CULTURE

Jacques Stephen Alexis en litige 60 ans après sa disparition

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Il n’existe aucun acte public, à l’exemple du certificat de décès pour prouver la disparition ou encore la mort de Jacques Stephen Alexis

Ce 22 avril 2021 marque la soixantième année depuis que Jacques Stephen Alexis a disparu. Après soixante ans, selon la loi, les œuvres de l’écrivain devraient tomber dans le domaine public. En d’autres termes, n’importe quel éditeur ou traducteur devrait pouvoir en faire usage sans autorisation préalable et sans avoir à payer.

Mais, selon une note du Bureau haïtien des droits d’auteur (BHDA) publiée en octobre 2020, « quiconque veut imprimer les textes de Jacques Stephen Alexis, devra payer des dividendes à ses descendants, en l’occurrence Florence Alexis et Jean Jacques Alexis résidant tous deux en terre étrangère ». C’est ce que confirme Emmelie Prophète, directrice dudit bureau.

Tous bénévoles au sein du BHDA, ce sont des avocats spécialistes notamment en droit civil et pénal qui en ont ainsi décidé, révèle Prophète. « Le comité ad hoc des droits d’auteur, dit-elle, s’est entendu sur le fait qu’au regard de la loi, il n’existe aucun acte public, à l’exemple du certificat de décès pour prouver la disparition ou encore la mort de Jacques Stephen Alexis. Il n’y a jamais eu non plus un jugement en disparition qui aurait pu marquer le point de départ du délai post-mortem de 60 ans ».

Par conséquent, l’exploitation rémunérée des œuvres en question ne saurait prendre fin en 2021, au grand dam des maisons d’édition qui voudraient les exploiter gratuitement.

Un litige en perspective?

La note du BHDA est une mise en garde pour les éditeurs. Interrogée à ce sujet, Naomie Vica Dry, directrice de C3 éditions qui a déjà publié trois romans du regretté écrivain, n’est cependant pas troublée. « La note ne nous concerne pas. Nous préférons ne pas opiner là-dessus », laisse-t-elle entendre.

La directrice affirme que sa maison d’édition a des droits de publication sur certaines œuvres de l’auteur. « Pour publier un livre de Jacques Stephen Alexis, nous contactons Gallimard qui a les droits de publication que nous avons achetés par la signature d’un contrat. Gallimard impose ses conditions, parmi lesquelles l’identification de ses droits. Et une fois l’entente effectuée, la maison d’édition nous envoie les textes. »

Vica Dry assure que la durée du contrat entre C3 et Gallimard est de plusieurs années. Et très bientôt, Romancero aux étoiles sera disponible à C3 éditions aux côtés de Compère général Soleil, Les arbres musiciens, et L’espace d’un cillement.

Mis au courant de ce projet, le fils du défunt auteur, Jean Jacques Alexis est rentré en contact avec la directrice du BHDA. Par conséquent, « la maison d’édition devra présenter des preuves qu’elle a effectivement les droits de publication », a informé Emmelie Prophète.

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Si C3 éditions détient bel et bien ces droits, il ne devrait y avoir aucun problème. « Un éditeur a non seulement le droit de vendre le livre d’un auteur, mais aussi de céder son droit à d’autres éditeurs ou traducteurs, note Webert Charles, cofondateur de Legs Édition. Ces négociations se font généralement sans la présence de l’auteur. (…) Quand il s’agit de cession de livres, ces droits sont plus importants que les droits d’auteur, puisque l’auteur peut recevoir jusqu’à 50 % de son éditeur ». C’est un grand avantage économique pour l’auteur.

Différents droits d’auteur

Tout ouvrage d’un écrivain est protégé par le droit d’auteur qui est de deux types. Il y a le droit patrimonial qui dure toute la vie de l’auteur, jusqu’à 60 ans après sa mort. Puis, il y a le droit moral qui suppose que l’œuvre d’une personne restera sienne, peu importe le nombre d’années écoulées. « Même après la mort de l’auteur, l’éditeur ne peut modifier le livre, il ne peut le plagier, et ne peut surtout pas omettre de mentionner le nom de l’auteur », explique Prophète.

Outre cela, Webert Charles souligne l’existence de dispositions légales « qui permettent à l’auteur et à sa famille de recevoir des retours de vente sur l’exploitation commerciale de ses œuvres en fonction d’un pourcentage négocié à l’avance ». Ce pourcentage proposé par les maisons d’édition varie généralement entre 7 à 10 % de l’œuvre, « eu égard à l’importance de l’auteur dans leur catalogue ».

60 ans après le décès de l’auteur, ses œuvres tombent illico dans le domaine public. Tout éditeur peut en bénéficier gratuitement, mais en respectant le droit moral. Cela veut aussi dire que « l’éditeur n’a plus de droit exclusif sur le livre », précise Charles. Lorsque l’œuvre n’est pas encore dans le domaine public, « l’éditeur peut demander à l’auteur que son livre paraisse exclusivement chez lui ».

Justice et mémoire ?

Jacques Stephen Alexis était un opposant à Duvalier. Cela a eu de lourdes conséquences sur sa famille La femme de l’écrivain, Andrée Roumer, a eu  recours a une déclaration d’abandon du droit marital pour avoir un passeport, explique Emmelie Prophète.

Selon la directrice du BHDA, longtemps après avoir considéré l’auteur comme mort, la maison d’édition Gallimard continuait d’imprimer les œuvres de celui-ci. L’exploitation des œuvres a donc continué, mais Emmelie Prophète juge qu’elle n’était pas idéale, parce que « Gallimard est une maison d’édition française et qu’en dépit des revenus que pourrait rapporter le marché international, le meilleur marché pour un Haïtien est local ».

De ce fait, que Gallimard ait effectivement payé des dividendes à la famille Alexis ou pas, Prophète estime que celle-ci a énormément perdu par rapport au marché haïtien longtemps inexploité. Ainsi, l’affaire devient, selon elle une question de mémoire, de moralité et de justice qui exigent que même après 60 ans, les héritiers bénéficient d’un accompagnement légal.

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D’ailleurs, considérant que l’État est continu, et que « le premier responsable de la non-déclaration de disparition de Jacques Stephen Alexis est le régime des Duvalier », Prophète estime que c’est l’État haïtien, et non le BHDA, qui devrait réfléchir à comment réparer ces injustices envers les Alexis.

Emmelie Prophète estime que ceux qui sont contre la décision du BHDA font preuve d’un « mauvais populisme aucunement avantageux pour la justice et l’État de droit en Haïti ».

Ils devront quand même attendre que les héritiers de Jacques Stephen Alexis fassent une déclaration de disparition, prévue pour cette année. Alors, le délai post-mortem pourra commencer et prendra fin après 10 ans, en 2031, comme prévu par la Constitution. Cette année-là, les œuvres de Jacques Stephen Alexis rentreront dans le domaine public.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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