Si à Paris les « Gilets jaunes » désignent les personnes impliquées dans les récents soulèvements populaires, à Port-au-Prince, les « Gilets verts » sont ces gens qui arpentent, de nuit, les principaux quartiers de la capitale pour nettoyer les rues. L’administration communale divise la ville en 9 blocs et attribue une équipe à chacun. Chaque équipe compte généralement deux chauffeurs, un assistant-technique et 6 éboueurs. Ils travaillent de 2h de l’après-midi à 3h du matin, explique Ronald Lespérance, assistant technique, responsable de l’équipe du Bloc-6.
Mardi 4 décembre 2018, 10h du soir, un véhicule compressif se dirige vers la rue Cameau avec 8 passagers dont une femme. Sur leurs gilets verts, on peut lire « MPAP* ». C’est la branche de l’équipe « Team Aba Fatra » chargée du Bloc-6. Ce bloc regroupe la rue Monseigneur Guilloux, le quartier de Bas peu de chose, les rues Cameau, Chavannes, Alexandre, Edmond Paul et la 1ere Avenue Bolosse.
Ramassage d’ordures à Port-au-Prince : un travail de « Guerrier »
Père de deux enfants, Guerrier Fritzner est employé depuis plus d’un an au service de voirie de la Mairie de Port-au-Prince. Pour un salaire mensuel de 7 000 gourdes, il travaille plus de 10h par jour, tous les mardi, jeudi, samedi et dimanche. « Ce boulot est important pour moi. J’ai des obligations familiales. Je dois prendre soin de mes enfants », confie-t-il.
À la fin de sa journée de travail, entre 2h et 3h du matin, Guerrier doit retourner chez lui à Cité-Soleil. Ses collègues le déposent à quelques rues de sa maison, puis il continue sa route à pied. Sa sécurité, dit-il, est entre les mains de Dieu. À défaut de la Providence, c’est son gilet vert qui s’en charge. « Récemment j’ai rencontré une patrouille policière qui m’a demandé de m’identifier. Vu que ma carte de fonctionnaire de la mairie n’est pas encore imprimée, j’ai montré mon gilet », raconte t-il. Et tout est rentré dans l’ordre.
Les difficultés s’accumulent : insécurité au bas de la ville où des gangs s’affrontent ; insalubrité ; conditions de travail infernales ; absence d’assurance médicale pour les petits fonctionnaires du service de voirie. Malgré tout, Guerrier continue d’accomplir son travail avec acharnement. C’est le seul moyen dont il dispose actuellement pour répondre aux besoins de sa famille.
« On ne peut avoir peur de ce qu’on aime »
Enfant, Vanessa Marcellus rêvait de manipuler des engins lourds. Aujourd’hui, elle est chauffeur dans l’équipe du Bloc-6. Elle prend le relais seulement quand le chauffeur principal montre des signes de fatigue. Cependant elle doit accompagner ses collègues durant tout le trajet. Cette trentenaire vit à Martissant, non loin de Village de Dieu, fief d’un puissant chef de gangs.
Pour ne pas être la cible des bandits en rentrant à la maison, Vanessa doit souvent attendre l’aube dans le véhicule affecté au service de la voirie après le travail. Elle semble ne pas s’inquiéter des risques qu’elle encourt dans l’exercice de son métier. Pour prendre soin de son unique fils et réaliser son rêve d’enfant, elle est prête à affronter l’insécurité qui sévit à Port-au-Prince. « On ne peut avoir peur de ce qu’on aime » est son slogan. Elle aime ce qu’elle fait même s’il s’agit d’un métier à risque.
Tout comme le reste de l’équipe Team aba Fatra, Vanessa travaille plus de 10h par jour pour assurer le ménage de nos rues répugnantes. Pour sa sécurité, elle compte sur le soutien de ses collègues qui, de son avis, lui témoignent beaucoup de respect. Cela rend moins compliquée sa tâche de « Gilet vert ».
De la sagesse comme garantie de sécurité
S’il est vrai que l’équipe de Bloc-6 n’est pas encore victime d’acte d’insécurité sur son lieu de travail, le problème toutefois existe. Et elle ne l’ignore pas. D’où l’idée de s’armer de sagesse, de prudence pendant le trajet. C’est ce que pense Ronald Lespérance, l’assistant technique responsable de la troupe. Une façon d’assurer ses coéquipier-e-s sur les éventuels risques qu’ils/elles encourent.
Sans aucune garantie de sécurité ni un salaire décent, les Gilets verts continuent de parcourir mêmes les quartiers sensibles de Port-au-Prince pour collecter les ordures. À la place des voitures louées à 84 000 dollars américains par an*, la République ne ferait-elle pas mieux d’améliorer les conditions de vie et de travail de ces fonctionnaires? Le renforcement des équipes n’est-il pas une nécessité absolue ?
Au moins nos honorables parlementaires n’auraient pas à rouler leurs véhicules flambant neufs sur les ordures qui jonchent les rues de la capitale.
Face aux risques encourues par les brigades de “Gilets verts” pour nettoyer et assainir la ville, les citoyen-ne-s ne peuvent-ils/elles pas aussi les supporter en évitant de jeter des déchets sur la voie publique ?
Féguenson Hermogène
*MPAP= Mairie de Port-au-Prince
* Suivant les révélations du journaliste Robenson Geffrard du Nouvelliste, l’Etat loue une voiture à 84 000 dollars US l’an pour un parlementaire alors que son prix de vente est de 64 000 dollars US.
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