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La corruption en Haïti et le devoir d’indignation

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« Il y a deux genres de corruption : l’un, lorsque le peuple n’observe point les lois, et l’autre lorsqu’il est corrompu par les lois » écrivait Montesquieu. Force est de constater que la République haïtienne souffre aujourd’hui de ces deux maux.

En effet, la politique, comme technique de la paix, de la gouvernance au service du peuple et de l’ordre intérieur, s’est paradoxalement transformée en une machine infernale contre le progrès et le développement économique. Le clientélisme, la corruption et l’irresponsabilité vont de la base au sommet de la hiérarchie gouvernante. De ce fait, « sévir et non servir » semble être devenu la nouvelle devise tant des membres du gouvernement que des agents de l’État.

Une néo-bourgeoisie arriviste et parasitaire, avec la complicité des membres du gouvernement, s’est emparée des secteurs économiques liés aux pouvoirs publics, et s’est ainsi arrogée à la fois le monopole des contrats publics, paralysant ainsi le développement économique du pays. Martelé par le rapport Beauplan, le faisceau d’indices graves, précis et concordants est suffisant pour que soient enclenchées des poursuites judiciaires à l’encontre de ceux qui se sont emparés, à des fins toujours personnelles, des ressources de l’État.

Sans doute, ce rapport accablant devrait nous interpeller. Immense étant encore ce que nous ne savons toujours pas de l’extrême gravité des faits. Je suis frappé de voir que le président de la République invoque une prétendue « chasse aux sorcières », au lieu d’accepter cette réalité. Célébration béate de l’isolement et de l’absence de responsabilité, la logique présidentielle allie irresponsabilité et aveuglement.

Faut-il rappeler que le premier ennemi de la jeunesse haïtienne est la corruption de l’ancienne garde, qui, pour conserver ses avantages, a sacrifié la méritocratie au profit d’une médiocratie érigée en norme absolue? Un constat avant tout regrettable pour le développement économique de notre pays mais aussi source d’instabilité politique, en ce qu’il ne fait qu’accroître la pauvreté d’une population dont les richesses sont concentrées dans les mains d’un petit nombre.

Qui, en Haïti, ne savait pas que les fonds Petro Caribe n’ont servi qu’une petite minorité d’hommes d’affaires et de ministres ? Qui, en Haïti, ne savait pas que les procédures de passation de marché public sont opaques et non-respectées ? Qui, en Haïti, ne savait pas que le système judiciaire est plein de magistrats corrompus ? Qui, en Haïti, ne savait pas que des ministres, exploitant l’absence d’une autorité régulatrice de la transparence de la vie publique, triplent leurs patrimoines au bout de quelques mois et années ?

On peut se référer aux instances internationales et plus précisément aux Etats-Unis, où des hommes d’affaires et des politiques haïtiens sont souvent condamnés pour violation de la Foreign Corrupt Practices Act (« FCPA »). Le FCPA est une loi interdisant les paiements illicites aux agents publics étrangers à des fins de corruption. Dans la plupart des dossiers à l’encontre des agents publics haïtiens, ces derniers sont passés aux aveux. Le droit médiéval ne nous a t-il pas d’ailleurs appris que l’aveu rend la chose notoire et manifeste ?

Si le long bras des lois américaines surveille et punit, le droit classique haïtien est mal armé pour réprimer la délinquance économique, surtout quand il s’agit de sanctionner. Plus précisément, le lien hiérarchique entre l’exécutif et le parquet est un véritable obstacle dans la lutte contre la corruption. C’est la raison pour laquelle je préconise une réforme visant plus d’indépendance dans les lois qui encadrent les relations exécutif-parquet, et surtout un dispositif qui interdirait au Ministre de la Justice d’adresser aux magistrats des instructions dans les affaires individuelles. Par ailleurs, je préconise la création d’un parquet national financier indépendant, doté d’une compétence élargie, pour lutter contre la délinquance financière, et surtout le détournement des fonds publics. Et finalement, je préconise une meilleure protection pour les lanceurs d’alerte, car je suis convaincu qu’il y a des femmes et des hommes intègres dans la fonction publique.

L’échec du contrôle de la corruption en Haïti est une menace suprême pour l’Etat de droit. Le combat à mener et les réformes à accomplir sont immenses. Poser les jalons du renouveau implique une prise de conscience aiguë des enjeux actuels. Il nous appartient, à nous, de prendre en main le destin de notre pays. De droite ou de gauche, la lutte contre la corruption doit être notre première priorité.

Je garde pour fil d’Ariane que nous vivons à l’aube de l’une de ces mutations qui, ajoutée à tant d’autres, écrit et forge l’histoire de notre pays. Saisissons cette opportunité pour exiger de nos dirigeants politiques la probité. En tant que citoyen, nous en avons le droit mais aussi le devoir.

Un poète latin n’a-t-il pas écrit que « si la nature ne t’a pas donné le génie, l’indignation te rendra génial ». Contemplatif ou combatif, indignez-vous !

Wesley Lainé

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Juriste | diplômé de l’École de Droit de Sciences Po et de la Harvard Law School | Cavalier sur un cheval cabré | Twitter : @WesleyLaine

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