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« Gaspillage d’argent » pour Darline Desca et autres tracas des concerts « live »

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Témoignages de réalisateurs, diffuseurs en ligne et artistes dans le backstage de l’organisation des concerts live en Haïti

Le « live » monopolise l’attention des internautes haïtiens pendant la pandémie du nouveau Coronavirus. Un concert diffusé sur internet peut coûter de l’argent, mais cela va dépendre de ce que l’artiste veut offrir comme show, explique Carel Pedre, journaliste, producteur et diffuseurs en ligne qui compte presque deux douzaines de concerts live préenregistrés ou diffusés en direct à son actif.

Groupes ou artistes en solo, la plupart des grosses pointures de la musique haïtienne ont fait l’expérience du live. «Pour moi, continue l’animateur de l’émission Chokarella, le plus gros gaspillage, c’est Darline Desca qui l’a fait. [Elle] est allée au Palais municipal de Delmas qui n’a rien du tout, avec un ‘‘stage’’ vide, et elle [a dû] tout bâtir pour beaucoup d’argent, pour moins de deux heures de show.»

Roody Roodboy a fait dans la simplicité, mais l’addition n’est pas moins salée. Il a placé une carcasse de voiture, à l’intérieur de « Le Villate », inscrit des graffitis sur les murs, etc. Son show a coûté près de 24 000 dollars américains, d’après Carel Pedre.

Live et pas live

Fort souvent, les dépenses sont inutiles. Certains décors ou effets spéciaux ne sont pas visibles sur les écrans des utilisateurs à cause d’un mauvais angle de caméra, estime Carel Pedre. Il prend en exemple le show d’Izolan. L’artiste affichait des barils et des pneus avec un effet spécial montrant des flammes qui y émergeaient. C’était beau à voir, mais uniquement dans l’espace d’enregistrement, analyse Pedre.

Patrick Amazan a participé à la réalisation de nombreux concerts enregistrés, travaillés puis diffusés en live. Pour lui, le coût final de ces exercices varie dépendamment de l’option choisie par l’artiste. Le public confond les live préenregistrés et ceux qui sont vraiment en direct, dit le producteur et manager du groupe «Zatrap ».

«Le streaming — diffusion en direct — prend un gros morceau dans le budget, avance Patrick Amazan. Généralement celui qui fait le streaming ne travaille pas plus que nous. En vrai, il travaille moins. Pourtant, j’ai l’impression qu’il ressort avec le plus gros lot. Quand Carel [Pedre] vient et on lui paie une somme pour qu’il nous mette online, je ne dis pas qu’il ne travaille pas, ou ce qu’il fait ne vaut pas de l’argent, mais nous qui avons fait deux ou trois nuits sans sommeil, le plus souvent, on gagne moins.»

Pour rentabiliser les concerts, la majeure partie des artistes offrent le contenu gratuitement et demandent aux fans de contribuer via CashApp, par transferts bancaires ou MonCash. D’autres performers commencent à expérimenter des méthodes de diffusion plus exclusives qui obligent l’internaute à payer avant d’avoir accès à la diffusion.

La diffusion en streaming

Les options pour le streaming sont multiples. Les compagnies peuvent transmettre un show en direct ou en différé. Parfois, ces entreprises participent également à la production du spectacle, en gérant la disposition des caméras et les switching, comme Chokarella l’a fait pour « Konpa Kreyòl ».

Pour réaliser tout cela, ces diffuseurs en ligne ont recourt à des ordinateurs, des câbles spéciaux pour le son ou la vidéo, un live streaming encoder, une application (OBS ou Wirecast) pour envoyer le signal sur internet. Ils paient aussi l’hébergement du serveur, et un service multistream permettant d’envoyer sur plusieurs réseaux sociaux les fichiers présents dans un même serveur.

Louibert Meyer est un organisateur d’événements qui s’occupe de la diffusion de contenu en ligne dans le milieu évangélique, particulièrement sur Alleluia FM. Pour diffuser ses concerts live, il partage ses contenus sur 50 autres plateformes, dont Chokarella, Guy Wewe, Koze kretyen ou Tripotay Lakay.

L’un des plus gros soucis de Meyer reste la connexion internet. «Le signal offert en Haïti n’est pas conforme comparativement à d’autres pays, fait-il savoir. Lorsqu’on fait un streaming, deux travaux qui se font en même temps. Il y a l’encoding, l’upload et le download. Cela joue sur la qualité des images que les gens reçoivent chez eux.»

La puissance de la connexion n’est pas le seul problème. La chaîne de compétence pour cette industrie n’est pas disponible, se plaignent Louibert Meyer et Carel Pedre alors qu’ils évoquent le travail des caméramans, ingénieurs de son, spécialistes des lumières sur le plateau, etc.

Mass compas

Frantz Réginald Georges est photographe, vidéographe et réalisateur. Avec « Mage Entertainment » dont il est le fondateur, il a réalisé divers concerts live, comme celui Maestro et de Roody Roodboy.

Le mercredi 15 juillet, Frantz Réginald Georges travaillait sur le live de « Mass konpa », au restaurant Le Villate. Plus d’une douzaine de professionnels l’accompagnait pour préparer la scène dont des éclairagistes et des ingénieurs de son.

Le réalisateur et son équipe travaillaient sur le concept de ce concert live depuis deux semaines. Quant aux artistes, ils ont commencé à répéter depuis environ deux mois. Et ce mercredi-là, trois jours les séparaient de la date fatidique.

D’après Patrick Amazan, il faut au moins trois semaines à une équipe pour travailler la réalisation. Pour une ou deux heures de concert live, il faut près d’une journée de tournage et six à sept jours de montage lorsqu’il est diffusé en différé. Le direct est moins chronophage, mais les techniciens devront avoir plus de matériels, de l’énergie et de ressources.

« Si cela vous coûte 5000 dollars américains pour le faire en différé, en direct, ce sera alors entre 10000 et 15000 dollars», précise Frantz Réginald Georges. Dans la seconde option, l’on doit « sécuriser les matériels, gérer les personnes qui travaillent, etc.»

Un avenir prometteur

Malgré les ennuis, le live a de l’avenir dans le pays. « Les concerts diffusés sur internet sont des portes d’ouverture qui permettraient de vendre la culture et les artistes haïtiens encore mieux qu’avant », pense Frantz Réginald Georges.

L’avantage vient du nombre des spectateurs et de leur éparpillement un peu partout à travers le monde. «Les bals peuvent attirer 200 à 400 personnes. Si le bal est bien rempli, il peut y avoir mille personnes, au contraire de l’internet qui vous offre peut-être des millions de personnes», remarque Frantz Réginald Georges.

Les artistes aussi pensent de même. Le live «m’a permis de me prouver encore une fois», partage la chanteuse Tamara Suffren. Néanmoins, elle avoue que chanter devant des caméras et une salle vide n’est pas la même ambiance que performer devant un public.

Finalement, l’exercice peut potentiellement contribuer à l’amélioration des concerts physiques. «Les gens ne vont plus accepter des concerts [organisés] n’importe comment aujourd’hui», déclare Patrick Amazan.

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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