« Ayiti se pa nou » est le titre de la nouvelle chanson de Jean Bernard Thomas
Les artistes comme Eddy François, Steve Brunache ou Emeline Michel ont inspiré Jean Bernard Thomas lorsqu’il était petit. Sa musique qui glisse entre pop, riddim, R&B, mais d’accent majoritairement reggae, reflète l’esprit engagé, présent dans le travail de ses aînés.
Après une décennie de règne du PHTK, l’addition est salée pour Haïti. Inflation de la gourde, insécurité, crise environnementale, crise sanitaire et crises socio-politiques à répétition. Jean Bernard Thomas regarde avec des yeux critiques la société haïtienne et pense qu’il a son mot à dire.
L’auteur du tube à succès Pour le drapeau pour la patrie veut utiliser à bon escient cette liberté que les artistes ont aujourd’hui pour parler du fonctionnement de la vie dans la cité. Cet acquis des luttes pour la démocratie, en 1986, n’est pas assez exploité, d’après lui.
En février 2021, Jean Bernard Thomas compte sortir un nouveau tube, Ayiti se pa nou. Il y chante les histoires tragiques de Manman Elinor et de boss Djo. L’artiste utilise la vie des gens ordinaires pour raconter l’insécurité, le kidnapping, la prolifération des gangs.
« Avan l fè sizè, tout pòt gentan fèmen, tout lari a se perèz, y ap kenbe malerèz ». C’est ainsi que commence cette chanson qui veut atteindre et changer les cœurs. « Ce que j’attends de cette musique, c’est ce que je chante dedans, dit Jean Bernard Thomas. J’aimerais que les gens l’entendent et agissent en fonction de cela. »
Un talent pur
Jean Bernard Thomas est né sur les terres de Jacmel, un jour de février 1982. Mais très tôt, sa mère l’amena à Port-au-Prince. Là, il côtoyait la musique partout où il passait. Il était passionné de break dance, et avec ses amis de jeunesse, il participait à des concours de freestyle.
Comme ses parents le forçaient à aller à l’église, il intégra une chorale et chanta pendant longtemps dans des églises. Mais ce qui l’intéressait, c’était la musique en soi. Sa curiosité artistique l’emmena loin des chantiers chastes du gospel.
Alors, il intègre Décibels compas et passe sept à huit ans à chanter le compas direct, avant de s’ouvrir à d’autres types de musiques du monde. En 2006, il a chanté sur l’album Alo Haïti de Solèy Sound System.
Qui peut voir Lòlò, et demander si l’artiste fume ou pas ?
Jean Bernard Thomas
À cette époque, BélO faisait succès avec Lakou trankil. Alors que ce chant qui venait des quartiers populaires vibrait en lui, Jean Bernard Thomas dit sentir qu’il devait lui aussi s’exprimer et envahir la scène.
En 2008, sous le label Baroli records, il sort son premier album, Ayiti Thomas, avec onze morceaux. Mais bien avant, il travaillait sur un album avec les studios Soley sounds.
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L’artiste passa six ans avant de sortir un autre disque, Yon lòt koulè, fin 2014 avec Don Woy, un de ses amis producteur. Pour la sortie de cet album, il décida d’allier peinture et musique dans une représentation. En ce temps-là, il était considéré comme l’une des belles voix de sa génération.
Et le ciel lui tomba sur la tête
24 septembre 2015. En cherchant les auteurs d’un kidnapping, des agents de la Police nationale d’Haïti arrivent chez JBThomas, dans le quartier de Désir Gabriel, à Péguy-Ville. Ils enfoncent sa porte et détruisent son matériel. Ils n’y ont pas trouvé d’armes à feu, mais des pots de peinture, des tableaux, un four, des habits, etc.
Le porte-parole de la police, Gary Desrosiers, a assuré à l’époque qu’il n’y avait aucune preuve qui liait l’artiste à un gang ou une quelconque association de malfaiteurs. Cependant, parmi ses affaires, ils ont trouvé 95 grammes de marijuana séchée, dans une enveloppe. Il fut arrêté.
« Ils disaient que les gens qui avaient commis l’enlèvement fréquentaient le quartier et la cour de ma maison, raconte l’artiste. Moi, je ne dis ni oui ni non, parce que chez moi, tout le monde peut venir. Il y a de la musique, je peins, j’ai tout ce dont j’ai besoin, je mène mes activités, je ne prête pas attention. »
L’artiste assure que sa maison est ouverte à tout le monde. Ses amis, ses connaissances pouvaient y trouver des gens pour discuter, jouer au babyfoot, manger, boire, fumer de la marijuana. En somme, de la bonne ambiance. Mais la vente et la consommation de cette substance étant prohibée en Haïti, cela a scellé son arrestation.
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« Qui peut voir Bob Marley, Kessy, et dire que ces personnes ne sont pas défoncées, questionne Thomas. Qui peut voir Lòlò, et demander si l’artiste fume ou pas ? Vous avez vu son look? Mais lorsque les policiers sont venus chez moi et qu’ils ont trouvé un peu de marijuana, ils ont décidé que je n’avais pas le droit d’en posséder. Je ne suis pas un trafiquant, mais un artiste consommateur.»
Thomas estime que la marijuana n’est pas une drogue, sinon son corps n’aurait pas pu la supporter.
Une lente reconstruction
L’artiste a passé un mois à la Direction Centrale de la Police Judiciaire et un autre mois au pénitencier national. Jean Bernard Thomas dit ne pas en tenir rigueur aux policiers, car il a beaucoup appris de ces jours passés auprès des prisonniers. Il parle de fraternité et de vivre-ensemble.
L’artiste reconnaît que sa carrière a pris un coup après cet épisode. Mais deux ans plus tard, en 2017, il sort le tube Limyè.
Toutefois, Thomas pense que les médias ne s’intéresse pas trop à ce qu’il a à offrir. « Il faudrait que nous nous demandions pourquoi depuis ces dernières années, tout ce qui est bon, nous le négligeons », se demande-t-il. Après l’album Yon lòt koulè, Jean Bernard Thomas s’est senti tombé de haut. Sans le soutien de sa famille, principalement sa mère, il ne sait pas ce qu’il aurait fait.
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« Heureusement que je pouvais peindre. Je gagnais de l’argent avec la peinture bien avant la musique. Sans elle, je serais tombé d’encore plus haut », révèle-t-il.
Durant ces années, Jean Bernard Thomas s’est également beaucoup investi dans la Fondation Ayiti Toma qu’il construit à Jacmel. Les enfants et leurs parents sont les bénéficiaires directs de ces projets de reboisement et d’éducation.
Thomas considère les artistes comme des appelés qui ont un message à faire passer. Il choisit de rendre à la société haïtienne, à travers sa fondation, tout l’amour et l’attachement qu’elle a pour son art et son talent.
Hervia Dorsinville
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