POLITIQUE

Haïti doit-elle abandonner Taïwan au profit de la Chine ?

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Depuis des décennies, Haïti et la République de Chine (Taïwan) entretiennent des relations diplomatiques. Mais aujourd’hui, à l’heure où la Chine continentale devient une puissance incontournable, il est peut-être temps de changer de stratégie

Année 1949. Quelque temps seulement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, un conflit éclate en Chine entre nationalistes et communistes.

Le pays connaît une guerre civile meurtrière, et les tentatives pour construire un gouvernement d’union nationale ne réussissent pas. Entre Mao Tse-Tung, leader communiste et Chiang Kai-shek, président chinois nationaliste, le courant ne passe pas. Très rapidement, la situation tourne en faveur de Mao Tse-Tung, soutenu par l’URSS.

Les communistes proclament la République populaire de Chine le 1er octobre 1949.

La République de Chine (Taïwan) est née

Le 8 décembre, Chiang Kai-shek s’enfuit avec son gouvernement et se réfugie sur l’île de Taiwan, rendue aux Chinois par les Japonais en 1945, au moment de la défaite nippone dans 2e guerre mondiale. Des milliers de Chinois, hostiles au parti communiste, s’enfuient également.

Arrivé à Taiwan, Chiang Kai-shek installe son gouvernement, et en 1950 il est proclamé président de la République de Chine, appelée couramment Taiwan. Désormais il y avait « deux Chine ». L’une communiste, continentale, pro-URSS, et l’autre insulaire, proaméricaine, en ces temps de guerre froide.

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Des années après, la situation a évolué, mais les rapports conflictuels demeurent. La Chine continentale estime que Taiwan lui appartient de droit. Elle veut réunifier les deux pays, au nom du principe « d’une seule Chine ».

Xi Jinping, président chinois depuis 2013 n’exclut pas la possibilité d’utiliser la force. Taiwan, dirigé depuis 2016 par un parti indépendantiste, ne l’entend pas de cette oreille. Depuis longtemps, c’est une épreuve de force entre ces deux pays sur la scène internationale.

Haïti a choisi Taiwan

À plus de 15000 kilomètres de là, Haïti est affectée par la division entre Taiwan et Chine.

Depuis 1956, le pays a choisi de reconnaître la République de Chine et d’établir des relations diplomatiques avec elle. Ceci se fait au détriment de la Chine continentale. Les derniers signes en date de l’amitié entre les deux pays ont été le voyage de Jovenel Moise à Taiwan, et celui de son homologue taïwanaise, Tsai Ing-wen en Haïti.

« Les relations internationales doivent être vues en termes de développement économique», Thomas Lalime

Selon Thomas Lalime, économiste, pour mieux comprendre ce qui se joue entre Taiwan et Chine, il faut remonter à la guerre froide. « Les relations internationales doivent être vues en termes de développement économique, explique-t-il. À l’époque de la guerre froide, les pays choisissaient entre les États-Unis et l’URSS en fonction des avantages qu’ils pouvaient en tirer. Ces grandes puissances avaient intérêt à faire de leurs pays satellites des modèles de développement. C’est ce que les États-Unis ont réussi avec Taiwan par rapport à la Chine, ou avec la Corée du Sud par rapport à la Corée du Nord. »

La guerre froide est finie entre les USA et l’URSS, mais entre Taiwan et la Chine, elle continue en quelque sorte.

La Chine cherche à priver Taiwan de toute reconnaissance internationale en tant que pays. En 1971, les Nations  unies ont remplacé Taiwan par son grand frère chinois. La République de Chine est de plus en plus isolée. Mais, aujourd’hui encore, la République d’Haïti est l’une parmi les dernières nations au monde à reconnaître Taiwan en tant qu’État.

Rester ou partir, telle est la question

Depuis quelque temps, la politique chinoise de repêchage des alliés de Taiwan, en échange de relations commerciales, porte ses fruits. Un à un, les alliés traditionnels de la République de Chine la lâchent. Il ne reste en tout que 17 pays qui ont des relations avec Taiwan.

Il ne reste en tout que 17 pays qui ont des relations avec Taiwan.

Plus près d’Haïti, la République dominicaine a elle aussi fait le virage vers la Chine continentale, après plus de 70 ans de relation avec Taiwan.

Selon Jean David Genesté, ancien député et secrétaire d’État à la formation professionnelle, Haïti doit abandonner Taiwan sans attendre. « La Chine est la deuxième puissance mondiale, et elle émerge de plus en plus. Nous avons besoin d’elle. Dans l’Amérique latine, elle a créé plus d’un million d’emplois. »

« Nous sommes en période de crise, continue-t-il, et elle est économique avant tout. Des investissements chinois massifs dans le pays nous auraient épargné ces bouleversements.»

Des coopérations avec les Chinois ?

Thomas Lalime n’est pas aussi catégorique, mais il admet que la Chine populaire monte en puissance. « À un certain niveau de développement économique, les pays ont besoin d’une autre forme de puissance, une puissance symbolique. C’est cela que recherche la Chine. Elle veut que son poids compte dans la balance, dans la diplomatie internationale. »

L’économiste croit que les Chinois verraient d’un bon œil d’investir en Haïti, dans la même logique d’état satellite. « Les Chinois souhaitent prouver comment leur coopération est plus efficace que celles de l’Occident, dit-il. Cela pourrait être important pour eux de montrer qu’ils peuvent transformer Haïti, un pays pauvre alors qu’il est si près des États-Unis. De plus, les chantiers chinois à l’étranger sont un moyen de créer des emplois, pour réduire le taux de chômage en Chine. »

Cela fait quelque temps que les Chinois font des appels de pied à Haïti. Le maire de Port-au-Prince, Youri Chevry, a révélé que des entreprises chinoises voulaient reconstruire la capitale du pays, effondrée après le tremblement de terre du 12 janvier 2019.

Il n’y a pas d’ambassade chinoise dans le pays, mais il existe un bureau de développement commercial. Le représentant de ce bureau confirmait récemment que son pays souhaitait établir des liens de coopération normale avec Haïti. Selon lui, les échanges commerciaux sino-haïtiens auraient atteint 694 millions de dollars en 2018.

Avant qu’il soit trop tard

La coopération entre Taiwan et Haïti est matérialisée par des dons de riz, de bourses d’études, de matériels pour équiper la PNH, d’appuis budgétaires circonstanciels. Les Haïtiens peuvent aussi voyager en Taiwan sans visa d’entrée si leur séjour dure moins de trois mois.

Selon Jean David Genesté, tout cela ne représente pas beaucoup. « Il n’y a jamais eu de coopération entre Haïti et Taïwan, dit-il. Il existe seulement des relations diplomatiques. Mais au regard des investissements de Taiwan dans d’autres pays de la région, ce n’est pas une coopération. »

Genesté croit que les termes des accords entre les deux pays doivent être renégociés, si Haïti choisit de rester plus longtemps dans le giron taïwanais. D’après lui, Haïti doit exiger beaucoup plus de cette relation.

Haïti doit exiger plus des Taiwanais

Pour Thomas Lalime, il est également important pour Haïti de mieux négocier avec la République de Chine. « Taiwan a besoin du support d’Haïti. Mais comme la Chine continentale se fait de plus en plus menaçante, Haïti peut brandir cette menace pour obtenir plus d’engagements des Taiwanais. Moins il reste d’alliés, plus ces alliés peuvent exiger. Taiwan peut partager les privilèges qu’il allouait aux anciens alliés au petit nombre qui reste. »

« Taiwan a besoin du support d’Haïti. Mais comme la Chine continentale se fait de plus en plus menaçante, Haïti peut brandir cette menace pour obtenir plus d’engagements des Taiwanais », Thomas Lalime 

« Cependant, prévient l’économiste, l’inverse est aussi vrai pour les Chinois. Plus ils arrachent d’alliés à Taïwan, plus le montant à partager diminue. »

Il s’agit de prendre la bonne décision au bon moment. Faire partie des derniers alliés qui restent à Taiwan est à la fois une opportunité et une menace pour Haïti. Ces opportunités, seront-elles encore présentes dans cinq ans ? « Ce n’est pas évident », dit Thomas Lalime.

Photo couverture: Jovenel Moïse à Taïwan en 2018. 

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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