SOCIÉTÉ

Le catéchisme de Duvalier et la propagande raciste dans les manuels scolaires Haïtiens

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Dans 60 pages environ, un partisan de Duvalier le met presque au rang de Dieu. Mais la propagande, tant en politique que dans le système éducatif haïtien, existe de longue date

C’est un petit livre qui enseigne beaucoup sur le régime de terreur des Duvalier, mais dont les méthodes vont au-delà de l’effrayante époque de la dictature.

« Notre Doc qui êtes au Palais national pour la vie, que votre nom soit béni par les générations présentes et futures, que votre volonté soit faite à Port-au-Prince et en Province. Donnez-nous aujourd’hui notre nouvelle Haïti, ne pardonnez jamais les offenses des apatrides qui bavent chaque jour sur notre Patrie, laissez-les succomber à la tentation et sous le poids de leurs baves malfaisantes : ne les délivrez d’aucun mal. Amen. Ainsi soit-il. »

Ces lignes sont tirées de l’une des prières du « Catéchisme de la révolution ». Celle du dimanche, pour être précis. Cet ouvrage copié sur le modèle du catéchisme des catholiques, est un hommage sans limite à François Duvalier.

Dans une soixantaine de pages, Jean M. Fourcand, l’auteur, a inclus des poèmes, des oraisons, des litanies, des questions-réponses sur la doctrine duvaliériste et l’enfer qui est promis aux « camoquins », ces opposants qu’il faut « ratiboiser », « annihiler », « écraser à coups de grenades, de mortiers, de mausers, de bazookas, de lance-flammes, et d’autres outils… »

 Outils de propagande

Le catéchisme de la révolution aurait pu rester l’œuvre d’un partisan farouche de Duvalier, sans que cela implique des conséquences pour le pays entier. Mais le bréviaire n’est pas resté dans les bibliothèques. « On l’avait distribué à grande échelle dans le pays », dit l’historien Georges Michel.

Tout duvaliériste qui se respecte devait l’avoir. Les employés de l’État étaient censés l’avoir également. « Il était aussi distribué dans toute l’administration publique mais sans injonction, révèle le Professeur à l’Université d’État d’Haïti, Pierre Buteau. Ce n’était pas une obligation que les gens l’aient. »

Le bréviaire était aussi présent dans des écoles du pays. Duvalier utilisait les écoliers à dessein, tout au long de son règne, d’après Ralph Emmanuel François, analyste en leadership, charisme et influence politique. « Il passait par les élèves pour contrôler comment la politique était faite dans les familles, explique-t-il. En manipulant le système éducatif, il s’assurait une forme de résistance par rapport aux discours politiques différents qui pourraient avoir cours dans les maisons. »

Des pratiques anciennes

Mais les Duvalier n’ont pas le monopole de la propagande dans les milieux scolaires. La pratique remonte à bien plus loin, et est encore présente aujourd’hui. Jacques-Michel Gourgues est enseignant-chercheur.  Il a écrit des ouvrages sur des traces coloniales dans les manuels scolaires, notamment haïtiens. Le dernier à paraître bientôt, cherche ces traces dans le curriculum haïtien. Selon lui, la suprématie blanche est très ancrée dans notre système éducatif.

« La question de la race en est le parfait exemple, dit-il. On apprend encore à l’école haïtienne qu’il y a trois races. Or parler de race c’est introduire la notion de hiérarchie entre elles. Le Blanc occupe la première position, vient ensuite l’Asiatique, et le Noir est au bas de l’échelle. Dans les livres du curriculum haïtien, on dirait que toutes les bonnes choses, la ‘civilisation’, ont été apportées par les Français. Notre héritage africain ne se résume qu’à de la barbarie. »

D’autres traces prouvent encore l’influence dominante des anciens colons qui, grâce au concordat de 1860, se sont chargés de notre éducation, et ont pu écrire notre histoire à leur manière.

« La notion de perle des Antilles l’illustre aussi parfaitement, selon le professeur. Saint-Domingue n’était pas la perle des Antilles pour les Noirs. Elle l’était uniquement pour la Métropole, car la colonie représentait une grande part dans son économie. Pour les Noirs, la perle des Antilles n’était qu’un symbole de leur souffrance. Pourtant, très souvent on entend des Haïtiens le répéter. »

Au nom de Duvalier

Le catéchisme de la révolution est divisé en trois parties. Dans tout l’ouvrage, François Duvalier est considéré comme un dieu, et mis au rang des pères de la patrie. Une édition du livret a été publiée en 1964. C’est l’année du deuxième référendum de François Duvalier, afin de modifier la constitution pour prolonger son mandat à vie.

« C’était l’apogée du régime totalitaire de Duvalier, dit l’historien Georges Michel. C’était terrible.»

La première partie du livre, constituée de neuf chapitres, est un ensemble de questions-réponses sur l’idéologie duvaliériste, la personnalité de François Duvalier, et d’autres thèmes liés à la doctrine du président à vie. Le dictateur y est considéré comme « le plus grand patriote de tous les temps, l’émancipateur des masses […] le champion de la dignité nationale […] fait président à vie pour nous sauver. »

A la question « Comment Duvalier nous a-t-il rachetés ? », la réponse est presque comique : « Duvalier nous a rachetés en se sacrifiant et en souffrant pour nous nuit et jour au Palais national. »

Parmi les chapitres du livre, on en retrouve certains comme « Confession des camoquins », « acte de contrition des convertis », « acte de foi », « Salutation angélique » dédiée à Simone Ovide Duvalier, désignée première Marie-Jeanne de la République.

La deuxième partie du catéchisme comporte deux litanies, une prière, et un autre texte appelé exorcisme, dans lequel on assure que la nation entière a proclamé Duvalier, président à vie. Quant à la dernière section de ce bréviaire, elle présente une sélection de chants, à la gloire du dictateur.

« C’était plus qu’une idéologie, explique Ralph Emmanuel François. C’était de la manipulation pure. Il est courant que ces régimes veuillent entrer dans la routine des gens, en passant par les structures éducatives de la société elle-même. »

Un régime totalitaire

D’après Georges Michel et Pierre Buteau, ce catéchisme est un symbole du régime totalitaire de François Duvalier. « Le livre est inspiré du petit livre rouge de Mao Tsé-Toung, que Duvalier admirait », affirme Georges Michel. L’une des éditions du catéchisme livre à une couverture rouge, en effet.

Entre dictature et totalitarisme, il y a une légère différence. Le totalitarisme est un régime autoritaire qui s’impose non seulement par la terreur, mais qui cherche aussi à s’institutionnaliser, dans toutes les sphères de la société. Ce type de régime veut souvent créer un homme nouveau.

Selon Pierre Buteau, les gens ont tendance à refuser d’accepter que le régime de François Duvalier avait des visées totalitaires. « Pour la première fois dans l’histoire des dictatures haïtiennes, dit le professeur, on était en face d’un régime qui voulait endoctriner systématiquement la population. Duvalier appliquait tous les éléments des régimes totalitaires européens. »

Pour Georges Michel, c’était un lavage de cerveau complet. « Duvalier a tellement mis le peuple à genoux qu’il aurait pu laisser le pouvoir à son chien, en 1971, que les gens se seraient exclamés vive ‘toutou’ président d’Haïti », affirme-t-il.

Des marques qui durent

Selon Ralph Emmanuel François, les conséquences du régime des Duvalier sont encore présentes. “L’ombre des Duvalier plane encore sur la politique haïtienne, croit-il. Par exemple nous avons peur de la politique, jusqu’à présent. Tout le monde ne pouvait pas faire de la politique.” Ceux qui osaient participer dans le débat politique, sans autorisation, étaient exilés ou massacrés. De là, les parents ont imprégné leurs enfants de cette peur de s’occuper de la chose publique, qui nous reste encore.

Mais aussi, d’après le chercheur, c’est en grande partie à cause des Duvalier que beaucoup de jeunes n’ont jusqu’à présent pas de personnalités à prendre comme modèles. “François Duvalier a su couper l’accès à ce qui se faisait avant lui, en termes d’idéologie, explique Ralph Emmanuel François. Il dominait ainsi la sphère politique et éducative, pour empêcher ainsi que soit questionné le modèle qu’il proposait. ”

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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