Ce boom touristique qui continue malgré l’insécurité et la crise économique ne profite pas nécessairement au nord du pays
En 2022, la station balnéaire de Labadie a accueilli 400 000 touristes et a vu l’arrivée de 133 bateaux de croisière, malgré les mises en garde multiples émises par des pays tels que les États-Unis et la Grande Bretagne contre la visite d’Haïti. C’est ce que révèle une source au sein de la Société Labadie Nord sous couvert de l’anonymat. La SOLANO, créée en 1985, gère l’escale privée de Labadie, louée par la compagnie de croisière Royal Caribbean International.
En moyenne, avant le Covid-19, le site de Labadie accueillait environ 800 000 touristes par an. En 2019, l’Association des industries d’Haïti (ADIH) a souligné, dans son bulletin de fin d’année, que plus de 700 000 croisiéristes avaient visité Labadie. Cependant, ce chiffre a considérablement chuté après le déclenchement de la pandémie.
Si visiblement Labadie reçoit des centaines de milliers de touristes, cela ne représente pas pour autant un indice significatif de la santé du secteur dans le Nord. Le manque de développement des zones environnantes handicape les activités touristiques et ne joue pas en faveur de la région. Ce n’est qu’en 2018, avec l’aide de la Banque Mondiale que l’État haïtien a inauguré l’axe routier reliant Cap-Haïtien à Labadie.
Si visiblement Labadie reçoit des centaines de milliers de touristes, cela ne représente pas pour autant un indice significatif de la santé du secteur dans le Nord.
C’est en 1986 que le gouvernement de Jean Claude Duvalier a engagé l’État haïtien et la compagnie américano-norvégienne, Royal Caribbean International, à travers un contrat d’exploitation exclusive du site de Labadie pour 64 ans. Selon les termes de ce contrat, l’état prélève environ dix dollars américains sur chaque touriste. Depuis, l’endroit, situé à cinq kilomètres du Cap-Haïtien, est devenu le lieu privilégié pour le tourisme de croisière.
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Cette péninsule de vingt-cinq hectares reste cependant une zone privée. À chaque visite, des paquebots géants y font escale avec des milliers de touristes qui ne visitent pas nécessairement la zone. D’habitude, ils séjournent pendant une journée puis s’en vont, suivant l’itinéraire du bateau de croisière. L’accès à l’environnement extérieur du site d’accueil étant fermé, les touristes n’ont aucun accès à la ville portuaire du Cap-Haïtien. Cette zone observe pourtant un regain des activités touristiques alors que les gangs étendent leur contrôle sur Port-au-Prince.
La réalité observée à Labadie est pourtant bien différente des autres endroits de la Caraïbe, à l’instar de Bonaire, Guadeloupe, Bahamas, Jamaïque, Aruba, etc., souligne à AyiboPost Jusline Rodné Jeanty, chercheuse en géographie et tourisme.
Cette péninsule de vingt-cinq hectares reste cependant une zone privée.
En Guadeloupe par exemple, dès les années 1980, il y avait déjà des installations hôtelières haut de gamme. Le développement de la restauration, du secteur de la location de voitures et des entreprises d’excursions ont permis à ce département d’outre-mer français de solidement profiter de l’excursion des croisiéristes.
D’ailleurs, le tourisme de croisière n’est pas profitable, à proprement parler. L’avantage est beaucoup plus du côté de la compagnie que de l’espace d’accueil, tandis que le tourisme de séjour nécessite l’utilisation d’hôtel, la consommation de produits locaux, etc. Une telle stratégie pilotée par les autorités politiques «entraînerait une rentrée économique considérable pour la zone ainsi que l’économie du pays», poursuit Jusline Rodné Jeanty.
Cependant, le faible développement d’Haïti, l’insécurité ainsi que la pauvreté engendrent un manque d’appropriation du tourisme par les habitants, ce qui ne contribue pas au développement territorial. La plupart des activités de la zone Labadie telles que le petit commerce, les troupes folkloriques, l’excursion en Kayak, ne fonctionnent qu’occasionnellement. De fait, malgré la richesse touristique de la localité, les touristes de Labadie restent fixés au site d’accueil.
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Situé à proximité du site, le village du même nom se trouve dans le même état de pauvreté que les autres endroits du pays.
«Il n’y a pas vraiment d’activités au sein du village qui offrent une possibilité d’emploi», observe Ricardo Valcourt, un habitant du village de Labadie.
La plupart du temps, des personnes directement employées à Royal Caribbean servent de guide ou de conducteurs de «kayak» aux touristes. Une information que la SOLANO confirme. Ces activités ont fourni plus de 300 emplois directs dans la zone, explique l’institution.
Toutefois, en 2016, un groupe de personnes à bord d’une dizaine de canots ont exprimé leur mécontentement quant au fonctionnement du site. En réclamant du travail, ils ont empêché l’accostage du paquebot « Freedom of the Seas ».
« Les gens du village utilisent des panneaux solaires, car il n’y a pas d’électricité se plaint Germain Coralus, marin du village de Labadie. Le village n’est pas canalisé, dit-il. À la moindre pluie, il est inondé. »
D’autres alternatives émergent également. L’une d’entre elles est portée par Benoît Jean, responsable d’une petite agence touristique Local Tours, qui organise des visites guidées pour des touristes locaux. « Lors de nos tournées, nous visitons les sites comme la Citadelle Laferrière, le Palais Sans Soucis », et ces activités ne sont pas forcément liées au flux du site de Labadie, témoigne Jean à AyiboPost.
Image de couverture : Labadee dans le nord d’Haïti
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