EN UNEPOLITIQUE

Le devoir d’hypocrisie de Privert

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Le patriotisme n’est qu’un sentiment. Un sentiment ne dépendant que de la coïncidence de deux moments qui échappent totalement à nos volontés : d’abord naitre, ensuite, naitre sur un territoire précis qui déterminera les couleurs de ce sentiment. Nos passions envers notre nation et envers son père fondateur sont  des dérivés du heureux ou malheureux hasard qu’on soit né ici et non là.  En ce sens le patriotisme n’est que futilité  et platitude. Mais, curieusement, ce sentiment illogique demeure un ingrédient nécessaire à la recette des nations réussies et en santé. Notez aussi que, comme presque tout, l’excès en patriotisme se révèle néfaste pour la patrie.

Le Sud d’Haïti est à genou depuis le passage du cyclone Mathieu. La communauté internationale, malgré un échec encore visible et palpable de son aide post-2010, s’est rapidement mobilisée pour secourir  l’extrémité sud de notre territoire. Dans la foulée de ces actions de bonne grâce il y a eu le geste de notre voisin. Il est plus que naturel que la République Dominicaine apporte son soutien à son voisin en détresse. Sous aucun prétexte l’essence de cette action ne devrait être critiquée. Cependant, cela ne retire le droit à aucun haïtien, même dans l’actuelle crise humanitaire, de critiquer la manière dont cette aide ait été acheminée.

L’action humanitaire entre nations est autant l’expression de solidarité que d’action politique. Il faut donc également analyser ce geste de grande compassion à travers le prisme politique. Rejeter d’un revers de main ceux qui ont automatiquement dénoncé l’aide dominicaine sous le poids de leur patriotisme est dangereux car elle néglige la facette politique de la question. Analyser le mobile de l’aide venue de nos amis de l’Est est nécessaire, même dans l’effrayant contexte post-Matthew. Surtout que les 500 camions accompagnés de militaires dominicains laissent l’impression d’une démonstration de force.

Pour prouver l’irrationnel des réactions de certains suite au déploiement dominicain, dans un discours prononcé aux côtés de Ban-Ki Moon et Sandra Honoré,  le président Jocelerme Privert a démasqué l’absurdité de cette colère méticuleusement choisie dans notre large panorama d’ingérence étrangère.  Pourquoi les militaires dominicains dérangeraient beaucoup plus que ceux du Venezuela, de la Colombie ou du Brésil qui sont déjà sur notre territoire ? Rien que de l’hypocrisie, semble sous-entendre le président.

En dehors de la récupération politique de certains politiciens qui n’ont jamais vraiment défendu les intérêts de cette nation,  il est important que le Président  de la République ne tombe pas non plus dans un jeu de naïveté diplomatique. La République Dominicaine a des intérêts commerciaux diamétralement opposés aux intérêts économiques d’Haïti. Récemment, lors du miasme autour de la crise migratoire, le gouvernement dominicain s’est révélé prêt à ignorer des règles internationales  pour mettre en application une loi dominicaine aux facettes racistes et anti-haïtianistes. Si, comme le disait un fameux prédécesseur de M. Privert, « en politique la reconnaissance est une lâcheté », et  Privert et ses successeurs sont prêts à oublier cet acte de bienfaisance dominicaine pour défendre les intérêts commerciaux et migratoires haïtiens, cette aide et d’autres devraient être acceptées sans rechigner. Mais, si cette aide peut compromettre la force de négociation d’Haïti, il est nécessaire de la questionner et même la craindre.

« La politique est l’art du possible. » Le gouvernement haïtien et le président Privert n’ont peut-être pas les moyens de faire autrement. Parce qu’entre patriotisme stérile et  naïveté utile, il a peut-être choisi le second. Mais le simple citoyen doit pour son bien-être et celui de ses enfants, au-delà de tout patriotisme, souhaiter que le président, dans son for intérieur, est convaincu que  «La diplomatie est la dentelle de l’hypocrisie. »

Le jeu serait donc que dans sa dénonciation de cet abject patriotisme hypocrite lui-même soit froidement hypocrite avec nos frères dominicains. Sinon cette aide peut se révéler sur le long terme de la solidarité à la sauce salami.

Jétry 

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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