Logé au sein de l’université Quisqueya, le Centre de conservations des biens culturels constitue l’unique centre de restauration des œuvres d’art dans le pays
Le Centre de conservation des biens culturels de l’Université Quisqueya (CCC-uniQ) a été inauguré en 2015. Il est issu du Centre de Sauvetage des Biens Culturels (CSBC), une structure mise en place après le séisme du 12 janvier 2010 dans le cadre d’un vaste Projet de Sauvegarde du Patrimoine Culturel Haïtien initié par la Smithsonian Institution de concert avec le Gouvernement haïtien et des dizaines de partenaires locaux et internationaux. Ce projet a permis de sauver et de restaurer des milliers d’œuvres d’arts endommagés durant le tremblement de terre.
Logé au sein de l’université Quisqueya, le CCC-uniQ est l’unique centre de restauration des œuvres d’art dans le pays. Il a accepté d’être le relais du CSBC comme espace de conservation et de restauration où les œuvres faisant parti du patrimoine visuel haïtien continuent d’avoir une seconde vie.
Erntz Jeudy, le restaurateur-conservateur en chef du CCC-uniQ revient sur les premiers moments qui ont donné vie à l’institution : «Le Centre de sauvetage des biens culturels (CSBC) était installé sur la route de Bourdon à Port-au-Prince, sous la direction de M. Olsen Jean Julien et par la suite le CCC-uniQ a pris naissance en vue de continuer avec les actions de sauvegarde du patrimoine que le CSBC a commencées. Car le CSBC a été mis en place dans le cadre de la réalisation d’un projet de sauvetage, alors il devait fermer ses portes pour qu’on puisse recommencer sur de nouvelles bases.»
La Smithsonian Institution, initiateur de ce mégaprojet en 2010, est un complexe qui regroupe dix-sept musées, un parc zoologique national, des galeries d’art et des centres de recherche. L’institution a été créée en 1846 par le Congrès aux États-Unis, suite à un legs de 100 000 livres sterling du chimiste et minéralogiste anglais James Smithson en 1826 à une institution américaine afin d’assurer la diffusion des connaissances scientifiques.
Ce projet de sauvetage en 2010 a été développé sous l’instigation de Richard Kurin, qui, à partir des réseaux de la Smithsonian, a lancé un appel aux différentes institutions et organisations qui travaillent dans le secteur des arts et de la culture et aux spécialistes de la conservation aux États-Unis et dans le monde afin de mettre en place un projet pour sauvegarder le patrimoine culturel haïtien.
Ce projet à la fois, visait à sauvegarder le patrimoine haïtien en péril et aussi à former des acteurs et à développer leurs compétences en conservation afin qu’ils soient aptes à protéger le patrimoine haïtien dans le futur.
Richard Kurin était à l’époque sous-secrétaire à l’histoire, à l’art et à la culture et était responsable de la plupart des musées nationaux, des programmes culturels, des centres de recherche dont le Centre pour les traditions populaires et le patrimoine culturel (CFCH- Center for Forklife and Cultural Heritage) du Smithsonian.
Ce projet de sauvetage du patrimoine culturel haïtien ne constituait pas la première collaboration de la Smithsonian Institution avec les acteurs culturels haïtiens. En 2004, Richard Kurin à travers le Festival du Foklore de la Smithsonian Institution baptisé « 2004 Haiti: Freedom and Creativity from the Mountains to the Sea » a célébré le bicentenaire de l’indépendance haïtienne. L’évènement a rassemblé près d’une centaine d’artistes haïtiens au National Mall de Washington, DC.
En 2012, Richard Kurin, à partir d’une bourse de la Smithsonian Institution, a permis à deux célèbres artistes haïtiens : Franck Louissaint et Jean Ménard Derenoncourt, de bénéficier d’un mois de stage afin d’étudier et de documenter les œuvres picturales, leur processus de fabrication et leur traitements. Et en 2014, Erntz Jeudy et Racine Joseph ont été reçu à l’ICPH (Institute for the Preservation of Cultural Heritage). Ces partenariats avec l’université de Yale et de la Smithsonian ont permis de renforcer les compétences de ces acteurs dans la conservation préventive, dans la conservation curative ainsi que dans la restauration.
Parmi les œuvres, les stagiaires ont travaillé sur la restauration d’une série de portraits du 19ième siècle de l’artiste haïtien Louis Rigaud qui sont dans la collection du Musée d’Histoire Naturelle de Peabody.
La Smithsonian avait acquise ces peintures en 1885, suite à l’exposition mondiale de l’industrie et du coton à la Nouvelle -Orléans et en 1963. Elle en a fait don au Yale Peabody Museum où elles sont exposées.
La Smithsonian est une institution où la présence de la culture haïtienne est très forte et qui possède toute une série d’archives sur les arts haïtiens dans leurs musées et leurs collections.
Le Projet de Sauvetage du Patrimoine Culturel Haïtien a permis de sauver grâce aux interventions du CSBC près de 5000 œuvres d’art de la collection du Centre d’Art ainsi que des œuvres issues du MUPANAH et une partie des murales de la Cathédrale de la Sainte-Trinité dont les fresques ont été réalisés par plusieurs peintres naïfs haïtiens tels que Philomé Obin, Castera Bazile, Wilson Bigaud, etc.
Aujourd’hui, le CCC-uniQ continue aujourd’hui ce travail de conservation et de restauration. Les interventions se divisent en deux grandes catégories : un axe qui agit dans les situations normales et un autre axe pour les situations de crise.
En temps normal, le restaurateur Erntz Jeudy fait savoir que le CCC-uniQ répond à la demande des institutions qui ont besoin de services en conservation-restauration de biens culturels; identifie en collaboration avec d’autres institutions de la place des œuvres importantes dans le patrimoine culturel du pays qui sont menacées et propose aux propriétaires un projet de traitement pour ces biens culturels. C’est dans le cadre de cette action citoyenne de l’université Quisqueya que le CCC-uniQ est en train d’assurer le traitement du tableau «Assomption de Notre Dame du Bon Secours» pour la Cathédrale du Cap et a permis au KNVA-Sud de créer sa collection autour du Rara.
Et dans les situations de crise, Erntz Jeudy continue d’expliquer : «A l’instar du CSBC et comme le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM) le préconise après une catastrophe, notre mission consiste à assurer dans les cas comme après le passage du séisme du 14 août dans le Sud : l’analyse de la situation post-catastrophe en vue d’élaborer un plan d’actions sur site spécifiquement adapté à une situation d’urgence; l’évaluation des risques et des dommages causés par la catastrophe sur les collections de biens culturels afin d’identifier et documenter les dommages et de fixer les priorités en termes d’action à mettre en œuvre; la sécurisation et la stabilisation des biens culturels qui sont en danger et endommagés, ce qui permet de limiter les dommages et minimiser les risques; la formation en secourisme culturel pour des participants appartenant à certaines institutions frappées par la catastrophe, afin qu’ils puissent participer eux-mêmes dans le processus de relèvement et d’en faire autant dans de cas pareil à l’avenir».
Le Centre de conservations des biens culturels constitue l’unique centre de restauration des œuvres d’art dans le pays, bien qu’il existe quelques particuliers qui exercent ce métier à titre individuel. Son équipe, composée de quatre conservateurs-restaurateurs : Erntz Jeudy, Godson Antoine, Marc-Gérard Estimé et Richard Rutger. Formés à l’École Nationale des Arts (ENARTS) et au Programme de gestion et de conservation des biens culturels à l’Université Quisqueya, ils ont suivi des formations et des stages poussés afin de renforcer leurs compétences dans la conservation-restauration.
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Pour ses huit années d’existence, le CCC-uniQ a posé des actions directes pour la conservation du patrimoine haïtien. «Pour un pays si riche culturellement et dont les témoins matériels de sa culture sont menacés à cause des multiples agents de détérioration, nos actions sont loin d’être suffisantes. Mais pour un centre de conservation si jeune, nous avons fait ce qui est possible avec les moyens du bord», explique Jeudy.
C’est ainsi qu’après le séisme du 14 août 2021 dans le Sud, le Centre a mis en place un projet de sauvetage qui, selon le restaurateur, a permis aux jeunes de la ville des Cayes de profiter à nouveau des activités de la bibliothèque de l’IPDEC et à la population de la localité de Camp-Perrin de bénéficier encore une fois des services des archives de la Chapelle Saint-Eugène et de la Paroisse Sainte-Anne et que la KNVA-Sud peut à présent mettre en valeur le Rara dans le Sud comme patrimoine culturel immatériel lié au Vaudou.
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La situation sécuritaire et sociopolitique du pays impacte énormément le travail du CCC-uniQ fait savoir Erntz Jeudy.
«L’’inaccessibilité de certains axes routiers et le stress provoqué par l’insécurité; l’absence des fournisseurs locaux pour les produits et matériaux que nous utilisons» font partie du lot des problèmes. Le restaurateur évoque aussi le manque de compréhension des acteurs culturels qui «ont du mal à accepter notre démarche déontologique qui consiste dans l’obligation d’intervenir de façon minimaliste et dans le respect de l’intégrité (physique, historique et esthétique) des œuvres d’art».
Malgré ces difficultés, il existe au sein de la petite équipe de conservateurs-restaurateurs du Centre cette passion commune pour les œuvres d’art, cette folle énergie pour continuer de tenir vivant et de conserver le patrimoine pictural haïtien pour les générations à venir.
«Nous développons un rapport affectif avec les œuvres qui ont bénéficié de nos interventions de conservation-restauration. Donc c’est toujours difficile pour nous quand leurs propriétaires viennent les récupérer. On peut prendre par exemple le cas du « Palais de Sans Souci » de Numa Desroches que nous avons restauré. Heureusement nous pouvons nous consoler sur un autre tableau de très grande importance dans notre patrimoine culturel : « Assomption de Notre Dame du Bon Secours » de Sully Moreau.»
Image de couverture : Sculptures conservées et tableaux en cours de restauration au CCC-uniQ. | © David Lorens Mentor/AyiboPost
Visionnez ce numéro spécial de notre émission « Chita Pale » réalisé en mai 2021 avec Kesnel Bien Aimé, le sociologue photographe, qui nous présente son travail dans ce domaine :
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