« Le marché de la musique en Haïti n’est ni rentable ni stable »
La musique fait partie des activités les plus rentables dans le monde. Selon les dernières données, l’industrie musicale de l’Angleterre rapporte en moyenne 6,4 milliards de dollars par an, dont 3,3 milliards dans la vente de musique à d’autres marchés. Aux États-Unis, le secteur a rapporté 100 milliards de dollars en 2018.
Le marché de la musique connaît aussi une hausse en Afrique. Grâce à la technologie, les musiques africaines sont de plus en plus écoutées au-delà des frontières du continent. Au Nigeria, le marché du streaming a atteint les 80 millions de dollars en 2018. « D’ici 10 ans, le marché africain de la musique deviendra plus grand que le marché européen », prédit le PDG d’Universal Music monde, Lucian Grainge.
En Haïti, le secteur fait du sur place.
« Le marché de la musique en Haïti n’est ni rentable ni stable », analyse l’économiste Etzer Émile. L’auteur du livre « Haïti a choisi de devenir pauvre » évoque l’épineuse question de la monétisation et le fait que le droit d’auteur, entre autres, n’est pas vraiment respecté dans le pays.
Les ventes physiques de CDs et vinyles, l’essor du streaming, les royalties sont, entre autres, les sources de revenus des musiciens dans les grands marchés de musique dans le monde. Selon la cartographie de l’industrie haïtienne de la musique, publiée par Ayiti Mizik en 2017, les prestations live représentent la principale source de revenus des musiciens haïtiens.
Certains artistes du pays ont d’autres sources de revenus comme la publicité, la vente de chansons surtout à l’étranger, les royalties, etc. Pendant le confinement, certains groupes ont fait des profits intéressants dans les bals virtuels, alors que d’autres ont connu des échecs éclatants. Le soleil du streaming ne luit pas encore pour tous les groupes et artistes haïtiens.
Des revenus aléatoirement intéressants
Il est difficile de déterminer objectivement combien gagne un artiste ou un collectif musical en Haïti, notamment à cause d’une absence de comptabilité officielle. Dans les années 1960, 1970 et 1980, des groupes comme Tabou Combo, Magnum Band, les frères Dejean, entre autres, ont gagné beaucoup d’argent grâce à des succès en terre étrangère.
Par exemple, Tabou Combo enregistrait des revenus qui étaient de loin supérieurs à ses groupes contemporains parce que plusieurs de ses musiques ont été utilisées dans de grands films étrangers.
La chanson « Juicy Lucy » est utilisée par le réalisateur français Maurice Pialat dans le film « Police » en 1985. Wes Craven s’est servi de « Mabouya » en 1988 dans le long métrage « L’emprise des ténèbres ». « Kite M Fè Zafè M » peut être écouté dans le film « Mistery date » de Jonathan Wacks en 1991. « Cole » a été utilisé par Juan Minaya en 1991 dans le film « Thé five Hearbeats ». Et enfin, « La Mare A » se trouve dans le film « The hard way » de Cuco Valey en 1991.
Selon Herman Nau, un membre fondateur de Tabou Combo, le groupe peut gagner jusqu’à 75 000 dollars américains pour une seule chanson utilisée dans un film. Tabou participait aussi dans de grands événements aux Antilles, en Europe ou en Asie.
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Certaines formations musicales de la nouvelle génération arrivent à tirer leurs épingles du jeu. « Une industrie qui nous rapporte environ 10 000 dollars américains tous les week-ends [avant le Coronavirus] est une industrie fructueuse », analyse Jean Marc Tropnas, manager du groupe Enposib. « Le marché musical est très rentable pour moi et mon équipe, sinon je choisirais une autre activité à faire ». Tropnas estime que les musiciens qui finissent sous la paille dans ce secteur sont ceux n’ayant aucun objectif et qui ne peuvent pas gérer leurs profits.
En temps normal, les activités « live » rapportent aussi aux groupes. Junior Moschino, ancien manager du groupe Maestro et responsable de Klass en Haïti évoque des montants se situant entre 60 000 à 100 000 dollars de profits pour une seule activité quand il était promoteur au Canada. « N’étaient-ce pas l’insécurité et les troubles sociopolitiques qui ont de grands impacts sur notre marché musical, je gagnerais d’énormes profits en Haïti », pense Moschino.
Le groupe Klass est rentable et permet aux musiciens de subvenir à leurs besoins, selon Hervé Bastien qui fait office de manager principal de la bande à Richie depuis sa fondation en 2012. « L’entreprise Klass est à la tête du marché Compas, continue Bastien. Quoique j’aie d’autres activités professionnelles, le groupe me donne beaucoup d’argent. »
Contributions de la SACEM
La Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM), est une institution française de gestion des droits d’auteur fondée en 1851. Aujourd’hui, même les concerts virtuels font l’objet d’une rémunération, selon Cécile Rap-Veber, la directrice des licences, de l’international et des opérations de l’institution. La SACEM gère les royalties et défend les intérêts de plus de 160 000 artistes, en leur reversant des droits d’auteur sur leurs œuvres.
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Grâce à la SACEM, beaucoup d’artistes haïtiens gagnent de l’argent. Dadou Pasquet, l’une des plus grandes figures de la musique haïtienne révèle que la SACEM lui reverse souvent de fortes sommes. « Avec plus que 80 chansons enregistrées à la SACEM, je suis l’un des artistes de la Caraïbe ayant plus de musiques dans cette société », précise-t-il.
Richard Cavé, Kapy et Fanfan de Tabou Combo, André Dejean, Robert Martino font partie des artistes haïtiens inscrits à la SACEM.
Nazaire « Nazario » Joinville
Cet article a été mis à jour à la demande du manager d’Enposib pour préciser que le groupe gagnait 10 000 dollars par semaine avant le Coronavirus. 9.8.2020 18:40
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