SOCIÉTÉ

Garry, le houngan qui vend de la crème glacée au Champs de Mars

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Garry, un vendeur de crème à  la glace a grandi à Jacmel,  Dès l’âge de huit ans, il raconte qu’il était déjà appelé à être houngan. Il est aujourd’hui âgé de 44 ans, il vend de la crème glacée au Champs-de-Mars.

 

Une grande partie de la place est  occupée par des vendeurs de crème glacée venant de tout horizon. De loin, nous pouvons apercevoir les containers en miniature formant une sorte de bidonville de boites métalliques campées aux Champs de Mars. « Nous vendons de la crème  au Champs-de-Mars  parce qu’on ne trouve rien d’autre à faire », c’est ce qu’a fait entendre le quadragénaire. Garry fait partie d’un groupe de plus dans le secteur informel haïtien. En effet, les vendeurs ne paient aucun frais pour occuper la place, il suffit d’avoir une connaissance dans le secteur et quelques milliers de gourdes pour se lancer. La seule règle établie par la Mairie de Port-au-Prince est de ne pas s’installer sur la chaussée pendant les jours de la semaine. « Le vendredi soir  jusqu’au dimanche à 11h55, nous pouvons occuper les rues. Si nous restons  le lundi matin, les brigades de la Mairie peuvent confisquer nos containers tout en nous  contraignant de payer une amende de 15 000 gourdes, » explique Garry d’un ton plutôt sombre. Pourtant, les vendeurs de crème glacée ne gagnent même pas beaucoup d’argent, selon les dires de Garry. Malgré ses faibles rentrées, celui-ci n’est pas foncièrement contre une participation des vendeurs sous forme de frais, « Si la Mairie nous faisait payer, on pourrait s’attendre à de meilleures conditions de travail » argue-t-il.

Le commerce est plus rentable le dimanche et les jours fériés selon le vendeur, parce que durant ces jours les amoureux sont plus disposés et disponibles à sortir ensemble. Pendant la semaine, ils peuvent  fortuitement espérer des clients. Il est 14hr30, le vendeur se plaint de n’avoir vendu pas même un cornet de crème glacée toute la journée.

Au Champs de Mars on remarque deux types de marchand de crème glacée. Les plus nombreux, comme celui de Garry, sont ceux en métal découpé en général peint en blanc, ils se tiennent dans un kiosque campé sur deux roues. Les autres sont intégrés dans des véhicules usés, des foodtrucks venus des Etats-Unis. Ceux là beaucoup plus mobiles aident les vendeurs énormément qui sont capables d’aller vers leurs clients.

Avec 75 000 gourdes, Garry est rentré dans le business en mai dernier. Il a payé un technicien pour  lui préparer un container. « Nous ne payons pas le courant électrique, il suffit d’avoir des fils et ce sera parfait. Le seul inconvénient qu’il y a c’est le vol de nos fils par les enfants des rues,» avance Garry, qui achète sa crème glacée en gros à un supermarché non loin du Champs de Mars. Deux congélateurs et des récipients pour conserver le produit, des caisses de cornets et cups, et le tour est joué.

 

 

Quand l’espace public n’est plus un espace de détente

Une place publique est avant tout un monument et un espace urbain qui crée un lien entre les habitants de la ville. Selon l’urbaniste Jérôme Chenal, cité dans un article écrit par Nancy Leconte dans le magazine Aetypik , diplômée en Architecture, les places publiques se vident de plus en plus dans plusieurs pays riches. Par exemple en Suisse et en Arabie Saoudite les autorités constatent que les places publiques sont de moins en moins fréquentées. Paradoxalement, chez nous, en Haïti, elles sont débordées de monde. De ce fait, le Champs-de-Mars est devenu le lieu stratégique pour créer son petit « business ».

L’architecte Gary Lhérisson, cité dans le même article explique que le pays était habité par un peuple majoritairement rural. De ce fait, les places publiques étaient conçues uniquement pour le petit nombre de monde habitant les villes. Avec l’énorme exode rural que le pays  a connu dans les années 90 pour des raisons politiques et économiques, nous ne pourrions-nous attendre à d’autre schéma que celui que nous constatons au Champs-de-Mars. Se basant sur l’analyse de M. Lhérisson, nous ne devrions pas que critiquer les récentes autorités de la mauvaise gestion des espaces publics, mais se pencher sur la structure de nos villes qui sont dépassées par l’explosion démographique.

La place du Champs-de-Mars a été créée en 1954 alors que le président Paul Eugène Magloire célébrait le 150ème anniversaire de l’Indépendance d’Haïti. À l’occasion de cette commémoration, beaucoup de projets urbains ont vu le jour. Le Champs de Mars est dans l’imaginaire haïtien un espace sacrée de détente avec une grande importance culturelle. Jusqu’à récemment Alan Cavé utilisait encore le Champs de Mars pour décrire la beauté de la femme dans une métaphore. L’image de cet espace mythique change progressivement dans l’imaginaire haïtien. Le Champs-de-Mars est devenu un espace qui abrite les enfants des rues, un atout pour les petits business et une décharge publique de fait. Le malheur de l’un fait le bonheur des autres, Garry est houngan, pourtant c’est le Champs-de-Mars qui lui sert de marché pour essayer de gagner sa vie.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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