POLITIQUE

Le corps du citoyen tué lors de la manifestation aux Cayes confisqué par le Parquet

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Selon des témoins, le commissaire du gouvernement a sa part de responsabilité dans la fusillade qui a coûté la vie à Claude Louis. Plus de huit jours après les évènements, le commissaire refuse de remettre le cadavre à sa famille

Claude Louis, alias Tiklod, est le chauffeur de taxi moto qui a été touché par balle lors de la manifestation du 29 mars dernier aux Cayes. Il a été admis à l’Hôpital Immaculé de Conception (HIC) de la ville qui n’a pas pu lui sauver la vie. Plus de huit jours après, ses proches réclament son cadavre.

Selon l’avocat de la famille, Jean Milaire Thimothé, le commissaire du gouvernement des Cayes, Ronald Richemond, a confisqué le corps de Claude Louis. « La famille de Claude Louis n’y a pas accès. Ses proches m’ont dit qu’ils veulent voir son corps. Mais ils ne savent pas où il est. Le commissaire du gouvernement l’a confisqué de manière illégale et arbitraire », déclare l’avocat qui a transféré le lundi 4 avril 2022 une lettre formelle au magistrat pour faire état des demandes de ses clients.

Plusieurs citoyens dont des policiers sont sortis blessés des altercations au niveau de l’aéroport. La tour de contrôle de l’institution a été saccagé et un petit avion de l’organisation caritative Agape fut incendié. Selon Pierre Antoine Léon, membre de l’Opposition unifiée Sud, c’est au moment de l’apparition du commissaire du gouvernement sur les lieux que Claude Louis a été assassiné. « C’est cet incident qui a soulevé la colère de la population, dit-il.

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Cadafy Noël est journaliste. Il a assuré la couverture de la manifestation pour J-COM, un média digital dans le sud. Selon Noël, c’est au moment où les policiers de la Brigade Lutte contre le Trafic de Stupéfiants (BLTS) qui étaient avec le commissaire du gouvernement tentaient de disperser la foule que le chauffeur de moto a été atteint. « Les policiers faisaient feu pour disperser la foule qui descendait sur la route avec l’avion. Dans la foulée, l’individu a été touché d’une balle. C’est ce qui a poussé les manifestants à mettre le feu dans l’avion », révèle le journaliste.

Le corps de Claude Louis entouré par des manifestants. Photo : John Cadafy Noël / J-Com

Lors d’une conférence de presse le mercredi 30 mars 2022, le commissaire du gouvernement a déclaré qu’il confisque le corps de Claude Louis parce qu’il y a des points d’ombre autour de sa mort. Il souhaite trouver la vérité. « On ne sait pas vraiment qui l’a tué, dit Ronald Richemond. Si les agents de la BLTS qui étaient là avec moi tiraient à hauteur d’hommes, on n’aurait pas seulement un mort », avait-il déclaré.

« On ne sait pas vraiment qui l’a tué », dit Ronald Richemond.

Le représentant du gouvernement dans le système judiciaire se dédouane de toute responsabilité dans le dossier. « J’ai croisé plusieurs ambulances sur la route pendant que je me rendais à l’aéroport. Il y a probablement eu des blessés avant mon arrivée. Je dois faire une autopsie pour faire la lumière sur ce meurtre. Je suis déjà rentré en contact avec le docteur [Jean Armel] Demorcy pour les suites nécessaires », avait-il ajouté.

Ronald Richemond cherche, par cette démarche, à laver son image, car la clameur publique l’a indexé dans ce meurtre selon maître Thimothé. Le commissaire du gouvernement ne doit pas décider comme il le veut, déclare le coordonnateur général de la Clinique d’Analyse et de Recherches d’Assistance légale (CARAL).

Le docteur Jean Armel Demorcy, responsable de l’Institut médico-légal (IML) en Haïti, confirme avoir reçu l’appel du commissaire Richemond pour une demande d’autopsie.

« Le commissaire sait très bien qu’une enquête ne se résume pas à une autopsie, explique Demorcy. Il faut aussi l’audition des personnes qui ont assisté à la scène ainsi que les policiers qui étaient en mission. On doit avoir accès aux armes des policiers qui étaient sur les lieux pour les comparaisons », déclare-t-il à AyiboPost.

« L’enquête ne peut se réaliser sans les douilles des projectiles. Qui les a récupérés sur la scène ? », se questionne le médecin.


Faute de matériels, l’Institut Médico-Légal n’est pas en mesure de faire de radiographie pour le moment. Or, la radiographie est un élément primordial dans ce cas, selon docteur Demorcy. « Rien ne dit que la balle est dans le corps. On doit réaliser une radiographie pour voir si elle est dedans d’abord avant de prendre la décision de faire l’autopsie, explique le docteur. Nous n’avons pas de matériels permettant de faire la radiographie des morts par balle pour l’instant. Depuis plus de six mois, nous avons ce problème le ministre de la Justice est au courant. Nous avons envoyé des pro forma pour l’achat des matériels. Déjà deux mois se sont écoulés, ils ne nous ont rien dit. »

Docteur Demorcy ne sait pas quand le problème va se résoudre. Par conséquent, la réalisation de l’autopsie de Claude Louis n’est pas pour demain. Normalement l’institut médico-légal devrait avoir une morgue pour conserver le corps, mais l’institution n’en a pas.

Dégel Louis est le cousin de Claude Louis. Il suivait la manifestation sur les réseaux sociaux. Selon lui, son cousin a reçu une balle à la tête en arrivant devant l’aéroport Antoine Simon des Cayes alors qu’il se rendait en ville pour régler ses affaires. « Il n’était pas allé manifester, déclare Louis.  [Sur une vidéo], j’ai vu la personne avec une chemise rouge et un jean trébucher. Je ne savais pas si c’était Claude. C’est le lendemain que j’allais savoir que c’était lui. »

Dégel Louis présente son cousin comme un homme sage et respectueux.

Claude Louis vivait en concubinage avec sa compagne à « Laroche au pont », une localité située dans la 2e section de la commune de Camp-Perrin. Il se débrouille pour vivre avec sa famille. « La moto ne lui appartient pas. C’est sous contrat qu’il l’a prise. Il travaillait en tant que chauffeur de taxi, mais parallèlement, il cultivait la terre pour prendre soin de son petit garçon et de sa concubine », confie Dégel Louis.

Claude Louis a laissé un petit garçon de huit ans. Dégel Louis présente son cousin comme un homme sage et respectueux. « Il n’avait pas d’ennemi dans la zone. Son assassinat choque les gens du quartier. On ne pensait pas qu’il allait nous laisser ainsi », dit-il. « Nous sommes vraiment affligés. Claude est mort trop jeune », rajoute Louis.

Entretemps, la famille se prépare pour les obsèques. « Nous n’étions pas prêts pour ça, mais nous devons l’enterrer, lâche Dégel Louis. Je souhaite qu’on nous aide à organiser les funérailles. J’espère qu’on va aider son enfant. »

Claude Louis est dans la trentaine, d’après maître Thimothé qui s’est porté volontaire pour accompagner la famille ainsi que les autres victimes de la manifestation du 29 mars dernier. Les démarches se poursuivent. « Jusqu’à présent, la moto de Claude Louis est entre les mains du commissaire. Nous voulons qu’il nous rende tous les matériels que Claude avait en sa possession », réclame l’avocat.

L’avocat de la famille de la victime annonce qu’il va ester en justice contre le commissaire du gouvernement.

« Nous allons porter plainte contre Ronald Richemond et ses sbires pour assassinat, tentative d’assassinat et association des malfaiteurs au niveau du cabinet d’instruction », fait savoir le militant des droits humains.

Le 1er avril dernier, le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance des Cayes, Ronald Richemond, avait invité les initiateurs de la manifestation à comparaître devant le parquet pour répondre des questions concernant les dérives enregistrées à l’aéroport Antoine Simon. Près de 24 heures après, les invitations allaient être reportées à une date sine die.

La population dans le sud continue avec les manifestations pour exiger le déblocage de la route de Martissant qui est contrôlée par des caïds depuis tantôt dix mois. Les 7 et 8 avril sont les dates des nouvelles journées de manifestation dans la ville des Cayes.

Photo de couverture : Claude Louis atteint par balle. Photo : John Cadafy Noël / J-Com

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Molière Adely
Molière Adely pratique le journalisme depuis 2018. Il a déjà collaboré avec plusieurs médias. Étudiant en sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (FE/UEH), Adely s’intéresse à la politique, la culture et aux sujets de société.

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