La décision, en dehors de tout cadre légal, prise par le maire principal sans consultation avec quiconque provoque la colère
Adieu les débats enflammés. Fini les rendez-vous entre amants et amis dans les recoins de la place Saint-Pierre. Ce lieu public, placé au cœur de la commune de Pétion-Ville est livré par la mairie pour une période de 25 ans à la compagnie Lakay Fun World S.A.
Ce projet de partenariat public privé est paraphé le premier avril 2022. Selon les clauses du contrat, la mairie de Pétion-Ville a concédé la place à cette compagnie pour la transformation de celle-ci en un parc attractif de standard international. Concrètement, la compagnie devrait procéder à l’installation de jouets et de machines sur la place.
Selon l’article 3 de ce document truffé de fautes dont AyiboPost a obtenu une copie, la mairie de Pétion-Ville met déjà toute l’étendue de cette place à disposition de la compagnie pour la réalisation de ce parc attractif.
Aucun montant ni les modalités d’investissement n’ont été mentionnés dans ce contrat qui porte la signature du président du conseil municipal de Pétion-Ville, Kesner Normil et le PDG de Lakay Fun World S.A, Paul Jean Joseph.
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Mais, l’article 12 de ce document prévoit que la mairie de Pétion-Ville détient une quote-part de 5 % des revenus mensuels dans le cadre de ce partenariat. La compagnie Lakay Fun World S.A aura à verser le montant à la Direction générale des impôts (DGI).
Ce projet n’a pas été approuvé par les deux autres membres composant le conseil municipal de Pétion-Ville. Staco Amazan, maire adjoint de PV, affiche son désaccord vis-à-vis de l’initiative.
Ce projet n’a pas été approuvé par les deux autres membres composant le conseil municipal de Pétion-Ville.
Alors que le contrat pour la réalisation de ce projet est paraphé depuis le premier jour du mois d’avril, Staco Amazan a eu connaissance du projet hier 25 avril. « Les travaux de clôture de la place Saint-Pierre ont commencé depuis ce week-end, dénonce-t-il. J’en suis informé ce lundi et c’est à ce moment que j’allais apprendre que la place va être privatisée et que la mairie a déjà donné son aval par le biais du maire principal, Kesner Normil », dit-il à AyiboPost.
Contacté à plusieurs reprises, Kesner Normil, n’a pas répondu aux appels de AyiboPost pour pouvoir apporter sa version des faits. AyiboPost n’a pas pu entrer en contact non plus avec la compagnie qui avance très sérieusement avec le projet. Le plan a été monté par un architecte et un ingénieur.
« On n’était pas au courant du projet et le conseil municipal n’a pas été réuni pour en discuter. En vrai, le maire principal n’a pas eu notre mandat pour participer à ces discussions ni parapher le document », se dédouane Staco Amazan.
La mairesse Alexandra Roumain estime que ce contrat n’a aucune valeur juridique
La mairesse adjointe de Pétion-Ville, Alexandra Roumain abonde dans le même sens que son collègue Amazan. « La place Saint-Pierre est un espace historique, c’est une place centenaire qui traîne toute une histoire derrière lui. Où est-ce qu’on va accueillir les élèves du lycée de Pétion-Ville situé en face de la place ? La mairie ne peut donc pas engager l’État dans une pareille condition », dit-elle.
Aussi, la mairesse estime que ce contrat n’a aucune valeur juridique devant la loi, vu qu’il a été unilatéralement paraphé par le maire principal. « Selon l’article 74 du décret du premier février 2006 définissant le cadre général de la décentralisation, les principes de fonctionnement et d’organisation des collectivités, toutes les décisions prises de manière unilatérale par un des membres du conseil, y compris le maire ou la mairesse principale seront déclarées nulles et non avenues », argumente Roumain.
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La mairesse annonce qu’elle va entreprendre des actions pour stopper le déroulement des travaux sur la place Saint-Pierre. « Cela n’a aucun sens, puisqu’on ne peut pas arbitrairement privatiser un bien du domaine public de l’État », affirme-t-elle.
Le concept de partenariat public-privé utilisé dans le contrat est relativement nouveau dans le paysage institutionnel et administratif haïtien. Un avant-projet avec deux lois et un arrêté a été élaboré en 2015 pour encadrer ces initiatives, mais il n’a pas encore obtenu l’approbation du parlement.
Selon cet avant-projet, tout contrat de partenariat public privé doit faire l’objet de concurrence. La procédure de gré à gré qui semble avoir été adoptée par la mairie est formellement interdite pour des raisons évidentes de luttes contre la corruption.
25 clauses devraient figurer dans le contrat. Entre autres, l’on retrouve les obligations contractuelles des parties et répartitions des risques, l’étude d’impact environnemental et modalités de protection, y compris du patrimoine culturel haïtien, les modalités de rémunération de l’opérateur privé et structure tarifaire le cas échéant… La grande majorité de ces exigences ne figurent pas dans le contrat.
L’État haïtien a créé au sein du Ministère de l’Économie et des Finances, une Unité centrale de Gestion des Partenariats Public-Privé (UCG/PPP). Il n’est pas clair si elle a été consultée par le maire principal de Pétion-Ville.
Selon l’article 2 du décret du 22 septembre 1964, les biens du domaine public de l’État sont inaliénables et imprescriptibles. Le domaine public est composé de toutes les choses qui, sans appartenir à personne, sont, par une jouissance en commun, affectées au service de la société en général. Il s’agit des routes, marchés, places publiques, rivières, entre autres.
« Pour que la mairie puisse engager un bien du domaine public de l’État, il va falloir que ce bien soit déclassé vers le domaine privé de l’État », estime Louis Jadotte, un ingénieur qui gère pas mal de projets de construction. « Ce déclassement est un acte du parlement et non d’un maire encore moins d’un maire intérimaire qui a été nommé de façon illégale et inconstitutionnelle par le défunt président Jovenel Moïse », dit-il.
Selon la loi, les biens du domaine public de l’État ne peuvent pas être affermés à personne puisqu’ils sont généralement au service de la collectivité. Les propriétés du domaine privé de l’État peuvent être affermées à des particuliers à un montant de 6 % de la valeur marchande réelle et actuelle de la propriété affermée.
Ce montant doit être annuellement payé à la direction générale des impôts (DGI). Et, c’est le décret du 22 septembre 1964 qui fixe les conditions préalables pour devenir fermier de l’État, rapporte le responsable de communication de la DGI Hugues Celestin, lors d’un entretien à AyiboPost le mois dernier.
La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif va-t-elle se saisir de ce dossier ? Acceptera-t-elle de donner un avis favorable à un tel projet ? Dans l’attente d’une réponse à ces questions, certains contribuables de la commune de Pétion-Ville ont déjà dit non à ce projet.
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