2018 a été l’année du sursaut caractérisé par les émeutes des 6,7, 8 juillet, les manifestations pour la lumière sur l’affaire Petrocaribe en particulier, et la montée en puissance des gangs armés. En juillet, la politique et l’économie ont fait un quand la décision d’augmenter le prix du carburant a mis le feu aux poudres et a failli emporter le président au passage. L’économie en a souffert, une frange de la classe politique aussi. L’année a changé, mais nos problèmes restent entiers. Haïti compte environ 2,5 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté. Le taux de croissance de moins de 2 % depuis 2016 ne permettra pas de tirer ces citoyens de cette pauvreté abjecte, tandis que le taux d’extrême pauvreté le plus bas au niveau mondial a été enregistré l’an dernier. En 2019, il faudra adresser certains problèmes et opportunités pour décider d’une orientation pour le pays parmi lesquels le problème du taux de change, l’efficacité de nos stratégies, l’usage de la technologie.
La question du taux de change
Si d’autres regardent la météo avant de laisser leur maison, les Haïtiens eux vérifient le taux de change. Ce n’est même pas une mauvaise blague. En 2018, malgré l’annulation du décret sur la dollarisation, le taux de change a matérialisé un ensemble de problèmes des ménages haïtiens comme la faiblesse de leur pouvoir d’achat, la précarité financière, etc. Pourtant, le problème ne devrait pas être le taux de change qui n’est en soi qu’un indicateur. Derrière le taux de change se cachent les exportations trop faibles, les importations trop importantes ou la faiblesse de la production nationale, les spéculations, l’absence d’une volonté ferme de stabilisation de la monnaie nationale. On peut y ajouter d’autres facteurs comme un problème d’incitations, d’encadrement de change et celui de gestion de la rareté dans l’économie haïtienne comme l’a suggéré l’économiste Enomy Germain. En 2019, il faudra de préférence tous les matins claironner que le pays ne produit pas assez avec des statistiques à l’appui comme pour le taux de change. Il serait utile de montrer que les décideurs publics ne prennent pas assez de mesures intelligentes pour enrayer cette chute vertigineuse de la gourde. Si possible, il serait utile de souligner au passage que le marché haïtien est trop accessible aux produits étrangers au lieu de continuer à crier que la gourde se dévalue, car tout le monde l’a compris maintenant. Pauvre taux de change ! Au final, tout Haïtien le comprend et sait comment il évolue, car les prix varient si vite que nous finissons tous par nous rendre compte que c’est parce que la décote de la gourde se fait de plus en plus rapidement.
Haïti 2.0
Depuis quelques années, nous parlons beaucoup de la technologie. Il a suffi que des membres d’un gouvernement passé utilisent des Ipads devant toutes les caméras pour que certains Haïtiens y voient un grand progrès, un avancement de la technologie. Ce genre de détails ne montre pas la pénétration de la technologie au niveau du pays malheureusement. C’est encore plus complexe. Il ne s’agira pas seulement de rendre accessibles des ordinateurs et tablettes dans les écoles, mais aussi de créer de la valeur ajoutée dans l’économie en utilisant la technologie pour propulser le pays dans la cour des grands. Il faudra trouver une niche pour développer des activités que les pays développés auront intérêt à confier aux Haïtiens. On ne peut se contenter de reproduire ce qui se fait ailleurs. Il est temps de faire le leapfrog, de sauter les étapes intermédiaires que les pays développés ont déjà dépassées et utiliser la technologie actuelle pour créer des solutions aux problèmes du pays. Il s’agit de voir comment exploiter l’intelligence artificielle, promouvoir l’innovation et incuber des idées porteuses de croissance. Il nous faut rattraper le temps perdu sans aller réinventer la roue ni semer la poudre aux yeux du peuple non plus. Tout est plus facile avec la technologie y compris remuer de l’air pour montrer qu’on innove.
Le choix d’une stratégie de développement
Nos dirigeants devraient s’inspirer de la façon de penser des fondateurs de start-ups. Ces derniers savent qu’il ne faut pas hésiter à abandonner une idée ou stratégie qui ne marche pas, car il y en a mille autres qui attendent. La caravane du changement, les états généraux sectoriels sont des exemples de stratégie ou d’initiatives auxquelles on s’accroche, mais qu’il faudrait laisser en 2018. Il faut de nouvelles stratégies, des stratégies moins coûteuses et plus payantes en 2019. Il faut prioriser des axes et pôles de développement, choisir des secteurs porteurs avec minutie et arrêter de tout promettre à tout le monde. Diriger c’est choisir. Il faut choisir les projets qui feront le plus d’impact aux endroits les plus adaptés. Tout le pays ne se développera pas en même temps. Certaines villes devront attendre. Il ne peut y avoir un aéroport dans chaque grande ville en ce moment par exemple. Il doit y avoir des projets bien plus prioritaires et plus rentables à moyen et long terme. Il faut une stratégie, car il est urgent de créer de la richesse et des emplois. Il nous faut une stratégie pour arrêter de tourner en rond comme nous le faisons avec le tourisme entre autres choses.
Si 2018 a été l’année du sursaut, 2019 pourra être l’année du chambardement. Il n’y a pas eu de catastrophes naturelles en 2018, mais il y a eu des émeutes. Et qui sait ce que 2019 nous réserve ? En 2019, il nous faudra éviter ce qui est évitable et nous préparer pour faire face à l’inévitable. Pour les catastrophes comme pour la vie de tous les jours, il nous faut être prêts à toute éventualité et éviter les mauvaises surprises de 2018. Il nous faudra penser des stratégies viables et donner corps à nos ambitions. Pour mettre Haïti sur la bonne voie du développement, il nous faudra rompre avec de nombreuses pratiques et embrasser de nouvelles façons de voir et d’agir. Il nous faudra adopter tellement de réformes pour renverser le statu quo qu’en 2019 Haïti devra jouer quitte ou double.
Emmanuela Douyon
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