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Grâce aux bouteilles en plastique, des pauvres arrivent à survivre à Port-au-Prince

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À Port-au-Prince,  des déchets de toutes sortes s’amoncellent à divers coins de rue.  On y rencontre aussi des individus qui trient des bouteilles en plastique parmi les immondices pour gagner leur quotidien.

Haïti est submergée par des tonnes de matières en plastique.  Ils voguent sur les mers, obstruent les canaux d’évacuation, jonchent les rues après chaque pluie.  Beaucoup de personnes voient les bouteilles en plastique comme de simples contenants à utilisation unique qui grossissent les déchets dans les rues. Pourtant, un nombre croissant de gens assemblent ces résidus puis les vendent pour assurer leur survie.

Un travail pénible

Mardi 2 avril, Dieuseul est sous sa tente de fortune à la ravine de l’avenue N en face de la rue 7. Sous cette tente, plusieurs grands sacs sont remplis de bouteilles en plastique. L’assemblage se fait suivant les couleurs : les bouteilles bleues, les blanches Tampico, et les marron sont dans leurs sacs respectifs.

Dieuseul exerce cette activité depuis une dizaine d’années. Il collecte les bouteilles en plastiques six jours par semaine. Lors des saisons pluvieuses, il travaille parfois sept jours sur sept. « Les bouteilles s’entassent beaucoup après la pluie, les ramasser devient plus facile que d’habitude », explique-t-il.

Son travail ne se limite pas à une seule zone. « Je parcours toutes les rues de la zone à la recherche des matières en plastique notamment les bouteilles », dit-il. Coiffé d’une casquette, vêtu d’une chemise verte un peu trop ample et d’un pantalon kaki, Dieuseul franchit la rue 7 avec un sac sur l’épaule pour entamer sa journée.

Une activité peu rentable

Le quadragénaire avoue qu’il n’a aucune profession. « Je ne sais pas faire autre chose. Bien que cette activité me rapporte très peu, je m’y accroche toujours ». Sous la présidence de Michel Martelly, la livre des bouteilles en plastique  se vendait à dix gourdes. Elle vaut maintenant deux ou trois gourdes. « Les prix varient en fonction de la couleur des bouteilles », précise-t-il. La compagnie qui reçoit le stock a cessé d’assurer le transport de la marchandise. « Après le travail de collecte,  il nous revient de payer jusqu’à deux mille gourdes à un camion pour la livraison aux locaux de Haïti Recycling/G.S », explique-t-il.

Dieuseul gagne entre 5 000 et 10 000 gourdes mensuellement selon la quantité de bouteilles que ses forces lui permettent d’empiler. Avec ce revenu, il réussit à payer 15 000 gourdes chaque année pour son loyer à Sico dans la banlieue de Carrefour-Feuilles. Il parvient à économiser mille gourdes par quinzaine et à prendre soin de sa femme et de ses deux filles. Malheureusement, la dégradation du coût de la vie en Haïti affecte le faible revenu de cet homme.

Où revend-on les bouteilles en plastiques ?

Jean Maurice Abraham est le manager général de Haïti Recycling/G.S, une compagnie de recyclage située à Bon-Repos, sur la route nationale numéro 1. Cette entreprise opère depuis 2002. « Nous offrons cinq gourdes pour la livre (20 bouteilles) de bouteilles blanches et deux ou trois gourdes quand il s’agit des autres couleurs. Vu qu’il n’y a pas une forte demande des partenaires commerciaux ces dernières années, les prix de la livre sont à la baisse », explique Abraham. Selon le manager, Haïti Recycling/GS reçoit par jour environ quinze mille livres de matières en plastique (tous genres confondus).

Les bouteilles sont compressées avant d’être emballées et expédiées à l’étranger. Le Canada, la Chine, les États-Unis sont les principaux partenaires d’affaires de cette compagnie.

Une activité qui s’amplifie

À La Saline, les lots de bouteilles en plastique s’amoncellent. Un groupe de cinq personnes s’occupe à ramasser du matériel recyclable le long des canaux : bouteilles, sachets et gobelets en plastique. L’un d’entre eux, Dorismé, se plaint d’être totalement ignoré par l’État. « Puisque cette activité ne répond pas convenablement à nos attentes, nous réclamons une assistance sociale de l’État », souhaite ce jeune homme.  Sa mère âgée de  soixante-dix ans l’accompagne dans la collecte de la précieuse matière plastique.

Au Boulevard Harry Truman, une montagne de bouteilles en plastique, de gallons usés, de carcasses de véhicules et de cuvettes abîmées offre un spectacle alarmant. Nous avons tenté en vain d’en trouver le collecteur. Néanmoins,  il ne fait pas de doute qu’en Haïti, de nombreux démunis en font un gagne-pain.

Un moyen de protection de l’environnement

En 2018, la journée mondiale de l’environnement, instituée depuis le 5 juin depuis 1974, a été célébrée autour de la question de renoncer aux objets en plastique. La pollution au plastique était le centre d’intérêt de cette journée mondiale. Malgré les efforts consentis, des instances comme les mairies et le Service national de gestion de résidus solides (SNGRS) se révèlent jusqu’ici incapables de prendre en main la gestion des déchets en plastique.

Les emballages en plastique sont parmi les déchets les plus répandus dans l’environnement marin. Chaque année, près de huit millions de tonnes de plastique sont déversées dans les océans. Ces résidus occasionnent la mort de beaucoup de mammifères marins.

Par conséquent, Dieuseul estime que son travail est noble vu qu’il participe également à «la protection de l’environnement et à l’assainissement de la communauté». Sans être employé par les mairies, il représente un agent informel dans la collecte des déchets recyclables. Sans gants, sans cache-nez,  au milieu d’immondices de toutes sortes, cet homme s’attelle jour après jour à collecter des bouteilles vides au détriment de sa santé.

La gestion des résidus solides devient de plus en plus complexe à Port-au-Prince. Certaines zones sont pourtant régulièrement débarrassées des déchets plastiques grâce à de pauvres gens qui en font la collecte afin d’assurer leur survie et celle de leurs familles.

Emmanuel Yves

 

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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