Le mythe de Midas ou comment le succès peut nuire aux écrivains… Les auteurs haïtiens, Davertige et Marvin Victor en sont probablement de bonnes illustrations
L’annonce du dernier Prix Goncourt a beaucoup animé la toile récemment pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il s’agit d’une récompense doublement atypique : un écrivain d’Afrique subsaharienne est récompensé pour la première fois par ce prestigieux Prix ; et c’est également le lauréat le plus jeune. Beaucoup diront que l’écrivain Mohamed Mbougar Sarr vient sans doute d’obtenir l’une des plus grandes distinctions de sa vie. Et c’est peut-être là son problème
Souvent pour évoquer le paradoxe de la pauvreté dans la richesse, nous nous référons au mythe de Midas. Roi de Phrygie (Asie Mineure), Midas reçut de Dionysos le don de transformer tout ce qu’il touche en or, devenant le personnage le plus riche de Phrygie, jusqu’à ce qu’il se rende compte que même l’eau qu’il souhaite boire, dès lors qu’il le touche, se transforme en or. Pour se défaire de cette « malédiction », Midas, supplia Dionysos de lui retirer cet étrange don.
En effet, plusieurs écrivains ont connu dans leur carrière un énorme succès qui a fait peser sur leur dos un fardeau qui les empêche d’avancer. Parfois, ce fardeau est dû à une récompense reçue très jeune, d’autres fois par la publication d’une œuvre majeure dont la peur de ne pas pouvoir rester à la hauteur vient hanter l’écrivain toute sa vie. L’écrivain Mohamed Mbougar Sarr en est bien conscient. Dans la mesure où son œuvre porte notamment sur un écrivain « maudit », ayant connu un grand succès. En 1968, Yambo Ouologuem reçoit le Prix Renaudot pour son livre-évènement « Le devoir de violence ». Véritable coup de tonnerre dans le milieu littéraire parisien, comme aujourd’hui d’ailleurs, où un « nègre » de 28 ans reçoit pour la première fois le Prix Renaudot. Il y a, nous semble-t-il, un effet miroir entre l’histoire de Yambo et celle de Mbougar Sarr, qui a avoué sur le plateau de Brut reconnaître que « Le succès à un prix, parfois c’est le silence ».
Plus proche de nous, l’écrivain haïtien Marvin Victor semble faire cette même expérience d’écrivain maudit, éclipsé par le succès de son œuvre. En 2011, paraît dans la collection blanche chez Galimard, sans doute, le roman le plus réussi et le mieux écrit d’après le séisme : Corps mêlés. Marvin Victor, âgé alors de 30 ans, avait déjà été distingué par le Prix du Jeune écrivain francophone. Depuis cette publication, l’écrivain semble être hanté par la crainte de ne pas pouvoir rester à la hauteur de lui-même, de son œuvre, s’effaçant totalement de la scène littéraire. Sur sa page Facebook, il s’est lui-même tourné en dérision, en écrivant « L’Auteur/d’un seul/et unique roman/MARVIN VICTOR IS DEAD!/FINALCUTTO ».
Avant lui, le poète Villard Denis, dit Davertige, était lui aussi habité par la hantise de ne pas pouvoir rester à la hauteur de son œuvre. Membre du groupe Haïti Littéraire aux côtés d’Antony Phelps, René Philoctète, Roland Morisseau et Serge Legagneur, il fit paraître en 1962 le recueil de poèmes considéré comme une véritable bible des poètes haïtiens après lui. Le livre est salué par le poète français Alain Bosquet dans un article au journal Le Monde, qui en fera une édition en langue française chez Seghers. S’installant tour à tour à New York, Paris, Montréal, Davertige ressassera son œuvre, sans jamais pouvoir écrire un recueil avec des poèmes originaux.
Le mythe de Midas semble s’appliquer à l’écrivain dès lors que son propre succès contribue à sa ruine. Cependant, tout écrivain est à la recherche de ce Graal, cette œuvre majeure qui lui permettra d’inscrire son nom dans le livre d’or de la littérature. Mais il risque au bout de sa vie de déclarer, comme le personnage du roman de Blaise Cendras, le général Johann August Suter, « l’or m’a appauvri ».
Wébert Charles
Comments