L’avortement, même thérapeutique est considéré comme un crime en Haïti selon l’article 262 du code pénal. Malgré cela, certaines femmes voient en l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) un recours, certaines fois.
Après avoir fait les dossiers auprès de sa secrétaire, le gynécologue invite Yamilée à franchir son carré. Il l’allonge sur un lit, lui ordonne d’enlever sa culotte et d’ouvrir grand ses jambes. Sans anesthésie ni autre médicament, le médecin procède à son intervention. « J’ai ressenti quelque chose de très sensible qui faisait mal un tout petit peu pendant quelques minutes. Au bout d’une heure, j’allais bien grâce à des antibiotiques que le spécialiste m’avait prescrit», a-t-elle déclaré.
Yamilée est une jeune femme dans la vingtaine. Elle raconte qu’elle était nerveuse quand elle n’a pas eu ses menstruations deux mois de suite. Qui pis est, les tests de grossesse étaient positifs. Elle et son petit ami ont donc essayé le fameux cocktail Cytotec et bière Prestige. Rien n’a marché. Après cette tentative, Yamiliée et son copain se sont procurés des plantes qu’une marchande leur conseillait d’acheter. « Nad marinad pitit ! Vakabon pa tonbe fasil » se moque-t-elle en riant. Il ne leur restait qu’une seule option, l’hôpital.« Je n’avais pas le choix. Je venais tout juste de rentrer à l’université » explique la jeune femme pour se justifier.
Comme Yamilée, elles sont nombreuses à avoir déjà avorté. Parmi celles interrogées, plusieurs avancent les difficultés de la vie pour pour les jeunes en Haïti. L’une d’entre elles a même déclaré que l’IVG devrait faire partie des grandes lignes de la politique du gouvernement pour mieux contrôler la population. le pays selon elle, assiste déjà à une explosion démographique qui entraine davantage la misère.
Carine, 27 ans, étudiante les Sciences juridiques avoue: « Je suis chrétienne, je sais que Dieu n’admet pas le sexe avant le mariage, voire l’avortement. Cependant, je ne crois pas qu’il soit une bonne chose de garder un enfant si l’on n’a pas les moyens de l’élever. Je veux réussir dans la vie, un enfant maintenant n’est pas ma priorité.»
Pour Mohira, c’est les études qui importent, elle est étudiante en Service social et membre d’une organisation féministe. « Je souhaite finir ma licence pour entamer des études en maîtrise, après quoi, je veux soutenir une thèse doctorale. » L’interdiction de l’Interruption volontaire de grossesse est selon Mohira, une atteinte au droit de la femme de disposer de son propre corps. Elle n’a jamais eu d’avortement cependant avoue ouvertement : « Si je tombe enceinte maintenant, j’avorte ! »
Il ne faut pas croire que l’Interruption volontaire de grossesse soit seulement l’apanage des femmes qui fréquentent l’Université. Beaucoup des recettes d’avortement sont l’œuvre des mères ou grand-mères qui elles-mêmes n’ont pas été à l’école. D’ailleurs, cette pratique remonte à la période l’esclavagiste ; c’était l’un des moyens pour les femmes en esclavage à Saint-Domingue de combattre le système colonialiste.
Le nouveau code pénal devrait dépénaliser l’avortement
Il est environ 11 heures du matin quand Me Sibylle Théard Mevs nous reçoit dans son cabinet à l’Avenue Charles Summer. D’entrée de jeu, elle regarde sa montre et lâche « Je n’ai que dix minutes pour vous recevoir ». Sibylle T. Mevs était vice-présidente de la commission présidentielle (qui n’existe plus) chargée de la réforme de la justice en 2016. Cette commission devait travailler sur l’avant-projet du nouveau code pénal (qui dépénalise l’avortement) et du code de procédure pénale.
L’avocate confie que l’avortement n’est pas un acte anodin. « Une femme enceinte ne se lève pas un bon matin pour décider du sort de l’enfant qu’il porte comme s’il s’agissait d’une simple action» explique-t-elle. Selon Me Mevs, la dépénalisation de l’avortement par le nouveau Code Pénal n’est pas une libéralité ou un lâcher-prise, parce qu’en Haïti les valeurs morales et religieuses pèsent beaucoup. Pour elle, cette décision est plutôt une mesure de protection accordée aux femmes qui ne peuvent garder un enfant soit pour des raisons thérapeutiques (si la santé de la femme est en danger), soit parce qu’elles n’ont pas le choix ou l’envie (viol, inceste). Toutefois, l’interruption doit être effectuée avant trois mois pour éviter que la vie de la mère soit mise en danger et celle-ci doit être suivie d’un accompagnement psychologique. L’avortement devient un problème de santé publique selon Me Théard qui lance un message aux hommes qui sont hostiles à cette pratique: « Cessez de penser à vos femmes. Pensez à vos filles. »
Me Mevs signale qu’avant que la commission ne soit dissoute, l’avant-projet des codes pénal et de procédure pénale a été déposé au Sénat. Nous avons contacté par téléphone le sénateur Jean Renel Sénatus, président de la commission de Justice, pour un éclaircissement sur la question. « Je ne peux rien vous dire à ce sujet pas avant que le rapport ne soit présenté à l’Assemblée des sénateurs », a-t-il répondu. Un an de cela pourtant, le sénateur avait mené une campagne pour le renouvellement du code pénal haïtien et du code de procédure pénale dans presque toutes les universités.
L’Interruption volontaire de grossesse ; un droit de la femme
Natacha Clergé, doctorante en Histoire et détentrice d’un master en Etudes féminines affirme qu’Haïti a ratifié de nombreuses conventions internationales qui consacrent le droit des femmes de disposer de leur corps. Entre autres, la convention de l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), la convention latino-américaine sur la prévention, la sanction et l’élimination des violences à l’égard des femmes (convention Belèm do Para). Force est de constater que jusqu’à présent l’avortement est un crime pour lequel et le médecin et la patiente peuvent être punis.
« L’État a la responsabilité de garantir les droits des femmes et, l’IVG en est un», relate la féministe qui considère l’IVG comme un droit fondamental. La législation haïtienne est désuète et sexiste selon elle. L’activiste féministe confie que la lutte des femmes pour arracher le droit qu’elles ont d’avorter est encore grande. Elle soutient que l’éventuelle dépénalisation de l’avortement dans le nouveau code pénal est partielle. Car ce code ne tient compte ni de la situation matérielle précaire des femmes, ni du droit qu’elles ont de décider du sort de leur propre corps. « Hormis le viol, l’inceste et la mise en danger de sa santé, une femme doit pouvoir décider de son propre gré si elle veut garder ou non son enfant», a lancé madame Clergé.
Au-delà de toutes ces réflexions, une chose est sûre, c’est que les femmes et les gynécologues n’ont guère besoin de la loi pour effectuer leur IVG.
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