Entre orgueil et frustration, dix jeunes croisent leurs réflexions sur Jean-Jacques Dessalines, Héros de l’Indépendance d’Haïti, à travers des mots qui suscitent la controverse et qui expriment l’angoisse de voir un pays toujours en mal-développement. Succinctement, ces jeunes partagent leur vision de la lutte de l’Empereur, leur compréhension de l’histoire et le décalage entre le projet initié par l’Empereur et la réalité haïtienne actuelle. Aussi, tous les textes sont-ils sous-tendus par la question : « Comment serait ce pays si Dessalines n’était pas lâchement abattu? »
Ce 17 octobre marque le 210e anniversaire de l’assassinat de Jean Jacques Dessalines. À travers son sens de la complexité, cet homme, d’une bravoure infaillible, a pu converger les frustrations contre l’exploitation brutale et brutalisante du système colonial vers des luttes conscientes pour l’Indépendance du pays. Animé par la vision politique de construction d’un COMMUN MONDIAL HUMAIN, il rejoint des révolutionnaires de pays différents dans la démarche radicale de décolonialisation. Sa conscience politique et diplomatique sur les méfaits de l’esclavage est au centre de ses choix politiques.
Conscient de l’effort acharné à définir le VIVRE-ENSEMBLE POST-INDEPENDANCE dans le pays, Dessalines se faisait l’avocat du plus grand nombre, héritiers des legs discriminatoires de l’esclavage. Cette démarche s’inscrit dans une forme de destruction créatrice qui vise à freiner la multiplication de LA CATEGORIE DES SANS (sans abri, sans papier, sans avoirs…) dans le pays. En fait, l’Empereur était préoccupé par l’urgence de déplacer le curseur de la richesse au profit de tous.
En ce sens, il est impératif de profiter davantage des grains de la vision idéologico-politique de Dessalines pour insérer le commun et le plus grand nombre dans les politiques publiques. De plus, à l’instar de Dessalines, nous devons être conscients que l’aide étrangère ne peut pas se faire en dehors d’un Projet global endogène afin d’éviter de tomber dans le piège d’un humanisme suicidaire et avaricieux.
Kensly-Carl OLIBRICE
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Faut-il apprendre à vivre sans Dessalines ?
Comme acteurs empiriques, nous avons pris l’habitude de formaliser l’expérience à partir d’un immédiat observable. Assez souvent, c’est l’histoire. Du moins, en prenant comme cadre des régimes d’historicités qui nous permettent de relayer l’action de l’homme à d’autres dans un souci de cohérence. Autant que l’homme s’érige en contemplateur attentif pour interroger son époque, autant il découvre son incapacité à saisir des réels qui s’expliquent qu’à travers leur manifestation même. Ainsi faut-il appréhender le contexte historique et les circonstances entourant la mort de Dessalines. Personne ne dira à l’autre comment vivre Dessalines, essentiel à chacun. Ce patriarche a su construire un système de valeurs (qui sont) universelles à partir de sa conscience qu’un espace ne doit jamais renoncer à ses aborigènes le droit le plus entier (qui est) : l’égale liberté de la fraternité. C’est une lettre puissante dédiée à l’humanité. Par retour du courrier, Haïti subit aujourd’hui le prix de son hardiesse d’avoir végété la fibre existentielle au reste de l’humanité. Dessalines est aussi bien responsable de notre bourbier actuel. Comme artisans de la postérité, témoins oculaires de la dégénérescence de l’humanité, faudrait-il que l’humanité apprenne à vivre sans Dessalines ?
Websder Corneille
Journaliste/ Consultant en communication/ Rédacteur
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Il est venu, il a vu et il a été vaincu…
Il est venu au monde au moment où l’esclavage des noirs était la règle.
Au moment où un groupe d’hommes avait décidé qu’un autre groupe, différent par la couleur de peau, devait être son marchepied et son outil – au sens propre vu que l’esclave était considéré comme un bien meuble – pour parvenir à l’exploitation de ce qu’il appelle « le nouveau monde ».
Il a vu la souffrance des hommes qui avaient la malchance de naitre avec la même couleur de peau que lui.
Le traitement inhumain qui leur était infligé, il l’a lui-même subi.
Et il a voulu en finir.
Il a voulu que l’homme noir puisse vivre dans la dignité, dans la liberté, dans le respect de ses droits.
Il s’est engagé aux côtés du « Premier des Noirs » sur ce projet.
Ce projet dont le 1er janvier 1804 n’a été que le premier grand pas.
Et il a été vaincu avant même de voir ce projet aboutir.
Vaincu par ceux-là même qui avaient combattu à ses côtés, mais poussés par des motivations autres que les siennes.
Vaincu par la racaille politique d’alors que le projet d’émancipation des masses gênait.
Cette racaille qui persiste encore aujourd’hui.
Ce projet qui traine encore 210 ans après…
Johnny Jean Le
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L’homme qui fait peur…
Empereur Dessalines…. L’homme qui fait peur. Comment ne pas faire peur à l’autre quand on veut s’en prendre à la racialisation instaurée par les puissances européennes? Comment ne pas faire peur quand on veut que nègre soit une marque d’Humanité libre et d’émancipation? Blancs naturalisés et haïtiens-indigènes sont tous nègres. Dessalines avait bien compris les enjeux de race ou de couleur. Mais il avait aussi les pieds sur terre. La construction pseudo-scientifique de race est de l’ordre de la superstructure et cache des questions plus profondes: « Prenez un Blanc au-dessus d’un plateau de la balance de la douane, et mettez un sac de café dans l’autre plateau: les autres Blancs viendront acheter ce sac de café, sans porter attention au cadavre de leurs semblables ». Il fallait un Baron de Vastey pour nous raconter les fondements de cette négritude anti-eurocentrique et anti-raciste. Oui! Une Epistémologie est bien campée. Vous voyez bien? C’est plus qu’un militaire endiablé. Mais… l’Empereur disparu, s’ouvre l’ère de la désillusion la plus totale.
Van Weenes Crib
Etudiant à l’Université Mirail- Toulouse, Lettres modernes-Professorat des Ecoles
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L’Intransigeance dessalinienne!
Intransigeance… Un seul mot pour décrire l’Empereur. Essentiel. Pragmatique. Pas de rhétorique, ni d’expressions mi-sensées pour saluer la mémoire du Père fondateur. Dessalines fut un intransigeant, un jusqu’auboutiste. Le genre d’homme à la volonté de fer qu’une nation rencontre une fois chaque 100 ans! De la guerre du sud, à l’épisode au fort de la Crête-à-Pierrot, en passant par la reprise des hostilités face aux envoyés de Bonaparte, l’élimination des chefs de bandes, le congrès de l’Arcahaie pour l’union des catégories noires et mulâtres, l’élimination nécessaire des Français qui étaient encore dans nos murs, la réclamation d’une meilleure répartition des richesses pour « ceux dont les pères étaient encore en Afrique », à l’exécution des envoyés de l’État raciste, esclavagiste et colonial français, à la vérification des titres de propriété, Dessalines fut un intransigeant… Le caractère premier pour un chef d’État nègre (haïtien), face à l’Occident et des opportunistes nationaux qui ne comprennent que le langage de la force. Contrairement à Toussaint le » versatile », Dessalines refusait tout compromis. En 2016, il nous faut un autre Dessalines capable de dire au peuple entier : »je vous fais tous sauter, si un seul blanc-maitre pénètre sur nos 27 750 km²! ».
Pierre Frédéric Chérestal, Sociologue
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Dessalines ou l’inventeur de la liberté…
Dire un mot sur l’Empereur Dessalines implique d’emblée de faire le lien avec l’exigence de penser liberté. Celui qui est considéré comme ‘‘ [the] voice of early nineteenh-century post-colonialism », est donc l’inventeur d’un vaste projet »vivre-libre » incarné dans la trilogie »Liberté-Égalité-Justice ». 1804: l’invention de la liberté est un coup dur à l’imaginaire colonial et au monde racialisé. Les proclamations de l’indépendance faites par l’Empereur (particulièrement l’Acte de l’Indépendance) bousculent le paradigme de la colonialité de l’être, et par là se crée une cartographie qui peut permettre globalement de repenser l’épistémè des modernes. 1987: la consécration de l’Acte dans le Préambule de notre dernière Constitution, traduirait, à notre sens, l’idée d’un retour à l’idéal du vivre-libre, idéal malheureusement bafoué presque tout au long de notre histoire de peuple, notamment sous la dictature sanguinaire des Duvalier. Idéal donc qui exige encore aujourd’hui une véritable mise en usage. Le substrat idéologique de l’Acte de l’indépendance pourrait être d’une importance considérable dans l’actuel et difficile processus de construction démocratique, devant nécessairement conduire à un »vivre-ensemble » global. »Pas de liberté sans bien être » doit vouloir aussi dire qu’il nous faut désormais accepter de vivre avec l’idée de liberté comme fondement de l’existence collective… Sinon, nous mourrons tous!
Milcar Jeff DORCE
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NB: La suite de cette compilation de reflexion sera publiée le mardi 18 octobre 2016.
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