Pour l’obtention d’un visa américain ou canadien, certains vont jusqu’à faire usage de faux sans se soucier des conséquences de l’acte. Le souci est de quitter à tout prix Haïti.
Pour avoir l’aigle dans son passeport, Marcelin s’est lancé dans un long travail qui a duré au moins une semaine. Il a rempli le formulaire en ligne, payé son rendez-vous, lui reste à prouver les qualifications qu’il dit avoir. Étant donné qu’il s’y connait en informatique, il a créé à dans son ordinateur son certificat d’étude à partir de la copie de celui d’un ami. Le jour J, il s’est présenté à l’ambassade des États-Unis. Et, à sa grande stupeur, il croit entendre de la bouche du consul : « Ou pa kalifye pou ou ale Ozetazini²» dans un accent anglophone. Marcelin a pris son passeport et s’est rendu à ses occupations malgré la perplexité du refus. Lui qui a pourtant aidé à ce que tant d’autres gens puissent détenir un visa grâce à son business de contrefaçon. Marcelin est faussaire et se décrit comme un spécialiste du « Ti joslin ».
Marcelin est âgé d’une trentaine d’années, il est informaticien et graphiste. C’est aussi d’ailleurs un grand connaisseur des médias sociaux. Il gère d’ailleurs des dizaines de comptes Facebook et Twitter pour plusieurs hommes politiques. Une fois, un jeune homme qui voulait se rendre au Canada l’a contacté pour un certificat et des relevés de note. « Je lui ai fournis des papiers qui attestent qu’il a étudié à l’École normale supérieure (ENS). » Le client était tellement satisfait qu’il a fait depuis le Canada un transfert de 100 dollars à Marcelin pour exprimer sa gratitude, et ceci en plus des honoraires déjà empochés. L’informaticien est donc bien placé pour nous parler de de la magie des « faux papiers ». « « Ti joslin » c’est quand on vous surprend la main dans le sac, dès que tu réussis, tu as un bon papier. C’est comme les monnaies contrefaites, c’est ou ça passe, ou ça casse », lance l’homme d’un ton moqueur.
La complicité de certains employés des institutions publiques
Le « Ti joslin » est un faux papier qui peut passer dans le milieu formel des institutions publiques de l’État avec la complicité de certains chefs de service. Selon Marcelin, si l’on a un proche qui travaille dans une institution publique, il est beaucoup plus facile d’avoir un papier. Juste des pots de vins font l’affaire. Il avance : « Si vous vous présentez à l’ambassade avec une patente que la DGI (Direction générale des Impôts) vous a fourni, le blan ne peut le bouder sous prétexte qu’il s’agit de faux. »
Les faussaires comme Marcelin sont appelés « raketè ». Ils se trouvent entre autres devant les tribunaux de paix et la DGI. Devant ladite direction, Certains offrent des services tels : groupe sanguin, Matricule fiscal et bien d’autres pièces encore au vu de tout le monde. Il n’est pas nécessaire d’aller au Tribunal de Paix pour les documents nécessitant la signature du juge vu que vous obtenez sa signature sans trop d’efforts.
Quand le faux n’a pas de limite
« Pour que ma mère puisse avoir le visa canadien, j’ai soudoyé un employé d’une caisse populaire pour avoir un livret d’épargne. » c’est le témoignage d’une dame dans la vingtaine qui est un haut cadre dans une institution de l’État. Elle avait déjà le visa canadien et voulait que sa mère visite aussi le Canada. La maman a bien sûr eu le visa. La dame en question a l’habitude de côtoyer des gens qui avant elle avait réussi dans l’usage de faux. « blan an renmen lè ou ba l manti², » relate-elle d’un ton sérieux. Selon la jeune cadre, vous pouvez être plus franc que la franchise elle-même et vous voir refuser le visa par le consul, « c’est une courtoisie », dit-elle.
Pour certains en Haïti, avoir un visa américain ou canadien est un grand privilège. Que l’on retourne en Haïti après le premier voyage ou pas, le plus important c’est qu’on foule le sol étranger ; si important que pour la première fois pour un pays étranger, on ne doit le dire à personne, de peur de s’attirer des ennuis ou le mauvais oeil. Pour mettre de son côté toutes les chances de réussir, les demandeurs de visa sont prêts à commettre des infraction, et des fois sans même le savoir.
Selon l’article 337 du code pénal punit d’un an au moins d’emprisonnement et de trois ans au plus toute personne qui impliquerait dans un usage de faux. Qui plus est, les ambassades dans leurs règlements interdisent l’escroquerie. Ce qui n’empêche pas que l’industrie du « Ti joslin » continue à faire son chemin pour accompagner les rêveurs et désespérés sur la voie des ambassades du Canada et des États-Unis. Cette pratique est loin de disparaître en Haïti quand les principaux facilitateurs des experts comme Marcelin sont des employés de l’administration publique.
Laura Louis
*Marcelin est un nom d’emprunt
2 Vous n’êtes pas qualifier pour aller aux États-Unis.
2 Le blanc aime qu’on lui mente
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