Ce dimanche de Pâques, comme pendant toute la semaine sainte, les chrétiens de toutes confessions n’ont pas pu se rendre à l’église
8 h 30 environ. À Delmas 31, les rues sont quasiment vides. Quelques voitures filent à toute allure, profitant de la rue dépeuplée. Les taptaps, qui essaient tant bien que mal de respecter la distanciation sociale, ont du mal à trouver des passagers. Ils ont réduit à quatre le nombre de personnes par banc. Même ainsi, les affaires sont au ralenti.
Pour un dimanche de Pâques, on croise peu de gens endimanchés. Les costumes sont restés au placard, et les robes blanches aussi.
Sur la route de Delmas en revanche, la vie grouille. Pas comme à l’ordinaire, mais presque. Les marchands de vêtements qui occupent les trottoirs sont là. Quelques clients profitent du calme pour s’arracher un maillot, une chemise, des baskets.
« Kyrie Eleison, Kyrie Eleison ». À l’Eglise Altagrâce, des chants s’élèvent. On devine les fidèles à l’intérieur plus qu’on ne les voit. Toutes les portes de l’Église sont fermées. « Cette barrière [principale] n’a pas été ouverte depuis des jours, nous confie un vendeur d’images de la Vierge, qu’il tente en même temps de nous vendre. Il faut passer à l’arrière si on veut avoir une chance d’entrer. »
Distanciation sociale
Nous longeons la rue adjacente à l’église. Deux voitures, avec chacun deux passagers masqués, attendent près d’une grande barrière obstinément fermée. Trois autres fidèles patientent également. « Il y avait beaucoup plus de monde ce matin, nous confie une mendiante, assise par terre, presque en face du portail. Mais la Police est arrivée et ils ont demandé aux gens de partir. »
Après quelque temps, la barrière s’ouvre. Les deux voitures s’engouffrent dans la cour et nous aussi. Une deuxième messe va commencer. Nous nous apprêtons à pénétrer l’enceinte de l’église quand un homme nous dit sèchement qu’il n’y a plus de places, tout en fermant la porte. À l’intérieur, une vingtaine de fidèles occupent la centaine de bancs disponibles. Une personne par banc. Un smartphone monté sur un trépied retransmet en direct la messe.
Nous ressortons dans la rue. Un vieillard arrive. Il frappe à la grande barrière. « Je suis un homme âgé, dit-il. Je vous en prie laissez-moi suivre le reste de la messe. » La porte s’ouvre, il entre, pendant que deux ou trois personnes, qui ont suivi la première messe sortent. « Le prochain service est à 11 heures, nous dit le gardien. Les gens qui sont entrés, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas attendre. Mais normalement nous n’acceptons pas plus de dix personnes en même temps dans l’église. »
À la mode du live
Direction Pétion-Ville. Devant l’église Saint-Pierre, une vingtaine de mendiants sont assis. Comme à Delmas, les portes de l’église sont fermées, mais on entend faiblement des chants. Il y a des fidèles à l’intérieur. Contrairement à Altagrâce, nous n’arrivons pas à entrer dans la cour. Il faut redescendre, et prendre la route qui mène à Shalom, la célèbre église protestante de Delmas 33.
La cour est presque vide. À l’intérieur de l’église, sous les toits en tôle, seuls les bancs rappellent que c’est un espace de grande foule. L’agent de sécurité, ainsi qu’une marchande de « pen ak manba » sont présents. « Nous ne fonctionnons plus, nous dit l’agent. Tout est retransmis par radio et télévision. »
Le live. C’est la nouvelle mode, en ce temps de confinement. Si certains chrétiens étaient déjà habitués à suivre les services, tant catholiques que protestants, sur les ondes, maintenant ils y sont obligés. « J’ai pu regarder le service grâce à Facebook Live, dit Noah Allen, une chrétienne de l’Eglise Bellevue Salem. Toute la semaine sainte s’est déroulée ainsi. Je suis toujours allée à l’église. Je ne me souviens pas avoir raté un dimanche de Pâques. »
Le service s’est déroulé comme à l’ordinaire, avec la foule des fidèles en moins. « Il y avait le pasteur, les techniciens, et les musiciens, continue Allen. Une dizaine de personnes environ. Lors du moment de l’offrande, comme les gens n’étaient pas là, ils ont profité pour faire passer des messages sur le covid-19. »
Selon Noah Allen, ce n’est pas facile de suivre une retransmission en direct de Facebook. « La qualité du signal internet est souvent mauvaise, dit-elle. Même si le service d’aujourd’hui était très intéressant, les fréquentes coupures provoquent de l’inattention. Ma Bible et mon Chant d’Espérance sont tous deux sur mon smartphone ; je ne peux pas suivre le service en même temps que je les consulte. Ce matin il y avait environ 200 personnes connectées, mais en général, lors du sermon, la plupart se déconnectent pour revenir après. »
L’Église, ce n’est pas le bâtiment
Premoi Gracia est une fervente catholique. Elle ne rate jamais la Semaine sainte, depuis le dimanche des Rameaux. « Cela fait près de 70 ans que je vais à l’église, c’est la première fois que cela m’est arrivé. J’ai dû suivre toute la semaine sainte à la radio. Il n’y a même pas de l’électricité, donc je ne peux pas tout regarder à la télé. Je vais quelques fois sur YouTube aussi, je visite les pages des églises tant catholiques que protestantes. C’est désolant. »
La septuagénaire croit que c’est le moment de réfléchir autrement. « Il faut comprendre maintenant que l’Église, ce n’est pas le bâtiment, dit-elle. C’est le corps et le cœur. C’est là que tout se passe. »
« Pour moi c’est un peu différent, continue-t-elle, parce que je suis souvent malade, j’ai donc réduit mes déplacements à l’église. Mais je suis affectée. Je ne peux même pas communier. Mais en même temps, je comprends qu’il faut que les gens se protègent. C’est le prix à payer. »
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