Les entreprises de livraison de colis dans le pays ne sont pas toujours fiables
En 2015, Jacques Kendy Bellegarde crée Kwabosal, une jeune entreprise devant faciliter la réception de colis envoyés en Haïti notamment depuis les États-Unis. L’initiative fait grand bruit et attire certains investisseurs privés qui participent à l’aventure.
Quelques années après, Kwabosal accumule les dettes vis-à-vis de ses clients et des investisseurs. L’entreprise fait faillite, perdant au passage des colis estimés à des milliers de dollars américains. Kwabosal publie un formulaire Google, demandant aux clients lésés de déclarer le montant de leurs pertes. Certains n’ont rien reçu, jusqu’à aujourd’hui. Entretemps, Jacques Kendy Bellegarde émigre aux États-Unis, et devient difficilement joignable par les plaignants.
En 2020, les réseaux sociaux, notamment Facebook, s’enflamment après des dénonciations de Sybill Laviolette. Cette cliente d’une entreprise de livraison, Wizza shipping and logistics, accuse l’entreprise d’avoir perdu un colis destiné à elle. Le montant de la perte s’élèverait à 4000 dollars US.
Ces deux faits paraissent isolés, mais ils sont liés par le nom de Jacques Kendy Bellegarde, l’ancien patron de Kwabosal. Il est l’un des responsables de Wizza Shipping, caché derrière le patronyme de Jacques Michel.
Une histoire sans queue ni tête
Le samedi 28 mars 2020, Socrate Sainsmyr, un ami de Sybill Laviolette qui vit à Miami, se rend dans les bureaux de Wizza Shipping and Logistics, situés dans cette ville. Il compte envoyer un colis à Sybille Laviolette. Dans la boite, il y a deux téléphones, une tablette, une radio et quelques autres produits.
La cliente assure qu’un dénommé Nico a reçu la boite qui est restée ouverte. Celui-ci n’a pas fait d’inventaire ni n’a remis de reçu à Socrate Sainsmyr. Le jeudi 2 avril, jour où les produits devaient arriver en Haïti, Sybill Laviolette se rend au bureau local de Wizza Shipping, à Pétion-Ville. Malgré toutes les assurances de Jacques Michel, un responsable avec qui elle était en contact, sa boite ne se trouve pas parmi celles qui étaient arrivées ce jour-là.
Après plusieurs allers-retours infructueux, et des promesses de livraison ou de remboursement non tenues, Sybill Laviolette prend un avocat et entame le lynchage de la compagnie sur les réseaux sociaux.
Sortir de l’ombre
D’autres clients ont aussi eu à se plaindre des services de l’entreprise de livraison. Delva Lincolson est propriétaire de GDC, un magasin qui vend des articles de sport. Il assure avoir connu une mauvaise expérience. « Depuis le mois de janvier 2020, j’ai donné six palettes de colis à Wizza, pour livraison en Haïti. J’ai donné une partie de l’argent, selon une entente entre la compagnie et moi. Ils allaient les faire entrer par bateau. Pour acheter les produits, j’ai emprunté à la banque et j’ai vendu une voiture. »
À sa grande surprise, les produits ont mis des mois à être livrés. « À chaque fois que j’appelais, on me mentait sur la date de livraison des produits, dit-il. Au mois de mai, j’ai publié sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’entreprise. J’ai payé pour booster la publication. C’est à ce moment que les produits ont pu être livrés, après plus de cinq mois, et il en manquait. »
L’homme avec qui il correspondait au téléphone se faisait appeler Jacques Michel. « J’ai voulu avoir plus d’informations sur le propriétaire de l’entreprise. J’ai fait beaucoup de recherches sur Instagram surtout. J’ai envoyé la photo du dénommé Jacques Michel a des amis. J’ai fini par découvrir qu’en fait derrière ce nom, se cachait Jacques Kendy Bellegarde. Et c’est là également que j’ai appris qu’il avait été le patron de Kwabosal. »
Quand il a eu vent de l’affaire Sybill Laviolette, Delva Lincolson s’est empressé d’entrer en contact avec elle. « Elle manquait d’informations, dit-il. Je lui ai communiqué tout ce que je savais sur Wizza et Jacques Kendy Bellegarde. »
Wizza shipping and Logistics
Jacques Kendy Bellegarde nie être le propriétaire de Wizza Shipping. « Je suis un collaborateur qui reçoit un salaire, dit-il. J’ai beaucoup aidé à structurer la compagnie, car à ses débuts, elle était plus informelle. C’est moi qui ai créé les pages des réseaux sociaux de l’entreprise, mais mon rôle s’arrête à superviser les équipes de livraison. »
Questionné sur le fait que l’entreprise Wizza LLC (Ndlr : Limited liability Company) soit enregistrée en Floride, avec son nom comme personne autorisée, Bellegarde assure qu’il s’agit d’un autre projet. « Wizza est un nom que j’ai enregistré il y a près de trois ans, dit-il, pour m’assurer qu’il serait disponible. C’était le nom d’un restaurant spécialisé pour les adventistes que je comptais créer. Wizza shipping and logistics n’existe que depuis environ 1 an et demi. »
Toutefois, dans les registres de l’État de Floride, la date d’incorporation de Wizza LLC est le 4 avril 2019, ce qui fait coïncider cette date avec celle de la mise sur pied de Wizza Shipping and Logistics.
Des responsables fantômes
L’ancien responsable de Kwabosal n’a pas souhaité communiquer le nom du principal propriétaire de la compagnie Wizza. C’est aussi pour cela que les correspondances de Wizza Shipping sont signées J. Michel ou Jacques Michel, avec le titre de manager. « C’est un nom fictif, avoue Jacques Kendy Bellegarde. Il existe une personne appelée Michel dans la compagnie, mais il n’est pas un responsable. C’est moi qui ai écrit les notes sur les réseaux sociaux dans le cadre de cette affaire. »
Il assure par ailleurs qu’il essaie de régler à l’amiable le litige opposant Wizza à Sybill Laviolette. « Le jour où les colis de la cliente sont arrivés, c’est l’investisseur le plus important de Wizza Shipping qui l’a reçu, révèle-t-il. Mais il n’est pas très au courant des procédures de l’entreprise, il n’a pas fait d’inventaire ni de reçu. C’est une erreur que nous avons commise, mais la cliente aussi. Moi j’essaie de tout arranger, mais les autres veulent que Sybille Laviolette produise des preuves de ces achats. »
L’entrepreneur affirme qu’il n’a jamais mis en doute la liste des produits déclarés par Sybill Laviolette. Pourtant le 25 juin 2020, la compagnie envoie une sommation à la cliente dans laquelle elle assure que la liste des produits qu’elle a communiquée est « mensongère ».
D’après Jacques Kendy Bellegarde, les investisseurs de Wizza Shipping croient que Sybill Laviolette est de mauvaise foi, en ce qui a trait au montant de 4 000 dollars américains qu’elle réclamait. « Les responsables de Wizza sont sûrs que la boîte ne contenait pas des produits de toute cette valeur, dit Jacques Kendy Bellegarde. Au début, la cliente nous a seulement parlé de deux téléphones, une tablette et un récepteur radio pour voiture. Mais quand elle a compris que les produits étaient perdus, la liste s’est allongée. Aujourd’hui, elle réclame 4 400 dollars. »
Du déjà vu
Wizza Shipping et Kwabosal évoluent dans le même domaine, et semblent faire face aux mêmes difficultés pour l’instant. « Que les gens fassent des liens avec Kwabosal est peut-être inévitable, avoue Jacques Kendy Bellegarde, mais les deux cas sont très différents. Kwabosal a été victime d’un manque d’expertise et d’une mauvaise gestion. Nous n’arrivions même pas à transporter 500 livres de marchandises par semaine. Wizza Shipping a des chiffres d’affaires proches de 80 000 dollars américains par mois. »
La faillite de Kwabosal a laissé des dizaines de personnes mécontentes. Bolane D’Jeffrey est l’une des victimes. « Une première fois, j’ai envoyé un laptop, par Wizza, qui a été bien reçu en Haïti, dit-il. J’ai voulu continuer à utiliser leurs services. Ma femme était enceinte, alors j’ai envoyé beaucoup d’articles pour bébé. J’ai aussi envoyé beaucoup de provisions alimentaires. Jusqu’à présent je n’ai rien reçu. Les produits avaient une valeur de plus de 3000 dollars US. ».
Clients et investisseurs lésés
Les investisseurs qui ont accompagné Jacques Kendy Bellegarde n’ont pas non plus oublié les dettes de la compagnie envers eux. L’une de ces personnes, qui a préféré garder l’anonymat explique : « J’ai connu Jacques Kendy Bellegarde après sa participation à un concours d’affaires de Élan Haïti. Il était l’un des gagnants. J’ai découvert son sens des affaires. Et comme à l’époque je voulais investir, j’ai emprunté de l’argent à la banque, ajouté à mes économies. Je possédais environ près de 20 % des parts. » Cette personne a tout perdu.
Rayjah Jacotin Otarice faisait elle aussi partie des cinq investisseurs de Kwabosal. « J’ai contribué à hauteur de 2 500 dollars américains environ, explique-t-elle. Il était un ami de la famille, et moi je voulais investir dans son idée que je trouvais très bonne. Cela lui aurait permis d’agrandir l’entreprise. Au début, il disait que tout allait bien. Puis des clients ont commencé à se plaindre sur les réseaux sociaux, ils ne trouvaient pas leurs colis. » Finalement, cet investissement est une perte. Jacques Kendy Bellegarde qui dit avoir appris de ses erreurs assure qu’il compte rembourser tout le monde.
Kwabosal et Wizza ne sont toutefois que deux parmi plusieurs exemples qui révèlent le manque de sérieux que peuvent afficher certaines compagnies de livraison de colis. Medjine Edouard en a fait la dure expérience, avec une entreprise nommée iDream. « J’avais acheté des habits sur Amazon, dit-elle. iDream devait me les apporter. Après près d’un mois sans nouvelle, je suis allée à leur local. Il était fermé. Quelque temps après, ils m’ont écrit pour me dire qu’ils avaient fait faillite, qu’ils étaient jeunes et que je pouvais comprendre cela. »
Jameson Francisque
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