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La longue liste des actions illégales de l’unité qui a mené « l’opération Petit Bois »

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L’USGPN outrepasse regulièrement son rôle

Une vingtaine de personnes, dont un juge de la Cour de cassation, sont arrêtées à Tabarre dimanche 7 février dernier. Elles sont accusées de complot contre la sûreté intérieure de l’État.

Cette opération a été menée par des agents de l’Unité de sécurité générale du palais national, USGPN. Selon un ancien directeur général de la police nationale, cette opération est illégale, au vu des principes qui régissent l’USGPN. L’ancien cadre a demandé l’anonymat.

Les agents de l’USGPN n’ont pas le droit de participer à des opérations hors des grilles du palais. Au contraire de l’Unité de sécurité présidentielle (USP) qui sécurise la personne du président et sa famille, l’USGPN n’a même pas le droit de pénétrer l’enceinte du Palais national.

« Même pour marcher sur les trottoirs de l’avenue de la République, qui passe devant le palais, les membres de ce corps doivent obtenir l’autorisation du directeur général de la PNH », confie l’ancien directeur.

Pourtant, dans son rapport dressé 24 heures après les faits, la Fondation Je Klere souligne que le commandant de l’USGPN, Dimitri Herrard qui, « règlementairement n’a pas le droit de participer à une opération de police », était sur les lieux de l’opération mené à Petit Bois, le 7 février.

La responsable de la fondation, Marie Yolène Gilles, confie que le juge lui a avoué « avoir été frappé » et humilié, par les agents de cette unité.

Loin de sa mission

La mission de l’USGPN est consignée dans un document connu sous le nom de « Directive 030 » souligne l’ancien responsable de la PNH. Il a été signé en Conseil Supérieur de la Police nationale (CSPN) le 25 février 1996.

Il est difficile de consulter ce document. Cependant, dans un communiqué de presse publié en novembre 2018, le Centre d’analyse et de recherche en droits humains et le Réseau national de Défense des Droits de l’Homme avaient dévoilé les prescriptions de l’article 22 de la directive #30, qui présente les missions spécifiques de l’unité.

Elle assure la garde et la sécurité des bâtiments du palais national, des résidences privées du président de la République en exercice, des résidences privées des anciens présidents de la République. L’USGPN escorte également le convoi présidentiel, lorsque le président se déplace en véhicule.

Lire aussi: Des magistrats dénoncent l’arrestation illégale d’un juge à la Cour de cassation

Un décret, publié le 1er février 2016, fixe aussi les missions et attributions des différents organes et services de la présidence de la République. L’article 34 de ce décret précise davantage le rôle de l’USGPN.

« L’Unité de sécurité du palais national est une unité de la police nationale d’Haïti, basée au palais national, et effectuant des missions de sécurité et de services indispensables au bon fonctionnement de la Présidence de la République. Elle a la responsabilité principale d’assurer la sécurité du premier périmètre de la présidence de la République ainsi que les services d’honneur au palais ».

Un agent de l’USGPN, qui a requis l’anonymat, confirme le rôle somme toute marginal de l’unité dont il fait partie depuis plus de quinze ans. « L’agent de l’USGPN est assigné à surveiller la cour du palais, dit-il. Mais l’unité peut participer dans des “jalonnements’ ».

Ces jalonnements consistent à examiner la zone du palais au moment où le président y entre ou en sort.

Une milice présidentielle?

Depuis quelque temps, le rôle et la mission de l’USGPN sont dévoyés. L’unité est remarquée sur tous les fronts, à presque toutes les manifestations de rues qui réclament le départ de Jovenel Moïse. Ses agents s’en prennent parfois aux manifestants.

Ainsi, les étudiants de l’école normale supérieure ont indexé des agents de l’USGPN dans l’assassinat par balles de l’étudiant Gregory Saint-Hilaire, dans l’enceinte même de sa faculté le 2 octobre 2020. Selon des témoins, des agents de cette unité ont laissé leur périmètre de travail pour commettre le forfait.

Cependant, outre leurs tâches officielles, le champ d’action des agents de l’USGPN est limité. Ils peuvent intervenir lorsque dans les rues, hors du palais, ils sont témoins d’un crime. Ils peuvent agir, en attendant l’arrivée de l’autorité de police compétente, lit-on dans un rapport d’enquête du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, publié en 2009. Cet organisme de l’ONU a enquêté sur des exactions commises par cette unité de la police nationale de 1995 à 2002.

L’ancien directeur général confie que si, pour trouble à l’ordre public, l’USGPN arrive à maîtriser un individu, elle doit faire appel au commissariat le plus proche pour les suites nécessaires.

Lors du carnaval de 2009, les agents de l’USGPN qui sécurisaient le périmètre extérieur du Palais ont dû solliciter et attendre l’autorisation de la Direction générale de la PNH, pour se placer sur le trottoir, devant le palais national.

Ainsi, tout déplacement du corps hors des limites du périmètre réglementaire doit se faire avec l’autorisation du directeur général, dévoile l’ancien haut gradé de la PNH. Lors de l’adresse à la nation du président avant son envol vers Jacmel, il a suggéré que le haut commandement de la police n’était pas au courant de « l’opération Petit Bois ».

Un déclin annoncé

Le non-respect des règles de l’USGPN vient de loin. À ses débuts, selon l’ancien directeur, l’USGPN était composée d’anciens militaires et de policiers bien formés.

Mais l’ancien président Jean Bertrand Aristide y a intégré des zélés de son pouvoir. Ainsi, après sa chute en 2004, 86 agents de l’USGPN ont été renvoyés du Palais national.

Ces pseudos policiers faisaient partie de l’USGPN, mais n’étaient pas de vrais agents. Ils percevaient leur salaire directement de l’administration du Palais.

En 2018, le nouveau commandant de l’unité, Dimitri Hérard, a transféré des anciens de l’USGPN afin de les remplacer par des jeunes, plus proches de la famille politique du président.

Selon l’ancien directeur de la PNH, l’USGPN aujourd’hui est remplie de civils qui sont au service du pouvoir. Jean Ednord Innocent » Flex”, arrêté à Pont-Morin le 11 février 2019, faisait partie de cette cohorte, selon lui.

Cet ancien policier avait intégré l’USGPN, mais il a été lâché par le Palais national sous pression des autorités américaines qui le recherchaient pour trafic de stupéfiants.

 L’histoire se répète

Le rapport de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés révèle que l’Unité de sécurité générale du Palais national a participé à des actes de « violation des Droits de la personne », de 1995 à 2002 en Haïti.

Selon un autre rapport publié par Human Rights Watch, en 1997, entre 1995 et 1996, des unités spécialisées de la PNH, dont l’USGPN, auraient fait 46 morts et une cinquantaine de blessés à travers la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Le 22 juillet 2001, un directeur d’hôpital qui avait accusé le ministre de la Santé de corruption a été arrêté par des membres de l’USGPN habillés en civil.

La police n’a pas pu fournir des justifications concernant l’arrestation et le directeur d’hôpital a été remis en liberté le 26 juillet, sans aucune charge retenue contre lui.

Samuel Celiné

Une vingtaine de personnes sont arrêtées à Tabarre dimanche 7 février et non dimanche 8 fevrier, comme le spécifiait une précédente version de cet article. 18.2.2021 17.00

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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