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La consommation de viande de cheval se popularise en Haïti

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La consommation du cheval se serait popularisé dans le Nord du pays où l’on assimile cette viande à celle du chameau. Depuis un certain temps, d’autres localités du pays y ont pris goût. Ayibopost vous propose un plongeon dans cette réalité

Nous sommes à Léogâne où l’on n’abat pas les chevaux dans les marchés publics. Pourtant la consommation de ce mammifère n’est pas une pratique clandestine. « Si vous voulez acheter du cheval, il faut non seulement avoir les contacts d’un abatteur privé, mais vous devez aussi venir de très tôt, parce que cette viande est très demandée », précise Blanc, le motard qui nous conduit lors de notre visite à la Cité Anacaona.

Nous avons presque fait le tour de la ville pour trouver un abatteur privé qui disposait encore de la viande chevaline chez lui. Tous nous ont déclaré que la vente a été bonne et qu’il ne leur restait même pas un poil de l’animal. Il était environ midi. « Revenez la semaine prochaine », nous dit une dame.

Blanc commençait à se lasser quand un homme dans une station de motos nous a expliqué la voie qui mène chez un certain Malè. Ce monsieur serait le plus grand vendeur de viande de cheval de la zone. « Malè a toujours un peu de viande chez lui », dit-il d’un ton sarcastique.

Malè, un abatteur de cheval à Léogane. Photo : Frantz Cinéus

Les vertus présumées de la viande de cheval

Malè qui n’a pas voulu donner son vrai nom est un homme de grande taille qui vit dans une zone appelée Belval. Sa maison se trouve à proximité d’un large terrain boisé. C’est là qu’il élève ses chevaux avant de les abattre. Cela fait un an depuis que l’abatteur est dans ce commerce. « Avant, je vendais du lambi à Port-au-Prince », nous apprend Malè alors qu’il nettoie des feuilles d’olivier pour le bouillon de cheval qu’il vend tous les soirs.

Ce matin, l’homme avait déjà abattu un cheval. Il y a sur la grande plantation tout près de chez lui un morceau de tôle tâché de sang et des poils de l’animal qui vient d’être écorché. Non loin de là, des quartiers de viande sont accrochés à un arbre. Dans sa cuisine, il a déjà lancé la cuisson des parties qu’il intègrera au bouillon du soir.

Le vendeur nous présente un morceau en dégustation.  C’est « la courtoisie » qu’il dit offrir à tous ses clients. « Quand les gens viennent nous voir, nous leur donnons toujours un bout à manger pour les encourager à acheter », explique-t-il.

Il n’a pas terminé ses explications que des hommes venant de toutes parts débarquent. Certains se mettent tout de suite à casser des noix de coco qu’ils se partagent en discutant.  Selon ces hommes, cette viande crée une belle ambiance de convivialité entre les gens de Léogâne. Ils racontent que pendant la période du Rara, de nombreuses personnes y viennent pour consommer un plat de cheval arrosé de clairin.

Mais ce n’est pas tout. Cette viande aurait des vertus particulières si l’on se fie aux explications du groupe. « Le cheval devance toutes les viandes en goût et en vitamines », clame Malè d’un ton fougueux. « Les hommes l’adorent parce qu’il augmente l’endurance sexuelle », continue-t-il. Sur ce point, l’un de ses amis lâche héroïquement : « Hier soir je devais aller disputer un match (faisant allusion à une relation sexuelle), je suis passé voir Malè qui m’a servi un bon bol de bouillon de cheval.  J’ai gagné la partie. » À tour de rôle, les hommes ont relaté des histoires du même genre sous les éclats de rires de leurs amis.

Une petite consommation à Grand Goâve

À environ 17 km de Léogâne, nous nous retrouvons à Grand Goâve plus précisément à Dano, une localité de la 7e section Gérard. Olrich Noël, le membre de l’Administration de la section communale Gérard nous informe qu’à Grand-Goâve les gens consomment aussi du cheval. Noël n’en consomme pas, mais il nous conduit avec sa motocyclette vers l’un des grands amateurs de la viande chevaline dans la section qu’il administre.

« À Grand Goâve, on ne compte que de rares consommateurs de viande de cheval comparativement à Léogâne. Personnellement, j’ai commencé à en manger, il y a seulement six ou sept ans. » C’est le témoignage de Carriès Marxène qui est un enseignant en sixième année fondamentale à Dano.

Quand il ne travaille pas, Marxène prend soin de son bétail. « J’ai commencé à manger de cette viande pour la première fois quand l’un de mes chevaux est mort subitement. Je l’ai fait cuire et j’en ai mangé avec tout le monde dans le coin. C’était délicieux. Depuis, je mange même la chair des ânes. Les voleurs aussi sont friands de cette viande. Une fois, quelqu’un a volé tous les chevaux qu’un paysan gardait dans sa cour, mais y a laissé tous les bœufs », continue l’enseignant qui recommande une préparation épicée pour une meilleure dégustation du cheval.

« Quand je rentre au Cap, je mange toujours du cheval »

Jameson Francisque a 27 ans. Il est originaire du Cap-Haïtien. Francisque consomme la viande de cheval depuis si longtemps qu’il ne se souvient même pas de la première fois qu’il en a goûtée.

« Partout au Cap, dit-il, on consomme cette viande qui d’ailleurs est très délicieuse. Les marchands en vendent dans des marmites comme on vend les lambis. Ils ont aussi un gallon de sauce piquante pour servir les clients. J’adore cette viande surtout quand elle est frite. À chaque fois que je rentre au Cap, je mange du cheval».

Selon le natif du Cap-haïtien, il n’y a que des hommes dans ce commerce. En tous cas, il n’a jamais vu de femmes en vendre.

« Quand vous entendez les marchands crier : « men chamo a », soyez certain qu’il s’agit de la viande de cheval », avance Jameson Francisque qui ignore pourquoi on assimile la viande de cheval à celle du chameau.

La moto aurait-elle  favorisé la consommation des chevaux ?

Marxène, l’enseignant de Grand Goâve, s’est rendu compte que la consommation des chevaux se faisait à un rythme plus rapide quand les paysans avaient commencé à utiliser les motos pour se déplacer. « La moto, dit-il met moins de temps que le cheval pour un même trajet. En plus, il y a des endroits plus accessibles aux motos qu’aux chevaux. »

Pour Jameson Francisque, les gens consommaient de la viande de cheval au Cap même avant l’utilisation générale des motocyclettes dans les transports.

Pour sa part, Malè, le vendeur de viande de cheval à Léogâne doute qu’il existe un quelconque rapport entre la révolution des transports avec les motos et la consommation de la viande de cheval. « À mon avis les motos n’ont pas détrôné les chevaux, car, il y a encore des paysans qui montent à cheval pour se déplacer.»

D’après Malè, comparativement aux bœufs, les chevaux sont devenus de plus en plus rares à Léogâne. Pour s’en approvisionner, le vendeur se rend à Petit Goâve, à la Croix-des-Bouquets et aux Cayes. Pour Malè, cette rareté serait due au fait que la période de gestation d’une jument est plus longue (environ 12 mois) par rapport à celle de la vache (9 mois). Malè précise que le prix d’un cheval varie selon sa taille.

Les Haïtiens n’ont pas toujours mangé la viande de cheval. Plusieurs générations considéraient cet animal comme un excellent moyen de déplacement. Quand un cheval mourait, on l’enterrait simplement. Si sa consommation se répand aujourd’hui d’une ville à une autre, certains Haïtiens pensent encore que le cheval ne devrait pas finir dans une assiette.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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