CULTURE

Le Festival Quatre Chemins est aussi le travail de techniciens hors pair

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 L’univers du théâtre ne se résume pas aux comédiens, metteurs en scène ou directeurs artistiques. Durant une représentation, les effets sonores, les jeux de lumières, le décor et les costumes sont produits par des techniciens qui s’activent dans l’ombre pour ravir le public.  Découvrez le parcours de quelques professionnels haïtiens, l’espace d’un tour dans les coulisses du théâtre.

Accessoiriste, chorégraphe, régisseur de son ou de lumière, costumier, perruquier, scénographe, machiniste sont un ensemble de métiers aussi techniques qu’artistiques qui interviennent dans la grande machine, bien huilée, qu’est le théâtre. Derrière la scène, ces corps de métiers sont indispensables pour que le spectacle soit réussi.

Junior Neptune, régisseur de son durant la 16e édition du Festival Quatre Chemins, raconte longuement : « Je me souviens, une fois que je travaillais sur un spectacle, Gouyad Senpyè, j’ai fait jouer le son d’une arme à feu, au lieu de celui d’une voiture. Les comédiennes ont été surprises, désorientées. Anyès Noël, la metteuse en scène, est venue s’enquérir de ce qui se passait. J’en ai presque perdu le sommeil après, parce que le spectacle a failli être gâché à cause de cela. »

Pour réussir un spectacle, il faut une bonne synchronisation des lumières et des sons, a fait savoir Dérilon Dérilus Fils. Il est régisseur de lumière, collègue de Junior Neptune au Festival Quatre Chemins. Il ajoute avec fougue : « Nous, les techniciens, sommes là pour résoudre les problèmes, et s’ils surviennent durant la représentation, une solution rapide et effective doit être trouvée pour sauver le spectacle. Lorsque les comédiens montent sur scène, les dés sont jetés, tout repose sur nous, et sur eux. »

La formation n’est pas offerte dans les écoles haïtiennes

Depuis 2017, Junior Neptune exerce le métier de régisseur de son. Il en a appris les techniques sur le tas grâce aux frottements avec d’autres techniciens sur le Festival Quatre Chemins où il a été bénévole durant quatre ans. C’est aussi le cas de Dérilon Dérilus Fils, qui après un an de stage en tant que régisseur de lumière, a été employé comme assistant technique dans ce même festival. Il occupe ce poste depuis maintenant quatre ans.

En 2018, Junior Neptune a eu la chance de participer au Festival en Limousin (France), pour un mois de stage. Ensuite, en 2019, avec Dérilon Dérilus Fils, il est allé en Belgique, au Théâtre de Liège, pour un stage d’un mois et demi. Ils ont été pour le régisseur général (son et lumière) et régisseur de plateau.

Ces deux techniciens ont des parcours très différents avant de se tourner vers un métier technique du théâtre. Dérilon Dérilus Fils a reçu une formation en tant que comédien à l’École Nationale des Arts (ENARTS), puis s’est intéressé aux métiers techniques du théâtre, plus précisément ceux qui ont un rapport avec l’espace. Si, ce n’étaient pas les nombreuses participations en tant qu’apprenti sur les différents festivals de théâtre ou de musique, et les stages qu’il a accumulés, de même que Junior Neptune, il n’aurait pas pu continuer sur cette lancée.

Katiana Pierre, elle aussi travaille dans ce festival. Depuis 2016, elle est costumière. Il est vrai que des membres de sa famille exerçaient déjà ce métier, mais comme Dérilon Dérilus Fils, elle a eu une formation globale dans une institution en Haïti. Elle a étudié la haute couture chez Anne Marie Desvarieux, puis s’est spécialisée peu à peu, à mesure qu’elle travaillait sur différents spectacles et en travaillant avec différentes institutions, comme la Fondation Toya.

Il faut se trouver un mentor

Pour se former dans ce milieu, Junior Neptune encourage les jeunes à développer leur regard artistique. Ils doivent aussi développer un amour fort pour le métier qu’ils ont choisi d’exercer. Les jeunes qui veulent mener à bien un métier technique de théâtre doivent se trouver un mentor et user beaucoup de patience. C’est ce que préconise Katiana Pierre puisqu’aucune institution publique ou privée n’offre ce genre de formation en Haïti.

Frantz Providence a presque le même parcours que ses collègues régisseurs de son ou de lumière. Pour se lancer, il s’est trouvé un mentor. « En 2009, j’ai décidé de passer définitivement derrière la scène, parce qu’avant j’étais comédien, se remémore-t-il. J’ai débuté avec la troupe Dram’art, en 2004, et il y avait Rolando Étienne, metteur en scène à l’époque qui me guidait en me faisant participer dans les formations qu’il y avait dans ce domaine. »

Un corps de métiers très exigeants

Un régisseur de son ou ingénieur de son, s’occupe de toute l’installation sonore d’une salle de spectacle. Cela inclut entre autres, les branchements, les haut-parleurs, les microphones, la console de mixage. Il débarrasse le champ sonore de tous les bruits parasites et mixe les différentes pistes (musiques, sons d’ambiance, effets audio, voix de comédiens, doublages…), pour rendre le spectacle vivant.

Un régisseur de lumière, ou chef opérateur de lumière, est surtout un créateur de lumière. Il travaille pour créer une ambiance à chaque scène ou tableau du spectacle. Il a la responsabilité de contrôler : l’intensité, la fréquence et la position des différents types de lumières. Il doit les choisir et les installer lui-même. Et, tout cela peut être codé sur une feuille de route pour assurer le bon déroulement du spectacle, au cas où il serait absent.

Le costumier, lui, doit confectionner des habits sur mesure pour les comédiens, il doit être capable de travailler sous pression, dans l’urgence et les costumes sont soumis à de multiples retouches et ajustements. Ce professionnel doit avoir une bonne culture artistique et historique afin de pouvoir créer les habits d’une époque.

L’accessoiriste est presque comme le costumier, il doit aussi concevoir, mais pour le décor de la scène. Il devra assembler, fournir ou créer et entretenir les objets qui composent le décor. Il doit aussi avoir une bonne culture artistique et historique afin de pouvoir reproduire le décor d’une époque.

Tous ces professionnels travaillent de concert avec le metteur en scène, le scénographe et une longue chaîne d’autres techniciens interdépendants. Certains d’entre eux vont travailler du début à la fin du spectacle, aux répétitions, aux filages… D’autres vont continuer de bosser après le spectacle également, car le baisser du rideau ne veut pas dire que tout est terminé.

Un secteur en difficulté

L’acquisition de matériels adéquats est le plus gros handicap des artistes de la scène selon Katiana Pierre et Dérilon Dérilus Fils. La costumière parle aussi de l’énergie électrique qui est distribuée à compte-gouttes sur tout le territoire national. Dans le cadre de son travail, elle a constamment besoin d’électricité pour travailler.

Quant au régisseur de lumière, il attire l’attention sur le fait qu’il existe très peu de salles de spectacle adéquates, équipées des appareils nécessaires. «Souvent, j’ai dû bricoler ou improviser un appareil ou un système afin de contrôler les lumières, fait savoir Dérilon. Pourtant, il existe des appareils spécifiques pour réaliser ce genre de travail, comme la régie lumière ou le gradateur. »

Les possibilités d’emploi sont également très minces pour ces professionnels. Junior Neptune dénonce le fait que ce sont les mêmes personnes qui sont souvent sollicitées pour travailler sur les différentes activités culturelles. «C’est un tout petit secteur qui est replié sur lui-même », déplore-t-il.

Des techniciens incapables de joindre les deux bouts 

« Les spectacles ne sont pas si nombreux que cela, et les responsables ne paient pas forcément leurs dettes », a dévoilé Junior Neptune. Devant cette situation, les professionnels du métier technique du théâtre en Haïti n’arrivent pas à vivre comme il se doit de leur métier. Ils cumulent les responsabilités, comme Katiana Pierre qui à part d’être costumière, est aussi, professeure dans ce même domaine.

Frantz Providence, de son côté travaille dans le cinéma quand il n’est pas accessoiriste pour les spectacles de théâtre. « J’ai travaillé dans plusieurs films en Haïti, dont Meurtre à Pacot et des productions telenovelas. Récemment, j’ai travaillé avec Muska group sur leur dernier film », expose-t-il.

Derilon Dérilus Fils continue d’exercer ses talents de comédien et de conteur tout en étant régisseur de lumière. Actuellement, il désire placer une autre corde à son arc. Son intérêt pour l’espace et son agencement qui l’a conduit à travailler en tant que chef opérateur de lumière continue de le titiller. Il veut être aussi scénographe, où il sera attaché au metteur en scène et lui secondera dans la disposition des éléments de décor que l’accessoiriste aura conçus.

Hervia Dorsinville

Image: Fabrice Celony/Quatre Chemin

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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