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En RD, le petit-fils de l’ex-dictateur Trujilo menace les Haïtiens

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En République Dominicaine, les candidats sont en compétition pour les élections présidentielles de 2020. Dans la liste s’affiche Ramfis Dominguez Trujillo, petit-fils de l’ex-dictateur Rafael Leonidas Trujillo. Lors des déplacements pour sa campagne présidentielle, l’homme promet aux Dominicains de mettre fin à « l’invasion haïtienne ».

La famille Trujillo est de retour dans les affaires politiques en République Dominicaine. Ramfis Dominguez Trujillo ambitionne d’occuper la chaise présidentielle en 2020. L’élan populiste de sa campagne charme 4.80 % des Dominicains selon un sondage de février dernier, mais des commentateurs estiment sa popularité sous estimée parce qu’il serait le seul candidat vraiment hors système dans la course.

Avant le scrutin, Trujillo promet de parcourir les 158 municipalités du pays afin de « prendre un café avec chaque Dominicain ». L’objectif, dit-il, est d’être plus près des Dominicains. Il veut également créer une communauté d’échanges sur Whatsapp où la nation pourra directement lui faire part de ses requêtes.

Trujillo se dit « fatigué de voir la population Dominicaine menacée par cette invasion massive d’Haïtiens, massacrant, tuant, violant des femmes »

Dans les grandes lignes de sa campagne, Trujillo promet de redonner « la gloire » aux forces armées dominicaines, de mettre un terme à la corruption, à l’insécurité et surtout à « l’invasion haïtienne ». Dans ses sorties médiatiques, il raille souvent l’actuel président dominicain Danilo Medina qui ne fait pas assez d’efforts pour réguler la migration des Haïtiens en terre voisine. Trujillo se dit « fatigué de voir la population Dominicaine menacée par cette invasion massive d’Haïtiens, massacrant, tuant, violant des femmes ».

Il propose donc de résoudre la situation par un rapatriement « massif et humanitaire » de ces Haïtiens et « la légalisation » de ceux qui veulent travailler. Mais, pour Trujillo sa vision ne sera pas accomplie « sans une défense en fer de la souveraineté » contre la communauté internationale qui d’après lui « impose » à la République Dominicaine sa politique migratoire. Avec un discours qui rappelle celui d’un Donald Trump aigre contre le Mexique, il propose de stopper la migration haïtienne en construisant un mur le long de la frontière.

Trujillo, souvenir d’une époque sombre

« Trujillo [grand père de l’actuel candidat] rappelle une période sombre pour un Dominicain comme il en est de Duvalier pour un Haïtien », indique l’historien Pierre Buteau. Une première piste pour comprendre la dictature de Leonidas Trujillo renvoie à l’époque où les États-Unis se prenaient pour la police internationale et appliquaient la politique du « Big Stick » en Amérique latine. Les Yankees occupent administrativement la République Dominicaine, contrôlent la douane et quelques autres institutions clés du pays avant de fouler son sol militairement entre 1916 et 1924. « Contrairement aux Haïtiens, les Dominicains ne vont pas radicalement s’opposer aux Américains », selon le professeur Buteau Joseph.

Le 21 janvier 1929, les présidents des deux pays, Louis Borno et Horacio Vasquez, sous la commande des américains, signent un accord définissant une ligne entre les deux territoires. C’est la première fois que les Dominicains et les Haïtiens se limitent. Cette situation va renforcer la politique « anti haïtienne » chez les dirigeants dominicains. « Durant tout son mandat, Vasquez repousse les limites des Haïtiens et rend les terres dominicaines aux immigrants d’origine européenne, japonaise et de race caucasienne », toujours selon Pierre Buteau.

« 1937 est une année tragique entre toutes dans l’histoire d’Haïti », rapporte Bernard Diederich dans son ouvrage « Papa Doc et les tontons macoutes ». Fraîchement libérée de la répression de l’occupation américaine, l’économie paysanne peine à s’en remettre. « L’exportation de produits agricoles, clés de l’économie insulaire, ne représente plus que de faibles sommes ». En grande difficulté, les paysans haïtiens vont louer leur bras dans les champs de canne à sucre cubains et dominicains. Ils vont cependant buter sur les deux dictateurs qui dirigent respectivement ces pays, Fulgencio Batista et Rafael Leonidas Trujillo.

La sanglante opération « Perejil »

Les usines sucrières cubaines et dominicaines ferment subitement leurs portes. Les Haïtiens au chômage s’orientent vers d’autres emplois. Mais, Batista et Trujillo ne veulent plus d’eux. Le premier ordonne l’expulsion des coupeurs de canne. Le second procède à la manière brute. Au nord de la frontière, les Haïtiens sont brutalisés, mutilés sous prétexte qu’ils volent le bétail des Dominicains. Ils sont de plus en plus nombreux à se présenter dans les centres hospitaliers. Puis, le 2 octobre 1937, l’opération « Perejil » est lancée à Dajabón, le long de la rivière du Massacre.

Diederich raconte : « On sait que les Haïtiens ont de la peine à prononcer le mot persil en espagnol. C’est souvent le seul moyen de les différencier avec les Dominicains. Déguisés en paysans, les soldats de Trujillo se mettent donc à arpenter la région frontalière. […]. Si l’autre ne sait pas prononcer la lettre R correctement, c’est un homme mort. Pour les Haïtiens, la nuit va être longue. Au lendemain, on recense plus de 20 000 morts parmi eux. La plupart mutilés à la machette.

Plus de peur que de mal ?

Gaspar Lenique a grandi sur la frontière entre Ouanaminthe et Dajabón. La montée en puissance de Ramfis L. Trujillo ne l’épouvante pas. « Actuellement, l’extrême droite charme l’Amérique latine, dit-il. Donc, je ne suis pas surpris que les Dominicains préfèrent Trujillo aux autres candidats », estime l’homme d’origine dominicaine. En plus, les électeurs dominicains ont besoin du neuf à la tête du pouvoir politique. « Au cours des dernières élections, ils ont élu Leonel Fernandez et Danilo Medina, deux hommes du Parti de la Libération Dominicaine (PLD) qui dirige le pays depuis au moins 20 ans », explique le professeur Lenique. Mais pour lui, les plans du petit-fils Trujillo contre les Haïtiens ont peu de chance de se concrétiser.

« Planifier un massacre contre les Haïtiens en République Dominicaine est peu probable »

« Le marché haïtien fait gagner plus de 1,5 milliard de dollars annuels aux entreprises dominicaines, y compris celles de Trujillo », toujours selon les explications de Gaspard Lenique. « Planifier un massacre contre les Haïtiens en République Dominicaine est peu probable », d’après lui. Pour avoir vécu très longtemps sur la ligne frontalière, il affirme que le problème existe particulièrement au niveau politique. « Au niveau de la frontière, les deux nations s’entendent, ne se limitent pas aux tracés. La vie économique reprend vitement après les situations de crise qui ne durent qu’un temps », prolonge-t-il.

Convaincu, Gaspard Lenique martèle qu’il est également « impossible à Trujillo de construire un mur empêchant les relations haitiano-dominicaines ». En plus de la forte cohésion sociale qui existe entre les habitants des deux côtés de la frontière, il serait impossible de dompter le paysage naturel. « Les cimes, les cours d’eau et même les plaines alignés ensemble rendraient la tâche très lourde aux dirigeants dominicains », poursuit-il.

Questionné sur la solution à apporter aux problèmes migratoires entre les deux pays, Gaspard Lenique prend l’exemple de la Pologne et de l’Allemagne. Limitrophes, ces deux pays ont élaboré un système éducatif facilitant la cohésion sociale entre les habitants de leur frontière.

Pressurés par les éléments politiques de l’extrême droite, les dirigeants dominicains déportent les Haïtiens « de manière arbitraire et sommaire » selon le dernier rapport de Humans Rights Watch. « Rien qu’au cours du premier semestre de 2018, près de 70 000 Haïtiens ont été renvoyés dans leur pays », rapporte l’organisation de défense des droits humains.

Journaliste et communicateur

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