tant que telle. D’où le thème du festival « la poésie sauvera le monde ». Il prend racine dans un essaie de Jean-Pierre Siméon, invité d’honneur dudit festival.
Gallons jaune en Afrique
En Afrique, plus précisément au Ghana, les gallons jaunes sont aussi utilisés dans l’art politique. Comme en Haïti, ces récipients jouent dans ce pays un rôle important lors des pénuries de carburants ou d’eau.
L’artiste Serge Attukwei Clottey a même introduit le concept Affrogallonisme pour décrire ses représentations appelant à la justice sociale. Il utilise les gallons jaunes pour fabriquer des masques, des peintures murales ou des installations d’art en public.
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