Haïti, première république noire du monde; pionnière des droits de l’homme et de la démocratie; mère de la liberté, mais qui deux siècles après, peine encore à construire une démocratie.
Depuis la sociogenèse de l’état haïtien, la politique souffre du mal chronique de la crise structurelle. Pas une période dans notre histoire de peuple libre n’est exempte de ce mauvais sort. On dirait qu’Haïti est une république de crises. Et ce constat alarmant trouve malheureusement son écho dans le courant de notre histoire de peuple.
Au lendemain de 1804, au tout premier balbutiement de la création d’un état, le paysage politique haïtien est totalement dévasté par des crises de toute sorte. La faiblesse des institutions représentant l’élément capital dans la constitution et l’existence même de l’état, l’absence d’un projet d’état-nation caractérisent notre système de gouvernance corrompu par des luttes acharnées et aveugles.
Loin de faire l’histoire de la sociologie politique haïtienne ou une approche de sociologie historique comparative, les événements politiques de l’histoire de notre société nous dessinent un schéma de crises géométriquement bien tracé, une circonférence de causes à effets qui se répètent presque linéairement dans le fil de l’histoire. Nous tournons en rond.
DE LA POLITICAILLERIE COMME HÉRITAGE
« Tout faire pour avoir le pouvoir et le garder », telle est la devise de nos politiciens. Et cette mentalité est ancrée au plus profond dans nos mœurs et coutumes politiques. Tous veulent avoir le pouvoir, même au péril du pays. Et cette obsession pathologique salit nos plus belles pages d’histoire. « Diviser pour régner », reste la formule magique de notre équation politique.
De DESSALINES à PÉTION, des DUVALIERS à ATISTIDE en passant par PRÉVAL, MARTELLY, et jusqu’à aujourd’hui, c’est la même rengaine. Les acteurs ont certes été changés au fil des décennies, mais la mentalité reste toujours la même.
Ce génome se partage de père en fils, de politiciens en politiciens. Depuis toujours, le pays n’a connu que des crises politiques et sociales. Chaque crise ouvre la voie à une nouvelle, et la plupart du temps, plus catastrophique que la précédente. De résolutions en résolutions, de transitions en transitions, rien n’a changé. Le mal est infini.
Malgré l’élan de démocratisation que le pays a connu pendant le XXème siècle, rien n’a bougé. Entre la guerre civile de 1902, la folle tuerie du 27 juillet 1915 perpétrée par Guillaume Vilbrun Sam et ses acolytes, notre histoire a été teintée de crises et de sang.
De la crise politique de 1957, qui a favorisé l’émergence de François Duvalier, en passant par les crises post-Duvalier, la crise de 2004, le pays n’a pas connu de répit. Après la chute des Duvaliers, une petite lueur est apparue à l’horizon. Le peuple aspirait à une démocratie et croyait en la réforme de l’état et des institutions. Mais on sera vite rattrapé par notre tragique destin.
La toute première tentative de la création d’un état démocratique, au lendemain de l’adoption d’une nouvelle constitution, a été soldée par un massacre à la ruelle vaillant, le 29 novembre 1987. Et depuis, le pays passe de coup d’état en coup d’état, de gouvernement provisoire en gouvernement provisoire. Quel en est donc le résultat…? C’est comme tomber de charybde en scylla.
Pas moins de 22 constitutions ont été promulguées jusqu’ici, environ une cinquantaine de chefs d’état et de gouvernement se sont succédés. Mais où en est-on? On court toujours après cet idéal démocratique qui ne cesse de nous filer entre les doigts.
Toute l’histoire politique d’Haïti est ainsi marquée par des crises et instabilités politiques, des troubles et bouleversements incessants. Et l’on peut égrainer une à une toutes les dates de notre histoire, ce sera le même constat. La crise est une constante dans la sociologie politique haïtienne. Et cette culture politique sordide semble être codifiée dans notre ADN de peuple.
LES CRISES POLITIQUES, UNE PARALYSIE POUR LE PAYS
Les mauvaises pratiques politiques fragilisent toute la structure sociale du pays. La lutte des classes, l’exclusion sociale, la guerre pour le pouvoir, déchirent entièrement notre tissu social, et brisent l’unité qui nous a fait naître en tant que nation. Outre les conséquences sociales dévastatrices, les désastres économiques qu’engendrent les crises politiques, tout au long de notre histoire, sont d’autant plus catastrophiques.
Depuis les 30 dernières années, les conditions socio-économiques du pays ne cessent de se détériorer. Si au début du XXe siècle, le pays pouvait compter sur sa production agricole, qui représentait plus de 70% du produit intérieur brut dont 50% provenait seulement du café, à présent tous les espoirs reposent sur la soi-disant aide internationale et les prêts usuraires qui ne font que ruiner le pays.
Pendant que les politiques se livrent au petit jeu de « Ôte-toi que je m’y mette« , près de 90% de la population haïtienne vit en-dessous du seuil de la pauvreté. Le pays se trouve en tête de liste des pays les plus pauvres du monde. Seul PMA de l’Amérique. Les vocabulaires ne manquent pas pour décrire la situation critique du pays.
Le pays est déchiré, meurtri, avec une économie languissante. Selon les experts, Haïti accuse un retard d’environ 50 ans par rapport aux autres pays de la région. C’est le lourd tribu de l’instabilité politique qui y règne depuis toujours.
Le pays est pris dans la spirale de la politique infernale. Les mêmes causes produiront toujours les effets.
Et tant que l’on persiste dans cette vieille tradition de crises politiques incessantes, l’histoire se répétera encore et encore… Et le pays sera condamné à un suicide lent. Et comme dirait l’autre : « le pays va de bime en bime jusqu’à l’abîme final ».
Rodly SAINTINÉ
Image: Aljazeera
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