En Guyane française et au Surinam, les Bushinengués adorent le compas direct, notamment le groupe Djet-X qui a cartonné dans les Antilles dans les années 1980. Les tubes de Djet-X évoquent encore de beaux souvenirs chez les mélomanes qui ont rendu un vibrant hommage au saxophoniste haïtien Gérard Daniel, surnommé le préfet antillais.
Tout mélomane haïtien avisé devrait connaitre « Djet-X » avec leurs tubes éternels Love to love et Ret cézi. À propos de cette formation musicale, l’animateur Ricardo alias Prezidan Kompa de l’émission Maté Kompa sur Radio Sud’Est en Martinique, rapporte que « les promoteurs se battaient pour obtenir les prestations de Djet-X. Les compositions de ce groupe ont marqué toute une génération en Martinique ».
Une soirée Compas chez les Bushinengués en Guyane
En octobre 2018, j’étais en Guyane avec mes collègues cinéastes Pierre Michel Jean et Rachèle Magloire lorsqu’un soir, j’ai été surpris d’entendre des « Bushinengués » chanter du Compas. Déjà, je découvrais à peine l’existence des peuples bushinengués, en plus, ils chantaient du Djet-X. De la musique compas des années 1980.
Au restaurant où nous étions, les gens dansaient, ils chantaient et faisaient semblant de jouer du saxophone. Laura, une réalisatrice martiniquaise présente ce jour-là, me raconte son histoire avec le groupe Djet-X. D’autres personnes témoignent à propos de ce groupe mythique qui a eu une très grande influence chez nos voisins antillais.
Les Bushinengués ou « les Nègres de la Forêt » sont des afro-descendants marrons qui s’étaient réfugiés dans la forêt Amazonie pour fuir les habitations coloniales au 18e siècle. Ils vivent en Guyane française et au Suriname. Leur culture, très métissée, est une articulation de traditions africaines, amérindiennes* et européennes. Ils sont réputés être de bons piroguiers. Chaque matin, on les voit parcourir le long du fleuve Maroni en Guyane pour transporter des passagers au Suriname. Cette population – apparemment sans lien direct avec Haïti sinon l’expérience historique de la traite négrière – écoute depuis belle lurette du Compas.
Love to love : un hymne caribéen
Il était environ 9h du soir quand nous sommes arrivés dans un modeste bar-resto situé dans le quartier des bushinengés. Avec une guitare et un drum machine, deux musiciens Bushinengés souhaitent la bienvenue aux visiteurs. Ils font revivre aux mélomanes présents, des compositions classiques antillaises et américaines. Après l’interprétation de Hotel California des Eagles, ils enchaînent avec Love to love de Djet-X. La piste s’est rempli à l’instant. L’ambiance est de taille : les gens reprennent en cœur les paroles de la chanson et imitent les notes du saxophoniste Gérard Daniel que le claviériste tentait de reproduire.
Une fois le morceau terminé, chacun se met à raconter une histoire liée à la chanson Love to love. Il y a eu beaucoup de souvenirs d’enfance et des histoires de premier amour. L’enthousiasme provoqué par la chanson de Djet-X a retenu mon attention, parce que je voulais comprendre l’influence de ce groupe mythique des années 80 dans le milieu caribéen.
«Mes parents ont toujours écouté beaucoup de musique caribéenne, que ce soit Jeff Joseph de la Dominique ou du Compas haïtien, confie la réalisatrice martiniquaise Laura Chatenay-Rivauday. J’ai vraiment commencé à apprécier la chanson « love to love » à dix-sept ans quand j’ai rencontré mon premier amoureux. Il adorait cette chanson et l’écoutait en boucle. On dansait dessus, ça reste un excellent souvenir. Et c’est sur le saxophone de Gérard Daniel que tu virevoltes sur la piste. »
Les réseaux sociaux fourmillent d’histoires similaires à propos de ce tube de Djet-X. Pour la Martiniquaise, Nadège Sinseau « Djet-X c’était vraiment quelque chose. Un groupe qui a bercé son adolescence avec de merveilleuses mélodies. »
Le décès du « préfet », une perte pour les Antilles
Le 8 janvier 2018, la nouvelle est tombée : le corps de Gérard Daniel a été retrouvé sans vie dans un atelier à New York. La mort de celui qu’on surnommait le « préfet antillais » est une perte pour la musique dans toute la Caraïbe, même si la ferveur en Haïti était moindre qu’en Martinique ou en Guadeloupe.
Plusieurs médias caribéens se sont mobilisés pour rendre un dernier hommage au légendaire saxophoniste de Djet-X. France-Antilles, Guyane 1ère, Martinique 1ère, ATV, Radio Sud’Est de Martinique, pour ne citer que ceux-là, lui ont consacré des émissions et publié des reportages. Des téléspectateurs d’ATV ont même eu l’occasion de revoir un extrait de la dernière soirée de Gérard Daniel en 2011 avec Djet-X à l’Atrium – la plus grande salle de spectacle de la Martinique – où ont également performé Les Frères Dejean, Skah-shah et System Band.
A côté de l’histoire, la musique crée une affinité entre Haïti et ses voisins antillais et caribéens. Le Compas reste très présent dans la vie socio-culturelle des populations de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane française. Le succès de certains groupes comme Tabou Combo, Les Frères Dejean, Magnum Band et plus récemment de Carimi en est la preuve. Cependant cet amour du Compas ne doit pas cacher des réalités plus sombres: les discriminations que vivent les communautés haïtiennes dans les îles voisines, la peur du vaudou etc.
Feguenson Hermogène
*Pour faciliter la compréhension de l’article, nous employons le concept « Amérindien » mais il ne reflète pas notre lecture de l’histoire de la colonisation européenne de l’Amérique.
Crédit Photo: Pierre Michel Jean
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